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L’objectif, c’est zéro déchet

lutter contre les incinérateurs passe par lutter pour zéro déchet

samedi 25 janvier 2014, par Daniel Hofnung

Nous avons à Ivry-sur-Seine / Paris 13 un des plus gros incinérateurs d’Europe, pouvant brûler 670 000 tonnes de déchets par an. Son projet de reconstruction, d’un montant qui atteint près de un milliard d’€, soit le double de l’aéroport de Notre-Dame des Landes, est contesté.

D’autres solutions sont possibles, comme de nombreux exemples le montrent, avec un tri des déchets pouvant atteindre 80 %.

Promouvoir la réduction, le réutilisation et le recyclage des déchets, arrêter l’incinération, c’est possible avec la démarche « zéro déchet » (zero waste)

Les objectif du Grenelle de l’environnement pour 2015 étaient de 45 % de déchets valorisés (recyclage ou compostage). La hiérarchie du traitement des déchets y était fixée : « prévention, préparation en vue du réemploi, recyclage, valorisation matière [1], valorisation énergétique [2] et élimination [3] ».

Lorsque, au moment du débat public en 2009 sur la coûteuse reconstruction de l’usine d’incinération d’Ivry-Paris 13 (évaluée maintenant à 1 milliard d’€, soit 2 aéroports de Notre-Dame des Landes), nous avons formé un collectif d’associations pour lutter contre le projet, avec ATTAC 94, les Amis de la Terre, le CNIID et des associations locales, et nous l’avons baptisé collectif 3R (Réduire, Réutiliser, Recycler) : il se plaçait ainsi dans les priorités énoncées par le Grenelle, et, en même temps, dans une démarche visant à remettre en cause notre organisation sociale basée sur le gaspillage, en s’inscrivant dans une logique de préservation des ressources et des matières premières, au sein d’un monde fini.

La réalité à laquelle nous sommes confrontés en région parisienne avec le SYCTOM (Syndicat intercommunal pour le traitement des ordures ménagères de l’agglomération parisienne) est toute autre :

Dans le dernier bilan d’exploitation du SYCTOM mis en ligne (2010), les chiffres suivants sont donnés : sur 2.516.979 tonnes de déchets ménagers traitées,

  • 1 645 709 tonnes ont été incinérées (essentiellement dans les trois usines du Syctom : Ivry-Paris 13, Saint-Ouen et Issy-les-Moulineaux) soit 65 %,
  • 495 396 tonnes ont été mises en décharge soit 20 %, et :
  • 677 881 tonnes sont comptabilisées en « valorisation matière » soit 27 % des déchets : ce chiffre, déjà bas, inclus logiquement les collectes sélectives en vue du recyclage et les dépôts en déchetterie, ainsi que les encombrants [4]. Mais il cache une réalité bien pire : il inclus :
  • 315 331 tonnes de mâchefers évacués, issus de l’incinération soit 12,5 % [5], et les 37 472 tonnes de métaux reprises en sortie de l’incinération soit 1,5 % : il reste donc environ 13 % de réel recyclage, voire moins : magistral coup de baguette magique de nos industriels : l’essentiel (20 % environ) des déchets de l’incinération, des mâchefers largement pollués, sont revenus dans les déchets recyclés et dans la valorisation matière !

A un moment où se pose la question de la préservation des matières premières, de la lutte contre un développement consumériste qui pousse à toujours plus de produits vendus pour toujours plus de profits pour les multinationales, nous devons nous demander si l’incinération elle-même n’est pas à l’image de l’organisation sociale que nous refusons. N’est-il pas absurde de brûler des produits réalisés avec des ressources que nous savons finies ? Ne faut-il pas renverser la manière de faire ?

Si les partisans de l’incinération nous la présentaient comme seule voie possible (comment voulez-vous vous débarrasser de tous ces déchets ?), nous avons mis en avant que les schémas proposés ne respectaient ni le plan régional d’élimination des déchets, ni les décisions issues du Grenelle de l’environnement.

Et qu’il était possible de réduire les déchets, en développant la réutilisation (ressourceries, réutilisation de vêtements, de contenants …), en réduisant les déchets organiques collectés avec des lombri-composteurs individuels ou des composteurs d’immeuble, en faisant la collecte des déchets organiques des professionnels de la restauration collective ou de la vente de fruits et légumes, en réalisant une collecte sélective des déchets compostables des ménages en immeuble.

Nos arguments, petit à petit ont fini par être admis en partie, des villes distribuent des lombri-composteurs ou installent des composteurs d’immeuble, en formant à leur utilisation des « maîtres-composteurs », une collecte, rendue de toutes façons obligatoire par la loi, des déchets organiques des entreprises ou collectivités est prévue.

Mais la logique des solutions industrielles reste : ils ne conçoivent que des cahiers des charges pour consulter des entreprises en leur demandant de résoudre, à leur manière, l’élimination de nos déchets.

C’est pour cette raison qu’ils proposent l’absurdité du tri-mécano-biologique (TMB) : puisque les citoyens sont censés ne pas pouvoir trier leur déchets, les industriels inventent une machine qui le fait à leur place : long cylindre rotatif percé de trous, avec des lames qui hachent les déchets, de l’eau chaude à 60 °C pour débuter la méthanisation, voilà ce qui est censé fabriquer un compost « conforme à la norme » (il ne peut qu’être conforme : la norme a été établie en fonction de ce que les industriels savent faire !), qui évidemment contient des morceaux de plastique, de métal, de piles, de tout ce qui n’est pas bon pour la terre.

