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Prostitution

20 janvier 2014, 15:38, par Robert Joumard

Ce texte fait polémique car il s’attaque à l’arbre qui cache la forêt sans voir que tous les arbres sont semblables ; il choisit l’arbre qui est devant parce qu’il est devant et pas parce qu’il est arbre ; il choisit un type bien particulier de relation entre personnes pour le condamner sans s’interroger sérieusement sur la spécificité de ce type de relation.

La notion même de prostitution fait polémique. Les nombreux chercheurs qui ont travaillé ce thème, dont Paola Tabet est la plus connue parmi beaucoup d’autres, ont montré que la prostitution n’était pas définie par un contenu particulier : l’échange relation sexuelle contre avantage matériel n’est en rien limité aux activités dites prostitutionnelles. Comme le mentionne Fredereique Perrin ci-dessus, une grande part des relations sexuelles plus classiques au sein d’un couple marié ou non ne sont en rien ’gratuits’, en ce sens qu’ils s’insèrent dans un ensemble d’échanges économico-sexuels qui font le rapport entre sexes. Ces échanges sont faits de plaisir sexuel, d’affection et d’aide psychologique, d’amour, d’argent, de travail domestique, de travail extérieur, de protection, de représentation – image vis-à-vis des autres, de procréation, d’élevage et éducation des enfants.

Serait-on naïf au point d’ignorer que nombres d’unions ne sont pas exemptes d’avantages matériels ou symboliques ? Faudra-t-il exiger un test d’Amour avant tout rapport sexuel ?

Ce qu’on appelle prostitution dans le texte n’est d’ailleurs guère défini, mais semble réduire l’activité prostitutionnelle à une pénétration contre argent. Or, comme dans la plupart des relations, la relation prostitutionnelle est loin de se réduire à cela ; elle comprend aussi affection et soutien psychologique, sourires et compassion, Cela me rappelle le témoignage télévisé d’une prostituée française qui estimait ne pas faire un travail très différent de celui qu’elle faisait quand elle vendait des voitures.

Les nombreuses analyses faites par des chercheurs sur la prostitution sont totalement ignorées dans ce texte, car elles montrent que la prostitution s’exerce dans des conditions très variables, que sa perception est aussi très variable, ses motivations aussi et que la réalité est très très loin de se réduire à l’image de femmes importées sous la contrainte et forcées à offrir leur sexe pour enrichir des souteneurs mondialisés – même si cela est bien une partie de la réalité. Mais la réalité importe peu quand on veut défendre un ordre moral.

La rémunération de l’acte sexuel fait se lever nos vaillants défenseurs de l’ordre moral, qui, Attac oblige, dénoncent la marchandisation des corps due au néolibéralisme, l’instrumentalisation des êtres humains et l’industrialisation des corps. Je ne vois pas en quoi le sportif qui travaille avec ses jambes, l’intellectuel qui travaille avec son cerveau, le manoeuvre qui travaille avec ses mains, le conducteur de train qui travaille avec sa tête et ses réflexes seraient moins instrumentalisés et leurs corps moins marchandisés que la prostituée qui travaille avec son sexe. Tous travaillent avec une partie de leur corps et leur cerveau. Quant à la mainmise du néolibéralisme sur la prostitution, elle doit être dénoncée ici comme ailleurs, et ce n’est pas une raison pour interdire une activité, quelle qu’elle soit, à moins d’interdire, malheureusement, la plupart des activités rémunérées.

Il n’est pas neutre que les antiprostitution se retrouvent dans de nouvelles ligues de vertu, avec les pires réactionnaires, les pires défenseurs de l’ordre moral, les fondamentalistes catholiques pour qui le sexe est tabou. Pour eux, tout argument est bon à prendre : l’antilibéralisme et la violence faite aux femmes ne sont pour eux que des paravents.