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Désarmement nucléaire : une situation nouvelle

un tournant dans l’action

samedi 20 juillet 2013, par Daniel Hofnung

Le désarmement nucléaire : on n’en parle pas, la dissuasion nucléaire est considérée comme un invariant de la politique française, hors du débat politique. Elle est censée garantir la sécurité de notre pays.

Pourtant, il faudrait se poser des questions : la dissuasion a été mise en place en pleine guerre froide, elle était dirigée contre l’URSS : celle-ci n’existe plus.

L’ennemi actuel serait le terrorisme ou des États incontrôlables comme l’Iran : à quoi sert une dissuasion nucléaire dans ce contexte ? à rien.

Servirait-elle à assurer le statut international de la France : même pas, celle-ci était membre du Conseil de Sécurité avant de disposer de l’arme atomique.

La situation a changé et nos gouvernants ne veulent pas le voir, de même qu’ils refusent de prendre en compte le tournant en cours dans le désarmement nucléaire mondial : pire, ils font tout pour le torpiller (comme ils essayent de torpiller la taxation des transactions financières) . De cela, peu s’en rendent compte.

L’arme nucléaire est considérée comme normale en France.

Elles sont bien loin les manifestations des années 70 aux cris de « ni Pershing, ni SS 20 ». On était alors en pleine course aux armements, et les arsenaux nucléaires étaient plus de 3 fois plus grands qu’aujourd’hui (75.000 têtes nucléaires en 1985 comparées à 19.000) .

Depuis, il y a eu des accords d’interdiction complète des essais nucléaires (TICEN, adopté en 1996, non ratifié par les États-Unis et par quelques pays mais en vigueur sauf exceptions isolées), et une réduction des missiles de la part des grandes puissances nucléaires (accords START de 1991, SORT en 2002). La France, pour ne pas être de reste, mais hors de toute négociation afin ne pas se lier les mains, a abandonné ses missiles terrestres du plateau d’Albion en février 1996 et a réduit en 2008 de 3 à 2 escadrons sa force nucléaire aéroportée ainsi que son nombre de missiles.

Conférence après conférence, le principal traité (le Traité de Non Prolifération Nucléaire – TNP) fait du sur place. Les puissances nucléaires devraient, d’après son article VI, s’engager « à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire... ». Elles font l’inverse, poursuivent la course aux armements, ne cessant de remplacer leur matériel par un autre plus performant : la France en est ainsi à sa 6° génération de missiles embarqués à bord de sous-marins, soit depuis 1971, un changement de type de missile tous les 6 ans et trois mois [1] ! Et tous les autres pays nucléaires font de même.

Ce qui a canalisé l’attention, c’était l’enrichissement de l’uranium par l’Iran, suspecté de vouloir se doter de l’arme atomique. Le paradoxe dans l’affaire est que les États nucléaires affirment que la dissuasion est indispensable à leur sécurité : en disant cela ne donnent-t-ils pas envie aux États qui n’en disposent pas de s’en doter ?

Une tentative pour rompre avec cette situation avait eu lieu avec le dépôt en 2007 à l’ONU d’un modèle de Convention d’élimination des armes nucléaires (conçue par des ONG, portée par le Costa-Rica et la Malaisie). Si une majorité écrasante d’États la soutiennent (142 [2]), elle n’a pas fait changer d’attitude les grandes puissances.

Simultanément, en 2007, une coalition internationale d’ONG avait été créée en créée, ICAN (International Campaign to Abolish Nuclear waepons) [3]. L’appel de la campagne française avait été signé par 53 organisations dont ATTAC.

Comment enfin sortir de la situation de blocage ?

Des victoires ont été emportées ces dernières années par la société civile, entraînant une large majorité des pays du monde, pour interdire les mines anti-personnel, puis les armes à fragmentation, en raison de leur caractère, puisque elles étaient faites pour tuer ou mutiler. L’arme nucléaire n’est-elle pas dans le même cas, en bien pire, car elle pourrait même anéantir l’espèce humaine ?

Pourquoi alors ne pas l’interdire, ce qui mettrait au banc de l’humanité les États qui veulent la garder ?

C’est ce qui a amené la Croix Rouge internationale, en 2011, à voter une résolution demandant l’interdiction d’une arme, qui si elle était utilisée, ferait qu’on ne pourrait pas secourir les victimes.

Les ONG qui avaient mené les campagnes contre les mines (Handicap International...) ont réagi favorablement. La Norvège, en mars dernier, a organisé à Oslo une conférence sur le « désarmement humanitaire » à laquelle 130 états ont participé. La France, elle, a mené une campagne intense auprès de nombreux pays pour les dissuader d’y aller, par crainte sans doute que le désarmement échappe aux puissances nucléaires.

La conférence a été un succès, elle a été suivie de deux jours de réunions des ONG.

En parallèle, lors de la Prép Com (Commission Préparatoire à la session du TNP) de 2012, 16 États ont signé une résolution demandant le désarmement nucléaire en raison de l’impact humanitaire de cette arme. Après la « Prep Com » 2013, ils étaient 80 [4], qui appuyaient un texte proposé par l’Afrique du Sud.

Mieux : en 2012, ils avaient proposé à la conférence du désarmement de l’ONU la création d’une commission sur le problème du désarmement nucléaire. Cela a été refusé : qu’à cela ne tienne ! Ils ont alors fait la proposition d’un "groupe de travail à composition non limitée chargé de se réunir en 2013 pour élaborer des propositions sur le désarmement nucléaire" [5]. La proposition a été votée à l’Assemblée générale des Nations unies de 2012 [6], et le groupe, qui associe États et ONG (dont ICAN, qui y participe activement), s’est déjà réuni plusieurs fois. Il fera un rapport à la commission du désarmement.

