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Pour un contrôle démocratique de la gestion des affaires publiques-2010 (M Boudet-T Brugvin-C Delarue-V Gallais)

samedi 16 juin 2012, par Groupe Société-Cultures

Si la République vise, via la démocratie, la cohésion sociale et le bien commun, alors il faut remarquer qu’avec la montée des inégalités,s’est accru un phénomène de double dégénérescence de la République et de la démocratie. L’Etat social perd de son statut protecteur du peuple face aux puissants. C’est que les oligarchies ont toujours agi pour brider les droits démocratiques et pour s’approprier la République. Une majorité des problèmes socio-économiques relève de la prégnance du capitalisme néolibéral, dont une large part des activités politiques et économiques sont certes légales et relativement démocratiques, Cela dit, de nombreuses autres s’avèrent illégales et adémocratiques. Or, ce n’est pas sans incidence sur les orientations politiques et économiques nationales, au-delà internationales.

I - De quelques affaires politico-financières symbolisant les dérives du système démocratique

Face à la crise démultipliée du système néo-libéral, le combat pour la démocratisation des institutions nationales est une nécessité. A l’échelle de l’Union européenne, la Grèce, l’Espagne, le Portugal, la Hongrie… sont autant de pays dont les acquis sont dramatiquement menacés par les marchés et lobbies financiers, qui tentent d’imposer leurs diktats aux gouvernements en place. En France, depuis 2007, l’Etat social et même l’Etat de droit sont progressivement phagocytés par la présidence sarkozyste. Une véritable crise de régime s’est ouverte, à l’occasion du débat sur le projet de contre-réforme des retraites : est-il légitime en effet que des sacrifices croissants soient imposés au plus grand nombre par la caste d’affairistes actuellement aux commandes ?

Ainsi, depuis la mi-juin 2010, pas un jour ne passe sans que des accusations de malversations financières ne soient enregistrées par les médias à l’encontre de certains membres du gouvernement ainsi que de l’actuel président de la République. Soupçons de conflits d’intérêt, de fraude et d’évasion fiscales, de trafic de biens publics et de récompenses honorifiques, de financement occulte de campagnes électorales… Le départ précipité de l’épouse d’Eric Woerth, ministre du Travail, de la société qui gère la fortune de Liliane Bettencourt (première fortune de France), la démission de deux secrétaires d’Etat, Christian Blanc et Alain Joyandet, celle d’E. Woerth de son poste de trésorier du parti au pouvoir tout autant que son blanchiment par une juridiction interne à son ministère et l’absence d’enquête judiciaire indépendante ont été autant d’aveux d’un mélange des genres inconvenant. Comme l’a été la proposition de Jacques Chirac ancien président de la république et de son parti l’UMP de négocier un non-lieu en indemnisant la mairie de Paris des salaires indûment versés pour emplois fictifs pendant des années (2,2 millions d’euros).

On le sait, ces affaires qui se situent entre absence de séparation des pouvoirs et illégalités, s’égrènent régulièrement depuis des décennies et singulièrement depuis 2007. Certaines parviennent à faire l’objet de procès, qui sont trop souvent inaboutis, d’autres sont rapidement écartées par les pouvoirs en place. Outre celles qui ont été citées précédemment, on se rappelle l’affaire des marchés publics en Ile de France, le procès Elf dans lequel était inculpé le président du Conseil constitutionnel de l’époque Roland Dumas, l’Angolagate et le procès de Charles Pasqua ancien ministre de l’Intérieur, l’affaire des délits d’initiés à Airbus, l’affaire du Crédit lyonnais, celles de l’UIMM, du contrat de la SOFREMI et du casino d’Annemasse (Charles Pasqua), celle de l’hippodrome de Compiègne, l’affaire de Karachi, pour laquelle Nicolas Sarkozy et Edouard Balladur ancien premier ministre pourraient être mis en examen pour le financement de la campagne de ce dernier, l’affaire tapie-Lagarde du crédit Lyonnais. Sans parler du projet népotiste, heureusement contrecarré par la mobilisation citoyenne et médiatique, de gestion de l’EPAD, le plus grand centre d’affaires européen, par le fils du président, étudiant en Droit âgé d’une vingtaine d’années ! Autre exemple de coup de force et d’aberration gestionnaire, la nomination par l’Elysée et contre la volonté des conseils d’administration, de François Pérol, à la tête de la Banque Populaire et du Crédit agricole fusionnés : or, ce dernier est à l’origine des placements en bourse Natixis dont la faillite, dans le contexte de la chute des subprimes, conduisit à la ruine de maints actionnaires.

