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Climat : rendre l’eau à la terre

une alternative à la géo-ingénierie et à la fuite en avant technicisite

samedi 5 octobre 2013, par Daniel Hofnung

Le cinquième rapport du GIEC, publié le 27 septembre, considère qu’il est « très probable » que l’activité humaine soit responsable du réchauffement climatique.

Il préconise la baisse des émissions de gaz à effet de serre, mais on sait la difficulté de la communauté internationale à engager une bifurcation qui signifierait de s’inscrire dans le long terme, d’éviter le gaspillage des ressources naturelles et énergétiques d’un monde fini, et de tirer les conséquences du fait qu’elles ne sont pas illimitées.

Il évoque, pour la première fois une autre voie : la géo-ingénierie ou modification artificielle du climat, en le refroidissant, ce qui serait un constat d’échec des tentatives pour arrêter de le réchauffer.

Dans les chapitres 6 et 7, les rédacteurs consacrent une vingtaine de pages aux techniques « d’extraction du CO2 de l’atmosphère (CDR) ou de diminution du rayonnement solaire (SRM) » [1].

Cette issue est prise en compte par des décideurs, ainsi l’Union Européenne s’est dotée d’un organisme sur la question, EuTrace, en regroupant des chercheurs d’une petite dizaine de pays (pour la France : du CNRS) après avoir constaté que « l’Ingénierie Climatique (IC) attire rapidement l’attention des milieux scientifiques, politiques, commerciaux et l’opinion publique comme pouvant aller de pair avec l’atténuation du changement climatique » [2]
Une de ses missions est d’« identifier les failles les plus importantes dans la compréhension actuelle de l’Ingénierie Climatique. » : comment le comprendre ? Est-ce une préparation à la possibilité d’utiliser l’ingénierie climatique ?

Avec une telle option, les réponses au changement climatique seraient des artifices techniques basés sur l’épandage de produits chimiques dont on ignore les conséquences, à l’opposé de la mutation nécessaire de nos sociétés vers des sociétés du « bien-vivre » respectant les équilibres de la nature. Choisir la voie de la géo-ingénierie, c’est masquer les déséquilibres pour pouvoir continuer de polluer et de gaspiller sans rien changer, en s’engageant peu à peu vers un monde non vivable.

L’humanité n’a pas fait que développer les émissions de gaz à effet de serre ; elle a aussi gravement perturbé ou détruit le cycle de l’eau (pompage excessif dans les nappes, irrigation, artificialisation des sols...) Les rapports n’évoquent pas l’action du cycle de l’eau sur le climat, sujet rarement traité, mais peut-on le reprocher au GIEC ?

Non, il a travaillé sur la base d’un millier d’article publiés dans des revues à comité de lecture sur le sujet qu’il traite ; or si l’effet du changement climatique sur les cycles de l’eau est étudié, l’inverse, c’est à dire l’effet des modifications du cycle de l’eau sur le climat, n’est pas ou pour ainsi dire pas étudié [3]. Ce type d’étude n’est pas financé, ce qui fait que notre système s’est fermé à des réponses qui se placeraient non dans un cadre techniciste, mais au niveau de la restauration du rôle de l’eau dans l’environnement.

De quoi s’agit-il, et d’abord, quelle est la situation ?

A la campagne, les haies ont été supprimées, l’agriculture productiviste a utilisé force pesticides qui tuent la vie naturelle des sols, les rendent plus compacts, imperméables et favorisent le ravinement. Partout l’artificialisation des sols a accompagné la croissance urbaine : les eaux urbaines, canalisées sont évacuées vers les stations d’épuration puis à la mer. Les villes, manquant d’espaces naturels où l’évapotranspiration des arbres joue un rôle de climatiseur naturel [4] deviennent des îlots chauds, où la température en fin de journée, l’été, est souvent de 4° supérieure à celle des campagnes environnantes [5]. Ces îlots de chaleur urbains peuvent, avec leur colonne d’air chaud, accélérer la vitesse du vent lors d’une tempête et transformer celle-ci en véritable désastre [6]. On a là une explication de certains événements climatiques extrêmes, et en même temps un moyen d’agir sur leur cause.

La terre est de moins en moins saturée d’eau, comme elle l’était par le passé, ce qui favorise à la fois la réduction des débits des rivières l’été et des inondations suite aux orages, avec le ravinement des sols [7].

La moindre évaporation des terres agricoles exploitées intensivement tend à augmenter leur température l’été, ce qui modifie la répartition des masses nuageuses et les pluies sont écartées des zones plus chaudes (villes, campagnes avec agriculture intensive) et augmentent sur les zones de montagne [8].