Dans la plupart des pays européens, ce système est banni, et s’il y existe, c’est pour stabiliser les déchets, puis les mettre en décharge. En France, les industriels le vendent toujours, malgré l’usine de TMB détruite par 24 h d’incendie récemment à Fos-sur-Mer (photo ci-contre [6]), malgré les odeurs pestilentielles des usines de Montpellier et d’Angers, qui rendent la vie difficile aux riverains proches, malgré le refus des agriculteurs d’acheter le compost (le syndicat de communes de Montpellier doit payer pour indemniser le délégataire du préjudice !).

La lutte commence à payer : à Romainville, où une usine de TMB était prévue, l’importante mobilisation citoyenne et une action au tribunal administratif ont abouti à annuler l’autorisation accordée à l’entreprise Urbaser pour construire et exploiter cette usine.

Le Syctom nous a toujours opposé la difficulté à collecter les déchets organiques en milieu urbain dense, ou le fait que le tri avait du mal à se développer.

Et pourtant des expériences réussies montrent qu’il existe d’autres solutions :
la ville de Milan a mis deux ans à mettre en place une collecte sélective des bio-déchets en se fixant 65 % de tri sélectif en 2015, et ça marche.

Dans le Haut-Rhin en 2010 : le recyclage était de 34 %, le compostage de 15 % soit 49 %, et l’incinération de 47 %.

Mais ces chiffres cachent une autre réalité : là où il y a un gros incinérateur, les déchets valorisés ne sont que de 37 % à Colmar et 39 % à Mulhouse. (en rose sur la carte).

Mais où il y a pesée embarquée des ordures [7] et effort de tri, 10 syndicats de communes dépassant les 60 % de valorisation (en vert), dont 4 dépassent les 70 % (Ill et Gersbach 71 %, Porte d’Alsace, Wittelsheim 74 %, Rouffach 77%).

On peut nous objecter que ceci est en zone peu dense, mais ce peut être à l’échelle d’un pays (un demi-pays, s’agissant de la Belgique) entier : en Flandre la collecte sélective est de 70 % et l’Office flamant pour les déchets a l’objectif de 75 % en 2015.

Dans le cadre de la démarche « zéro déchet », quatre communes pilotes du pays basque espagnol se sont lancées dans la collecte sélective des bio-déchets et la réduction des déchets. Le taux de tri à Hernani a atteint les 80 %, les 3 autres communes-pilotes de la région atteignent des taux voisins ; la question qui se pose est maintenant d’étendre l’expérience à tout le pays basque espagnol. Le problème sur lequel ils buttent est celui des couches de bébés, qui représentent 4 à 5 % des déchets.
Ailleurs, des villes ont commencé à expérimenter les couches lavables, dans les établissements publics de la petite-enfance.

Pour les biodéchets, des villes favorisent le compostage d’immeuble, ou individuel. En cas de manque de place, la collecte des biodéchets est réalisée, comme à Fribourg (Allemagne) où pour 450 000 habitants, 26 000 tonnes de fermentescibles sont collectées, ce qui permet de produire 17 000 m3 de méthane par jour.

Il est temps de passer à l’offensive, et de montrer partout qu’il y a d’autres solutions que celles que les industriels veulent nous imposer : non, les incinérateurs ne sont pas nécessaires, oui, ils sont polluants !

A Alternatiba, les militants basques de « zéro déchets » étaient présents et ils ont fait connaître leur expérience alternative pour la gestion des déchets.

Et le 1° février, à Bobigny, de 9 h à 20 h, le mouvement « zero waste » (zéro déchet) fera sa première journée nationale en France, avec la participation du responsable de Zero Waste Europe, du ministre de l’environnement du Gipuzkoa (pays basque espagnol), d’un expert à l’Institut Agricole de Monza Park, qui parlera des expériences à Hambourg, Turin, Milan, Salerne...

La soirée se terminera par la projection du film Trashed, produit par Jeremy Iron, superbement réalisé, une vraie somme de l’état des déchets au niveau mondial.

L’entrée est gratuite mais l’inscription est nécessaire sur www.zerowastefrance.org (voir l’invitation en pièce jointe)


[1Le compostage (avec un sans production de méthane) peut être considéré comme une valorisation matière

[2C’est l’incinération avec récupération d’énergie. Une simple incinération n’est même pas évoquée.

[3Il s’agit de la mise en décharge.

[4Collectes sélectives recyclé : 114 700 tonnes, déchetteries valorisé : 14 248 t, encombrants valorisé 85 069 tonnes

[5Les erreurs de pourcentage tiennent au fait que ces mâchefers sont comptés deux fois, une première fois dans l’incinération.

[6source Médiapart

[7Les conteneurs sont pesés à la montée et à la descente lors du ramassage, ce qui permet de facturer le poids d’ordures collecté : vous payez votre électricité, votre eau et votre gaz suivant la quantité consommée. Si vous payez de la même façon vos enlèvements d’ordures, vous ferez attention à diminuer vos déchets.