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Désarmement nucléaire : le cheminement est lancé

mercredi 12 février 2014, par Daniel Hofnung

Les 13 et 14 février, les experts et représentants de 146 états se réunissent à Nayarit (Mexico) pour la Seconde Conférence sur l’Impact Humanitaire des Armes Nucléaires.

La France n’assiste pas à la conférence qu’elle considère « comme une enceinte inappropriée pour discuter des armes nucléaires », et elle réaffirme son attachement à cette arme. Pire, elle en justifie l’usage « à partir du moment où les intérêts vitaux sont atteints ».

Malgré les autorités Françaises, le cheminement vers le désarmement nucléaire suit son cours, lentement mais sûrement.

La seule démarche valide aux yeux de notre gouvernement est toute autre : c’est la démarche "pas à pas", qui suppose qu’on adopte (enfin !) le traité d’interdiction des essais nucléaires, qui est appliqué de fait depuis des décennies (à l’exception de la Corée du Nord), même si les États-Unis et d’autres pays ne l’ont pas signé ou ratifié. Elle passe aussi par l’adoption du traité d’interdiction de production des matières fissiles (qu’on pourrait appeler le traité de maintien des inégalités, certains États, Russie ou États-Unis ayant tellement de matières fissiles qu’ils doivent en éliminer, d’autres, comme la France ayant des stocks tellement importants qu’ils ont pu fermer tous leurs sites de production, mais d’autres, comme le Pakistan, en ayant peu et en produisant pour s’aligner sur leur rival) ; enfin, il faudrait se garantir qu’il n’y ait plus de pays "proliférants".

Comme tout ceci est très long, évidemment, chaque puissance maintient en attendant son armement "en état" (et non "en l’état"), y apportant les modernisations nécessaires pour surpasser ses rivaux : ainsi les nouveaux missiles britanniques sont efficaces contre des cibles "durcies", c’est-à-dire contre des silos de missiles russes, les missiles M51-2 succéderont aux M51-1, français, avec une nouvelle tête nucléaire, la "tête nucléaire océanique", une nouvelle génération de sous-marins américano-britannique aura un "refroidissement passif" et sera plus furtif, la Russie développe de nouveaux missiles « en mesure de franchir tous les dispositifs anti-missile « balistique existants et futurs » et prépare une nouvelle génération de sous-marins nucléaires [1]...

Le vrai nom de la démarche « pas à pas » des négociations de désarmement nucléaire devrait donc être : « course aux armements pas à pas ».

Dans le même temps, les budgets militaires croissent partout dans le monde, même si la crise a pu y apporter parfois un coup d’arrêt ou un ralentissement provisoire.
Le Monde doit-il continuer à se préparer à s’auto-détruire, car l’usage de l’arme nucléaire, plus que de toute arme « de destruction massive », signifie cela ?

La Croix-Rouge internationale a tiré la sonnette d’alarme lors de son assemblée de 2010, en mentionnant les « conséquences humanitaires catastrophiques » des armes nucléaires. Elle a renouvelé son message l’an dernier, demandant à toutes ses organisations nationales de s’emparer du sujet et d’agir auprès des gouvernements.

A l’assemblée générale des Nations Unies, le 21 octobre dernier, 124 États ont soutenu une résolution sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires. Comme d’autres armes destinées à tuer (armes chimiques, mines anti-personnel, bombes à sous-munitions), ces armes doivent faire l’objet d’un traité d’interdiction, pour lequel la mobilisation se développe afin de contraindre les puissances nucléaires à débarrasser enfin l’humanité de la seule arme qui pourrait l’anéantir totalement.

Et aujourd’hui, à Nayarit, c’est les représentants de plus de 136 États, dont plusieurs membres de l’OTAN, ou des pays alliés, comme le Japon, qui se réunissent pour faire le bilan des effets des armes nucléaires, de l’impossibilité de les atténuer, et donc de la nécessité de négocier un traité d’interdiction de ces armes.

Lors d’un récent entretien avec un proche conseiller de François Hollande, les membres du comité exécutif de la campagne ICAN (pour l’abolition des armes nucléaires) ont posé la question de la place de l’arme nucléaire. La France base toujours sa sécurité sur la dissuasion nucléaire. Celle-ci pourrait être utilisée en cas de « menaces contre nos intérêts vitaux », « étatiques, ou terroristes mais relayées par un État ».