La modification du petit cycle de l’eau par l’homme – cycle qui localement se traduit par l’évaporation, puis la formation des nuages et la pluie – au profit du grand cycle de l’eau (où l’eau ne s’évapore pas sur place mais est conduite à la mer) a, on le voit, des conséquences sur le climat. A l’extrême, elle mène à la désertification ou à la semi-désertification, constatée par exemple autour de la mer d’Aral à l’époque de l’agriculture intensive irriguées des fermes collectivistes.

Contrairement aux solutions technicistes proposées par la géo-ingénierie, l’action sur le cycle de l’eau nous donne des moyens pour corriger certains effets du changement climatique, mieux répartir les températures sur un territoire, éliminer ou réduire certains extrêmes, qu’ils soient de température ou de vent.

Les moyens ? Redonner partout l’eau à la terre, à la campagne, par des micros-ouvrages (petites digues ou retenues en série sur le cours haut des rivières, pour en ralentir le cours et favoriser l’infiltration de l’eau dans la terre), par des étangs, des zones humides, des fossés autour des champs recoupés par des haies. Limiter les vents et la température des champs par l’agroforesterie, qui combine agriculture et arbres peu denses, dont l’enracinement profond est favorisé par les céréales plantées à leur pied. Rompre avec l’usage des pesticides ou adopter des pratiques en limitant au l’emploi au maximum comme l’agriculture intégrée, afin de favoriser l’aérage de la terre par la vie biologique en son sein, et restaurer ainsi sa capacité à infiltrer et à stocker l’eau.

A la ville, lutter contre l’étalement urbain, favoriser l’infiltration de l’eau dans la terre (noues, chaussées réservoirs, parkings perméables, bassins secs ou en eau), infiltrer les eaux de toiture (puits d’infiltration, tranchées drainantes...). Proscrire les parcelles sans zone de pleine terre plantée d’arbres, favoriser suivant les cas les toitures végétalisées. Ne pas faire d’aménagement urbain sans espaces plantés d’arbres créant des « zones de fraîcheur »...

Des solutions sont multiples, connues, déjà utilisées : il ne reste qu’à les généraliser, à en faire une règle.

Est-ce que cela annulera le réchauffement climatique ? Non, puisque ses causes n’auront pas disparu. Mais cela le contournera, en atténuera ou supprimera les effets les plus négatifs : les extrêmes climatiques, des événements violents. Et certains aspects du réchauffement de négatifs deviendront alors peut-être positifs, avec l’extension plus au nord de certaines cultures.

Pour restaurer le climat, il n’est pas besoin d’aller chercher les recettes d’apprenti-sorcier de la géo-ingénierie : il suffit d’appliquer largement les recettes que nous connaissons, et de rompre enfin radicalement avec ce productivisme qui nous mène à la catastrophe.


[1Le journal de l’environnement 29/9/2013 « efficace la géo-ingénierie » par Valéry Laramée de Tannenberg

[2http://www.eutrace.org traduction non-officielle

[3Voir mon article sur ce blog « pour un nouveau paradigme de l’eau » et www.waterparadigm.org (en anglais)

[4un arbre mature peut perdre jusqu’à 450 litres d’eau par jour et engendrer un rafraîchissement important, équivalent à cinq climatiseurs individuels fonctionnant pendant vingt heures. ADEME « adaptation au changement climatique, 12 fiches « agir dans les collectivités locales » fiche 6 « valoriser les zones de fraîcheur urbaines »

[5Ibidem, fiche 5 « réduire les îlots de chaleur urbains ». J’ai moi-même mesuré 5° entre une campagne de l’Yonne et la banlieue parisienne une fin de journée d’été. En traversant une forêt, il y avait un degré de moins.

[6Michal Kravcik et alt. « water for the recovery of the climate, a new water paradigm » People and water, exemple cité dans mon précédent article « pour un nouveau paradigme de l’eau »

[7Voici un témoignage dans une campagne française, donné par Mireille, lectrice de mon article précédent sur l’eau « Je suis stupéfaite de l’état des rivières dans l’Auxois (là où j’ai des repères dans le temps ce qui me permet de comparer). Les débits ont diminué de plus de la moitié en trente ans, les cours d’eau gonflent après une pluie d’orage et redeviennent un filet d’eau quelques heures après .... »

[8Michal Kravcik, ibidem, exemples de la Slovaquie et du bassin du Danube.