L’objectif est clair : interdire l’arme nucléaire, rallier à la démarche une majorité écrasante d’États, pousser ainsi les récalcitrants à enfin négocier – et à désarmer.

Le revirement de la France pendant la négociation du traité contre les armes à fragmentation est à cet égard riche d’enseignements : elle s’opposait à tout accord... jusqu’à ce qu’elle bascule et l’appuie [7] !

La société civile a été moteur contre les mines anti-personnel : qu’on se rappelle le piles de chaussures, symbolisant ceux dont les jambes avaient été arrachées. Aujourd’hui elle a gagné, le traité contre les mines, entré en vigueur en 1988 engage 80 % des pays du monde et, pour les armes à sous-munitions, la convention d’interdiction est entrée en vigueur en août 2010, signée par 107 États ; si des grandes puissances (États-Unis, Russie, Chine) et d’autres pays n’ont pas signé le texte, ils ne les utilisent néanmoins plus. Un seul pays l’a fait en 2012, la Syrie, alors qu’en 2011 quatre les avaient encore utilisées.

Il faut gagner

Aujourd’hui, c’est la bataille pour interdire les armes nucléaires que nous voulons gagner. Depuis un an, avec l’aide de la Norvège, ICAN dispose d’une coordination Europe/Afrique à Genève.

Après une assemblée générale tenue à Lyon le 29 juin dernier, ICAN-France a décidé de se structurer pour faire décoller la campagne dans notre pays, qui semble être l’un de ceux qui résiste le plus à la nouvelle donne, au nom de la sacro-sainte dissuasion nucléaire.

Ailleurs, les choses bougent : même les USA commencent à reculer. Le 20 juin, dans son discours de Berlin, Obama a proposé à la Russie la réduction d’un tiers de leurs armes nucléaires et l’ouverture d’une discussion sur les armes tactiques [8].

En février 2014, une nouvelle conférence sur le désarmement humanitaire se tiendra à Mexico, de nouveaux États devraient y participer, dont peut-être des États nucléaires.

D’ici là, notre campagne devra tout faire pour ébranler la position bloquée de la France et faire que la dissuasion nucléaire commence à être perçue non comme une évidence, mais comme un mensonge français [9].

notes :
1 - « la bombe » Jean-Marie Collin, éditions Autrement
2 - « pour en finir avec l’arme nucléaire » Pierre Villard, éditions la Dispute
3 - www.icanw.org et www.icanfrance.org
4 - 2 États se sont ralliés ensuite à la proposition : http://www.icanw.org/campaign-news/78-states-sign-joint-statement-on-humanitarian-impact-of-nuclear-weapons/#.UcmQZs6P8y0
guide-plaidoyer : http://www.icanw.org/campaign-news/78-states-sign-joint-statement-on-humanitarian-impact-of-nuclear-weapons/#.UcmQZs6P8y0
5 - Pour un historique des négociations voir : http://culturedepaix.blogspot.fr/search?updated-max=2013-04-29T14:46:00%2B02:00&max-results=7
6 - http://www.unog.ch/80256EDD006B8954/%28httpAssets
%29/42E1604DE0561F68C1257B2C00691D65/$file/13-049-nvf.pdf
création du groupe et missions : http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N12/481/97/PDF/N1248197.pdf?OpenElement
7 - "l’interdiction des bombes à sous-munitions » brochure d’Handicap International6 - http://www.unog.ch/80256EDD006B8954%28httpAssets%2942E1604DE0561F68C1257B2C00691D65/$file/13-049-nvf.pdf
création du groupe et missions : http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N12/481/97/PDF/N1248197.pdf?OpenElement
8 - http://alternatives-economiques.fr/blogs/collin/2013/06/20/obama-discours-de-berlin-%E2%80%93-%C2%AB-hello-berlin-%C2%BB/
9 - Titre du dernier livre de Paul Quilès, ancien ministre de la Défense.


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Messages

  • Je réponds à Charlotte, dont le commentaire n’apparaît pas ici.

    Qu’entend-on par "désarmement humanitaire" ? Il faudrait dire "désarmement motivé par des causes humanitaires". La Croix Rouge internationale a indiqué que s’il y avait utilisation de l’arme atomique dans un conflit, elle pourrait pas secourir les populations touchées. D’où la demande d’interdiction de cette arme.

    L’interdiction des mines anti-personnel et des armes à fragmentation ont été justifiées par le fait qu’elles étaient conçues pour faire des victimes : il en est de même pour l’arme atomique, à un degré bien pire. Cette arme devrait donc être bannie.

    Vous posez la question de la Chine, on pourrait ajouter celle de l’Iran. Ces pays estiment que l’arme nucléaire leur est nécessaire parce que d’autres en disposent. Mais ils sont favorables à un processus de désarmement nucléaire. C’est pourquoi ils ont appuyé à l’ONU le modèle de Convention Multilatérale de Désarmement Nucléaire, déposée par la Malaisie et le Costa-Rica, que les USA, la France, la Russie et la Grande-Bretagne ont rejeté. L’Iran par ailleurs, serait favorable à une Zone Exempte d’Armes Nucléaires au Proche Orient, refusée par Israël qui ne veut même pas en parler, pour ne pas avouer qu’il la possède.

    Pour ces raisons, le lancement d’un mouvement pour l’interdiction de l’arme nucléaire pourrait permettre de dépasser les blocages actuels par une pression des pays et des populations.