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COP 26 : pour une approche basée sur le cycle de l’eau

dimanche 7 novembre 2021, par Daniel Hofnung

Alors que la COP 26 se tient à Glasgow, Il n’y a pas une mais au moins deux manières d’aborder le changement climatique actuel. Le sixième rapport du GIEC alerte sur les risques d’un réchauffement climatique dépassant les 2° si des mesures fortes ne sont pas prises. En juillet dernier, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement publiait un document de synthèse basé sur une analyse différente, alertant sur le dérèglement du régime des précipitations et l’assèchement des sols, et appelant à l’arrêt de toute déforestation.

Il y a en effet plusieurs manières d’aborder le changement climatique actuel.

L’une est celle adoptée par les États participant à la prochaine COP 26, qui s’est ouverte le 31 octobre prochain. Le sixième rapport du GIEC alerte sur la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre si nous voulons limiter le réchauffement climatique à 1,5° ou 2°, alors qu’on se dirige, selon la plupart des scénarios, vers une hausse bien plus importante. Cette approche concentre l’attention des médias du monde entier et appelle à des décisions fortes pour limiter les émissions de gaz à effet de serre.

Une autre, peu ou pas médiatisée, a été développée récemment dans une synthèse (Foresight Brief n° 25 de juillet 2021) du Programme de Nations Unies pour l’Environnement (PNUE). Elle se concentre sur la baisse de l’évapotranspiration des plantes, en particulier suite à la déforestation, sur l’assèchement des sols et sur la perturbation du cycle de l’eau.

Des militants de l’eau ont traduit cet article,"Travailler avec les plantes, les sols et l’eau pour rafraîchir le climat et réhydrater les paysages de la Terre"

Il indique en conclusion : "Le rétablissement des cycles d’humidité atmosphérique et terrestre sur la végétation, sur les sols et dans l’atmosphère est de la plus haute importance pour refroidir la planète et sécuriser les régimes de précipitation dans le monde. L’assèchement des milieux naturels est le prix de l’échec. L’arrêt de la déforestation, l’augmentation de la reforestation et la mise en œuvre de pratiques agroforestières sont obligatoires si nous voulons réussir à éviter une catastrophe climatique."

Les deux grilles d’analyse aboutissent à prévoir une catastrophe climatique en cas d’inaction. Le GIEC prévoit la hausse des températures et la multiplication des événements climatiques violents. Le PNUE évoque un dérèglement du régime des précipitations et une augmentation de la sécheresse. Et il indique qu’entre 18% et 40% du réchauffement climatique actuel sont dus au changement de couverture des sols avec sa conséquence sur la baisse de l’évapotranspiration des plantes.

Les solutions préconisées sont très différentes : d’un côté (GIEC), la baisse des émissions de gaz à effet de serre, de l’autre (PNUE) l’arrêt de la déforestation, la reforestation et la modification des pratiques agricoles.

Cette démarche est celle adoptée depuis des années par les militants de l’eau. Au moment de la COP 21, la brochure "eau et climat" avait été éditée par France Libertés, en lien avec la Coordination Eau Ile de France et d’autres organisations, Michal Kravick, hydrologue et président de Ludia a voda (eau et peuple) en Slovaquie avait été invité à une université européenne d’ATTAC et au Forum Social Mondial ( de Slovaquie) sur eau et climat ; "eau, bien commun. climat, territoires, démocratie" (Passerelle n° 18 COREDEM) a été publié et aborde cette question, tous ont cette grille de lecture... J’ai moi-même publié de nombreux articles sur le sujet dans mon blog "paix et mutations" sur le site d’ATTAC-France et dans les Possibles n°23 "reforestation et changement d’agriculture, des clefs pour la rupture".

Il serait temps d’ouvrir les yeux sur la question de la déforestation. Déjà, en Amazonie, elle est responsable de la disparition du climat équatorial (saison très humide/ saison des pluies) remplacé par le climat tropical (saison sèche/saison des pluies) ; elle a des conséquences à longue distance (par exemple disparition de zone humide à la frontière Brésil-Paraguay-Argentine). La déforestation pour produire de l’huile de palme à Bornéo a causé une baisse des précipitations, et une augmentation des températures extrêmes, toutes deux défavorables à la culture du palmier à huile, alors que c’est cette culture qui est à l’origine de la déforestation (voir déforestation et incendies de forêt en Amazonie quelles conséquences pour le climat de la planète )

D’où proviennent les différences entre les deux analyses - celle du GIEC et celle du texte du PNUE - ?

