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Réserves au sujet du manifeste anti-oppressions

Lettre au bureau d’Attac du 12 octobre 2023

lundi 15 avril 2024

Suite à l’Université d’été des mouvements sociaux de l’été 2023, et suite à l’exclusion de deux personnes en application du Manifeste anti-oppressions, une lettre a été adressée en octobre au bureau d’Attac. Une trentaine de militant·es y formulaient leurs inquiétudes concernant le contenu du Manifeste et demandaient d’organiser un vrai débat dans Attac sur le bien-fondé de ce texte et sur le type de militantisme qu’il entraîne.
Le 15 mars, un questionnaire a été envoyé aux adhérent·es dans le cadre d’une "grande consultation". Il y est demandé s’il est « souhaitable de doter Attac d’une charte et d’un protocole anti-oppressions  ». La question est biaisée, car ce n’est évidemment pas le principe de tels textes qui est à questionner, mais la procédure inquiétante qui est mise en œuvre.

Lettre au Bureau d’Attac France sur l’exclusion de l’UEMSS de deux militants d’Attac IDF et concernant le Manifeste anti-oppressions

Bonjour à toutes et à tous,
Nous vous remercions pour votre mèl de réponse du mercredi 4 octobre 2023. Nous trouvons néanmoins qu’il ne répond pas clairement aux questions posées ou dénote une interprétation très restrictive des libertés individuelles des militant.es.
Voici nos remarques point par point, correspondant au texte du mèl du 13 septembre transmis par l’intermédiaire d’Éric Le Gall, ainsi que notre demande concernant le Manifeste anti-oppressions.

 Point 2 : le Bureau semble estimer qu’il est normal qu’un aparté en plénière entre 3 personnes logeant ensemble soit considéré comme une déclaration publique pouvant déboucher sur une exclusion. Vous dites que des échanges « peuvent difficilement être tenus pour privés lorsqu’ils peuvent être entendus par d’autres participant·es. » N’est-ce pas la porte ouverte à des dérives menant à des dénonciations, des surveillances malsaines et à des interprétations invérifiables ?
Par ailleurs, qui décide, au nom de quelles compétences, qu’un propos est raciste ? N’y a-t-il pas une disproportion inquiétante entre ce propos échangé en aparté (sur la couleur précaire) et la procédure très rapide qui a abouti à une exclusion ?

 Point 3 : Légitimité des groupes « anti-oppressions » (bénévoles aux formations très courtes) : aucune justification n’est vraiment donnée, juste une description « Une équipe anti-oppressions, constituée d’une quinzaine de bénévoles, membres ou pas d’Attac et formé·es pour l’occasion, était en charge de la mise en œuvre du protocole, en lien étroit avec le comité de pilotage » (citation mèl du Bureau).
De plus le Manifeste anti-oppressions stipule que « des équipes « anti-oppressions sont mises en place et prêtes à accueillir en recueillant les besoins de la personne ayant subi un ou plusieurs comportements oppressifs ». Or dans votre mèl vous écrivez « La victime de ces agissements a été contactée dès la fin de la plénière. Elle n’a pas souhaité témoigner à ce moment-là). Ce qui veut dire que le groupe « anti-oppressions » n’a pas respecté le Manifeste puisqu’il est censé recueillir le témoignage de la victime et non pas venir au-devant d’elle avant d’en référer au Copil, surtout quand la victime ne veut pas témoigner.

Nous rappelons que les adhérent.es d’Attac n’ont jamais voté pour le « Manifeste anti-oppressions »  : en 2022, ils ont voté pour « La Charte anti-sexisme » en 2022 ; ce qui n’est pas du tout la même chose. ( https://vie-interne.attac.org/instances-et-cls/ag/2022/)

Par ailleurs, la formation des formateurs nous semble reposer sur des bases très fragiles avec un stage d’un Week-end avec une chercheuse Aurélia Décordé-Gonzales, chercheuse dont nous aimerions bien trouver des articles signés et publiés dans des revues sérieuses sur internet puisqu’elle est « chercheuse » (citation mèl du Bureau :L’équipe de militant·e·s a été constituée à l’issue d’une formation d’une journée, elle-même assurée par des militantes formées durant un week-end par Aurélia Décordé-Gonzales, chercheuse indépendante et formatrice en éducation populaire sur les questions anti-racistes et féministes).
Cela pose la question des garanties de sérieux des formations des militants d’Attac par des intervenant.es extérieur.es.

 Point 6 : Sur quels éléments tangibles le Bureau a-t-il décidé d’écrire à Pierre et Robert en leur notifiant une demande de ne plus participer aux évènements organisés par Attac. Même réponse évasive. Combien de militant.es ont rapporté les propos de Pierre et Robert ? Pas d’audition au préalable par le Bureau du « présumé agressé » (Jean Baptiste). Pas d’audition au préalable par le Bureau de Pierre et Robert… Cela pose un vrai problème de fond. D’autant plus que la victime présumée a, selon votre réponse, seulement le lendemain des faits, évoqué « des propos racistes tenus au sein du domicile d’un des militants exclus ». Quels propos ? Mais surtout va-t-on aller jusqu’à sanctionner des propos tenus dans un cadre privé ?