La France pourrait-elle utiliser l’arme nucléaire en premier ? « Ce qui est susceptible de porter en danger les intérêts vitaux de la France est à l’appréciation des plus hautes autorités ».

N’avons-nous pas notre mot à dire, sur une décision si lourde de conséquences, signifiant des centaines de milliers de victimes, voire engageant la spirale vers l’anéantissement de notre civilisation ? Des pays ont adopté des positions sur cette question, la Chine n’emploierait pas l’arme nucléaire en premier, mais seulement en deuxième frappe, la « révision de la posture nucléaire » aux États-Unis exclut des menaces ou l’utilisation de l’arme nucléaire contre des États suite à une attaque conventionnelle, chimique ou biologique (mais par contre elle la permet contre les États suspectés de ne pas respecter le TNP).

Derrière ce débat se trouve la question des frappes nucléaires "préventives" contre un État suspecté de se doter de l’arme nucléaire. La doctrine des autorités françaises l’exclut-elle ? On aurait aimé en être sûr.

Débattre des conditions d’utilisation de l’arme nucléaire, débattre de mesures de désarmement, telle la suppression de l’état d’alerte permanent pour les sous-marins, voilà aujourd’hui des nécessités, comme l’est la fin de la course aux armements et de la modernisation incessante, dont la vraie raison ne serait-elle pas la volonté de préserver un appareil industriel de pointe ainsi que les pressions des lobbys d’armement ?

Jadis, en 2003, des ONG ont poussé à la signature d’un traité d’interdiction des bombes à sous-munitions. Les autorités françaises s’y opposaient, en particulier l’État-major militaire, car plusieurs armes, dont un missile de croisière, étaient de ce type. Puis a été lancé le processus d’Oslo, avec une conférence internationale, à laquelle le gouvernement Français ne voulait pas assister, mais à laquelle il a finalement été représenté. Les élections présidentielles de 2007 sont passées, et en fin de compte la France a signé le traité en 2008. [2]

Le développement d’une campagne internationale peut faire évoluer des positions que nous percevons comme bloquées actuellement.

L’arme nucléaire est un reste de la guerre froide, elle ne correspond pas aux nécessités pour l’humanité aujourd’hui : abolissons-la, interdisons-la !


[1voir mon article sur le sujet, chapitre d’un ouvrage collectif de la campagne ICAN à paraître

[2voir la brochure de Handicap International, "l’interdiction des bombes à sous-munitions" histoire de l’engagement français dans le processus d’Oslo

Messages

  • Comme on le sait, le débat sur l’arme nucléaire est tabou dans notre pays. Il fait partie du "domaine réservé", incompatible avec la démocratie. Comme des dizaines de millions de citoyens français je n’ai jamais été consulté sur la doctrine nucléaire militaire. Il me parait tout à fait impropre dans cet article de confondre la France, c’est à dire le peuple de France avec le président de la république ou le gouvernement français. J’aurais aimé plus de précision.
    A la place de "La France n’assistera pas à la conférence n’aurait-il pas mieux valu écrire "Le gouvernement français a décidé de boycotter la conférence ...Remplacer "Malgré la France le cheminement vers le désarmement ...par "Malgré le gouvernement français...", "aux yeux de notre pays" par "aux yeux de notre gouvernement ...", "La France base toujours sa sécurité sur la dissuasion.." par"Le gouvernement français base toujours la sécurité de notre pays ...., "La France pourrait-elle utiliser l’arme nucléaire en premier par "Notre Président de la République pourrait-il utiliser l’arme nucléaire en premier....,etc...
    Je ne pense pas que la France approuve tout ce que le gouvernement et son Président déclarent et font en son nom, notamment dans les domaines qui n’ont jamais fait l’objet d’un débat démocratique.
    En toute amitié.

    Jean-Claude Bauduret

  • Je souscris tout à fait à ces critiques : à force de lire des textes officiels, on peut reprendre leurs termes ! j’apporte donc quelques corrections (avantage d’internet : le texte est vivant !)

    La conférence de Nayarit (Mexico) vient de se finir, avec au moins 136 États représentés, un fort désir d’avancer vers une interdiction des armes nucléaires, une nouvelle conférence est prévue à Vienne en septembre ou décembre prochain, pour construire dans ce sens.
    Des précisions et des dates sont attendues.

    En attendant, nous développons la campagne, du nouveau matériel est prévu : livre, film.