Le texte du PNUE est centré sur les conséquences du changement d’utilisation des terres au niveau de l’évapotranspiration des végétaux, en particulier en lien avec la déforestation, avec aussi l’évolution des systèmes agricoles.

Le changement d’utilisation de terres est aussi pris en compte dans le rapport du GIEC (résumé à l’attention des décideurs, traduction non officielle) mais dans A.1.8 fig. SPM2 b) et c) du point de vue de la réflectance d’une part, de la réflectance et de l’irrigation d’autre part. Alors que le texte du PNUE est centré pour l’effet de la modification d’utilisation des sols sur l’évapotranspiration et l’émission de vapeur d’eau, tout en évoquant aussi la réflectance.
(NB : la réflectance (ou aldebo) est la proportion de rayons solaires réfléchis par les diverses surfaces terrestres.)

L’évapotranspiration des végétaux est bien prise en compte dans le rapport du GIEC (A 3.5, schéma SPM3) mais uniquement du point de vue du bilan hydrique des sols en surface (précipitations moins évapotranspiration), l’émission de vapeur d’eau par les plantes lors de l’évapotranspiration et le devenir des nuages de vapeur d’eau qui en sont issus n’est pas étudié. Le chapitre 8 du rapport (Water cycle changes) n’étudie que l’effet du changement climatique sur le cycle de l’eau, mais pas comment les changements anthropiques du cycle de l’eau ou de la production de vapeur d’eau par la végétation influent sur le climat.

Le texte du PNUE au contraire est basé sur le cycle de la vapeur d’eau issue de l’évapotranspiration (en particulier des forêts) et de son évolution en cas de changement de la couverture des sols (en particulier suite à la déforestation). Il met en avant la circulation de celle-ci dans les "rivières volantes" de vapeur d’eau qui circulent sur de très longues distances et contribuent aux précipitations sur les continents.

Une étude sur le terrain en Amazonie avait été faite en montgolfière pendant plusieurs années par l’explorateur Gérard Moss, en collaboration avec le chercheur brésilien Antonio Donato Nobre. L’air humide qui s’échappe de la forêt Amazonienne représenterait environ 20 milliards de tonnes d’eau par jour, soit plus que le débit du fleuve Amazone (17 milliards de tonnes d’eau par jour) et contribue à l’humidité de tout le continent sud américain, à l’est de la cordillère des Andes. Elle a fait l’objet d’une exposition à Lausanne l’été 2020, que j’avais pu visiter en compagnie de Gérard Moss. Les conséquences de la déforestation ne touchent pas que les flux de vapeur d’eau, le gulf stream aussi est affecté.

L’étude du cycle de la vapeur d’eau issue de l’évapotranspiration des arbres et des autres végétaux amène à une autre vision du changement climatique, où l’influence du changement de la couverture du sol ne se limite pas à la réflectance, mais a une conséquence importante sur l’évapotranspiration et la génération de vapeur d’eau. L’ensemble du cycle de l’eau est affecté, avec en particulier les précipitations et l’humidité dans les sols.

On a donc deux visions de l’origine du changement climatique qui devraient se compléter. L’urgence sur la question des émissions de gaz à effet de serre est connue et médiatisée, même si sa prise en compte par les États tarde à venir. L’urgence à arrêter la déforestation, la nécessité de reforester et de modifier le système agricole le sont moins, et il serait urgent d’y répondre, avant que cela n’aboutisse à une catastrophe climatique. Il ne faut pas oublier que les forêts primaires actuellement détruites ont mis plusieurs centaines d’années à se constituer, les dommages causés par la faute de politiciens inconscients et pour l’appât du gain le sont pour longtemps. L’accord sur la déforestation adopté à Glasgow qui prévoit de l’enrayer d’ici 2030 est hélas aussi peu crédible que les autres promesses non tenues de ces conférences. Quand arriverons-nous à non seulement arrêter la déforestation mais à commencer à réparer les dégâts commis en reforestant avec le respect de la diversité végétale ? Et quand arriverons-nous à changer le système agricole, pour arrêter de détruire la vie dans les sols et pour les enrichir à nouveau ?