 Point 7 : Contacter d’autres syndicats ou associations proches d’Attac dans le but d’exclure ces militants
La réponse du Bureau « Dans tous les cas, ces agissements n’ont pas donné lieu à une publicité hors de l’UEMSS » « Cet événement a peut-être fait l’objet de rumeurs du fait de la présence de témoins. Ces rumeurs se sont répandues sans que qui que ce soit n’ait explicitement contacté aucun autre collectif ».
Cette réponse nous semble curieuse : qui a pu téléphoner ou contacter Solidaires (demande à Robert et Pierre de sortir de la manif des sans-papiers le dimanche), le DAL qui demande à Robert de ne plus venir à la permanence qu’il assurait, le Comité pour le droit de vote des étrangers (fondé par Pierre) qui lui fait le même genre de demande ? La rumeur ?

Au-delà de ces interrogations, le problème de fond est en réalité lié au contenu même du Manifeste anti-oppressions.

 Tout d’abord, l’ensemble de la procédure apparaît n’être qu’une instruction à charge de la personne accusée  : celle-ci n’a aucune autre échappatoire que de reconnaître les faits dont elle est accusée, ie des propos ou comportement oppressifs, de s’engager « à ne pas reproduire ce comportement » et de « formuler des excuses sincères reconnues comme telles par la victime » (Protocole anti-oppressions, paragraphe Médiation). Si elle ne le reconnait pas, si elle en conteste le caractère raciste, sexiste, etc., alors le protocole conduit à « passer à la procédure d’exclusion » (fin du paragraphe Médiation) ! Prendre au sérieux la parole d’une personne qui se considère comme victime n’implique pas d’organiser l’exclusion mécanique de la personne accusée lorsque la médiation n’a pas réussi à la faire avouer et à formuler des regrets…

 Ensuite, le Manifeste indique dans son introduction que « la lutte pour une société plus juste …/… implique un travail conscient et actif, aux niveaux individuel et collectif …/… d’attention aux rapports d’oppression ». Mais cette attention aux rapports d’oppression ne doit pas dériver vers des pratiques de surveillance, d’affût, voire de dénonciations de comportements ou propos déclarés politiquement incorrects, qu’ils soient échangés en public ou en privé. Le déroulement des faits ayant conduit à l’exclusion des deux militants ne fait qu’amplifier notre crainte d’une telle dérive autoritaire et expéditive.

 Enfin, les exemples de propos oppressifs donnés dans le Manifeste ou le flyer nous stupéfient :
• L’expression « comme chacun sait » est qualifiée de remarque classiste : est-ce qu’au contraire, elle ne peut pas être utile à une personne ne se sentant pas suffisamment d’assurance pour rappeler des éléments ?
• Dire « en effet mais... » (ce qui est réputé annuler la 1ère partie de la phrase) serait une « formule manipulatoire, qui crée de l’impuissance » : tout apport de nuances dans une discussion serait donc maintenant exclue ?
• Dire : « il est évident que... » interdirait la contradiction.
• « S’adresser à une personne transgenre en se trompant (in)volontairement de pronom/prénom » est qualifié de transphobe ; il est donc sous-entendu qu’on peut identifier d’entrée de jeu une personne transgenre ?
• Dans la grille d’observation figurant dans le flyer, on lit un critère à remplir sur le « nombre de femmes, d’hommes et de personnes non binaires ». Là encore, cela sous-entend qu’on doit savoir identifier les personnes non binaires sur leur apparence ?

Pour nous, ce protocole ouvre la voie à des pratiques malsaines, pouvant être dangereuses, en établissant ce qui ressemble fort à une police du langage et du comportement. La transformation sociale que nous appelons de nos vœux ne passe certainement pas par de telles procédures expéditives et disproportionnées. Rappelons que ce Manifeste n’a pas été validé par un vote des adhérent.es, ce qui a été voté est la Charte anti-sexisme.
Il nous semble donc indispensable et urgent à cette étape d’organiser un débat dans Attac sur le bien-fondé de ce texte et sur le type de militantisme qu’il entraine.

Un tel débat serait l’occasion de réaliser le souhait exprimé en tête de la « Charte anti-sexisme » qui déclare « le caractère incomplet de cette charte, qui n’a pas vocation à rester statique mais bien à évoluer et à être améliorée pour prendre en compte des expressions de violence liées à d’autres rapports de domination » (page 2). Ainsi, cette prise en compte doit aller de pair avec l’amélioration des procédures qui lui sont attachées. Or le « principe de sincérité des victimes » (page 3) ne pouvant remettre en cause en droit celui « de présomption d’innocence » des accusés, la contradiction entre eux ne peut être levée que par une instruction à charge et à décharge. Cet équilibre étant exclu par la Charte d’Attac actuelle, une discussion doit pouvoir être rouverte à ce sujet. De même, les définitions extravagantes de certains « délits » de langage dans le Manifeste anti-oppressions de l’Université d’été trouvent leurs racines dans certaines formulations présentes dans la Charte d’Attac et qui mériteraient d’être réexaminées, comme par exemple celle de classisme. Faire évoluer les textes de principes et d’orientation doit favoriser l’évolution des comportements sociaux. SI la Charte se propose d’agir pour la formation et l’éducation, ce ne peut être par la violence.

Signataires :
Adam Paul
Bailet Michèle
Bloch-London Catherine
Cordova Daniel
Delalande René
Détré Nelly
Dourille-Feer Evelyne
Feer François
Ferrand Marine
Harribey Jean-Marie
Jeffers Esther
Kiéfé Françoise
Latour Thierry
Lechevalier Marianne
Marty Christiane Mead Christine
Noviel Jean
Pierre Catherine
Plihon Dominique
Potier Christine
Rebufat François
Rome Daniel
Silly Jacques
Topelet Marielle Trat Josette Treillet Stéphanie
Ugolini Mirella
Youinou Catherine