On croit mourir pour la patrie ...

lundi 24 décembre 2012, par Hervé Thomas.

Avant de rencontrer ma compagne, j’aurais bien été incapable de situer la Meuse et même de citer une des ses villes, confondant à la fois l’Alsace et la Lorraine. Au fil des années, j’ai appris à connaître cette terre si différente de ma Méditerranée mais elle reste pour moi paysage de guerre et de désolation. J’y suis à nouveau pour y passer Noël et il suffit de sortir dehors pour tomber sur un des innombrables cimetières allemands ou français de la guerre de 14/18, des stèles et des monuments à n’en plus finir, certains datant même de la guerre de 1870 contre les Prussiens. Partout des casernes abandonnées ou encore en activité, mais toujours des casernes, des « promenades » à travers les tranchées. La terre ici porte le deuil des hommes sacrifiés, on le sent à chaque pas, sur les chemins, dans les forêts, dans le vent qui souffle à travers des arbres qui n’ont pas plus d’un siècle, les autres ayant été hachés menus par la mitraille.

Et que dire de ces villages fantômes qui furent rasés tel celui d’Ormes près de là où je séjourne et qui compta plus de 700 habitants à la veille de 1914 avec des bistrots, une école, une mairie, des commerces, des ateliers de tissage et des moulins jusque ce que l’apocalypse frappe ses habitants. On n’imaginerait pas si on ne le savait pas hormis quelques pierres retournées et couvertes de ronces qu’ici on vivait, on aimait, on espérait comme partout ailleurs. À quand un Altervillage franco-allemand à Ormes pour refaire vivre ce lieu ?

Pour celles et ceux qui auraient l’idée de lire ces billets, voici la Chanson de Craonne, qu’ont chanté Mouloudji et Marc Ogeret et qui symbolise à elle seule ce que Prévert qualifait de connerie : la guerre. Comme le Temps des Cerises ou les Canuts, elle fait partie de mon album affectif musical.

La Chanson de Craonne

Quand au bout d’huit jours, le r’pos terminé,
On va r’prendre les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile.
Mais c’est bien fini, on en a assez,
Personn’ ne veut plus marcher,
Et le cœur bien gros, comm’ dans un sanglot
On dit adieu aux civ’lots.
Même sans tambour, même sans trompette,
On s’en va là haut en baissant la tête.

Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes.
C’est bien fini, c’est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C’est à Craonne, sur le plateau,
Qu’on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
C’est nous les sacrifiés !

C’est malheureux d’voir sur les grands boul’vards
Tous ces gros qui font leur foire ;
Si pour eux la vie est rose,
Pour nous c’est pas la mêm’ chose.
Au lieu de s’cacher, tous ces embusqués,
F’raient mieux d’monter aux tranchées
Pour défendr’ leurs biens, car nous n’avons rien,
Nous autr’s, les pauvr’s purotins.
Tous les camarades sont enterrés là,
Pour défendr’ les biens de ces messieurs-là.

Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance,
Pourtant on a l’espérance
Que ce soir viendra la r’lève
Que nous attendons sans trêve.
Soudain, dans la nuit et dans le silence,
On voit quelqu’un qui s’avance,
C’est un officier de chasseurs à pied,
Qui vient pour nous remplacer.
Doucement dans l’ombre, sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes.

Ceux qu’ont l’pognon, ceux-là r’viendront,
Car c’est pour eux qu’on crève.
Mais c’est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève.
Ce s’ra votre tour, messieurs les gros,
De monter sur l’plateau,
Car si vous voulez la guerre,
Payez-la de votre peau !

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