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Vous avez dit LIBRE échange ?

Ouvrage de Jacques Berthelot

mercredi 13 juin 2018

L’Accord de ‘Partenariat ’ Économique
Union européenne – Afrique de l’Ouest
Préfaces de Mamadou Cissokho et Ken Ukaoha

La fuite en avant de l’Union européenne (UE) dans des Accords de libre-échange atteint le summum de l’absurdité en les imposant à l’Afrique de l’Ouest dont le PIB par tête est vingt-et-une fois inférieur au sien. Cet Accord de ‘Partenariat’ Économique (APE) lui ferait perdre 76 % de ses recettes douanières sur ses importations de l’UE et entraînerait une forte montée du chômage par la perte de compétitivité de ses entreprises.
Puisque le Nigéria vient de confirmer qu’il ne signera pas l’APE de l’Afrique de l’Ouest, les APE intérimaires de Côte d’Ivoire et du Ghana deviennent définitifs, ce qui
déconstruira le processus d’intégration régionale. Celui-ci sera aggravé par la signature prématurée de la Zone de Libre Échange Continentale par 13 États de l’Afrique de l’Ouest sur 16, avec le soutien de l’UE. Tout ceci sur la base de multiples
contre-vérités de la Commission européenne que le présent travail identifie.

Maître de conférences en économie retraité de l’ENSAT, Jacques Berthelot analyse les politiques agricoles au profit d’organisations paysannes, dont le ROPPA en Afrique de l’Ouest, et des ONG qui les assistent, dont SOL (www.sol-asso.fr) qui publie ses analyses. Il est membre du Conseil scientifique d’ATTAC.

Extraits de la conclusion de ’Vous avez dit LIBRE échange’

Après le refus définitif du Nigéria de signer l’APE de l’Afrique de l’Ouest (AO), l’UE est au pied du mur, empêtrée dans les conséquences très négatives imprévues pour l’AO comme pour elle-même d’avoir imposé la mise en œuvre des APE intérimaires (APEi) de Côte d’Ivoire et du Ghana, tout en soutenant la Zone de libre-échange continentale (ZLEC). Pour l’AO, cela se traduira par la désintégration régionale qui rendra en même temps impossible la construction à long terme de la ZLEC. Qui plus est, cette désintégration régionale de l’AO pénalisera le plus la Côte d’Ivoire et le Ghana qui perdront leur compétitivité sur leur principal débouché constitué par les autres Etats d’AO, auxquels ils devront payer d’importants droits de douane (DD), tout en perdant en compétitivité et en recettes de DD et TVA liées à la libéralisation de leurs importations venant de l’UE28-RU. Ils perdront même en compétitivité sur leurs exportations vers l’UE, compte tenu de l’érosion de leurs préférences liée à la multiplication des accords de libre-échange conclus par l’UE avec des pays exportant le même type de produits.

Face à ces désastres à venir qu’elle préfère ignorer, la prétention de l’UE de lutter contre les racines des migrations non désirées vers l’UE en y consacrant une importante part de ses aides financières traditionnelles à l’AO, rebaptisées PAPED (Programme d’aide aux APE), et en reciblant une autre partie vers la réduction des immigrants et vers de larges garanties aux investisseurs privés pour moderniser l’industrie et l’agriculture régionale sur le modèle européen, est clairement vouée à l’échec.

Les Institutions européennes doivent comprendre que, pour atteindre aussi les objectifs du développement durable (ODD) en 2030 signés à New-York en septembre 2015 et ceux sur le changement climatique signés à Paris en décembre 2015, elles perdront toute crédibilité politique en ayant empêché les pays ACP de les atteindre alors que, même sans les APE, cela serait déjà très difficile. Par contre, la résiliation des APE déjà mis en œuvre, dont les APE intérimaires de la Côte d’Ivoire et du Ghana, est un préalable si l’UE veut négocier dans les conditions acceptables par l’Afrique sub-saharienne (ASS), notamment l’AO, l’accord de coopération qui succédera à celui de Cotonou à partir de 2021.

Une fois cette contrainte des APE levée, la stratégie de développement que l’AO devrait mettre en œuvre serait la suivante. Puisque les agriculteurs représentent une grosse majorité de la population et qu’il faut réduire le déficit alimentaire, il faut leur garantir des prix rémunérateurs et stables grâce à une protection efficace à l’importation par des prélèvements variables. Hélas, toutes les institutions africaines, partageant le discours néo-libéral dominant comme on le voit avec la ZLEC et le projet d’UDC (Union Douanière Continentale), refusent d’évoquer une hausse de la protection à l’importation et ne trouvent leur salut que dans le recours, peu crédible, à des financements accrus des pays ’partenaires’ et du ’secteur privé’. Ils oublient que les agriculteurs pourraient autofinancer la hausse de leur production dès lors qu’ils auraient des prix stables et rémunérateurs et seraient à l’abri du dumping des ’partenaires’.

Mais il faut d’abord que les CER (Communautés Economiques Régionales), dont la CEDEAO, deviennent Membres à part entière de l’OMC, comme l’UE, puisque leurs tarifs extérieurs communs n’ont que des DD appliqués qu’ils ne peuvent relever en fonction de la conjoncture faute d’avoir des DD consolidés, les seuls négociés à l’OMC. Une fois membre de l’OMC, comme l’UE qui négocie au nom de ses 28 Etats membres, la CEDEAO transformera les DD consolidés agricoles en prélèvements variables.

Pour que les consommateurs pauvres d’AO puissent supporter le relèvement progressif des prix alimentaires sans entrainer d’émeutes populaires, il faudra instaurer un large programme d’aide alimentaire, à l’exemple de l’Inde et des Etats-Unis, sous forme de coupons d’achat permettant d’acquérir des produits vivriers régionaux à très bas prix dans des magasins agréés. Cela nécessitera un financement par la coopération internationale, notamment des prêts à très long terme et à très bas taux d’intérêt de l’AID, filiale de la Banque mondiale.

Encore faut-il que l’UE cesse de s’aligner sur les Etats-Unis qui ont encore refusé de modifier, lors de la Conférence ministérielle de l’OMC en décembre 2017 à Buenos Aires, les règles de l’OMC sur les stocks publics de sécurité alimentaire.


Photo de couverture : 2 avril 2014, Bruxelles, manifestation devant le Parlement européen à l’occasion du Sommet des chefs d’État de l’UE et de l’Union africaine.
Ces militants de l’UE et d’Afrique participaient à un séminaire sur « Les APE imposés par l’UE au lieu de la politique commerciale dont l’Afrique a besoin ».
© Photo de Burghard Ilge, Both ENDS.

L’Harmattan-2018

ISBN : 978-2-343-15043-7
17,50 €

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