Après l’échec du procès ELF, l’Angolagate est un autre échec de la justice républicaine. Le renforcement de l’autonomie du pouvoir judiciaire, le contrôle par le Parlement de la politique internationale française, la réhabilitation de la coopération franco-africaine, la promotion d’une francophonie de progrès et ouverte sur les cultures des peuples sont autant de conditions nécessaires à l’éradication de la Françafrique et au regain démocratique dans les pays francophones, mais aussi en France.

Les bénéficiaires du système de non-droit auquel s’attaque Denis Robert ne restent pas sans réagir, et se succèdent les procès à l’encontre de ce citoyen politiquement très gênant, qui est à l’origine de l’appel de Genève (1996) en faveur d’une justice européenne indépendante des pouvoirs financiers. Dernier procès en date, l’affaire Clearstream manifeste en France la récupération du débat judiciaire sur les paradis fiscaux par des dirigeants politiques qui se disputent le pouvoir d’Etat, le président de la République Nicolas Sarkozy et un ancien premier ministre, Dominique de Villepin en l’occurrence. La résolution du G20 réuni à Pittsburg (2009) sur la résorption des paradis fiscaux suffira-t-elle à résoudre ce problème ? On peut en douter si dans le même temps, un contrôle populaire des caisses de compensation n’est pas effectué et si les droits démocratiques ne sont pas réhabilités et promus dans des pays comme la France.

II - Les dévoiements du système public républicain et démocratique

A) Intra-muros, main basse du capital sur la République

1) Les banquiers privés placent leurs hommes au cœur des Etats et privatisent à nouveau la création monétaire

George Pompidou était un banquier, de 1945 à son élection comme président de la République en 1969. Il exercera des fonctions au sein du gouvernement français tout en continuant durant plusieurs périodes à travailler au service de la banque Rotschild. Cela ne l’empêchera pas d’être nommé en 1959 au Conseil constitutionnel.

Sous l’influence du Conseil national de la résistance, la banque de France avait été nationalisée en 1945 par le Général de Gaule, donc durant cette période l’Etat retrouva le contrôle sur le crédit et sur la monnaie. Mais avec Pompidou et de Giscard d’Estaing, l’article 25 de la loi du 3 janvier 1973 "interdit au Trésor public d’être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France". L’Etat français bascule donc à nouveau sous l’emprise financière directe des banquiers privés. Depuis lors, la progression exponentielle de la dette de la France est en grande partie due à l’émission de la monnaie par le secteur privé.

2) Le capital de la grande distribution organise le dévoiement de la République contre le petit commerce

Depuis la circulaire Fontanet en 1960 (interdiction du refus de vente), puis des tentatives affichées de régulation comme la loi Royer en 1973 ou les lois Galland et Raffarin en 1996 jusqu’à la Loi de modernisation de l’économie12 en 2008, c’est tout un arsenal législatif qui a permis – par son respect ou son contournement toléré (contrôlé de façon souvent laxiste et objet de corruptions diverses) – à la grande distribution de s’imposer, sous couvert de prix bas pour les consommateurs (selon le principe « un îlot de pertes dans un océan de profits ») et de création d’emplois immédiatement visibles (en fait au détriment d’emplois13 bien plus nombreux dans le commerce et dans la production en France, à la faveur d’importations / délocalisations croissantes). Pendant longtemps, et notamment avant les lois de 1991 et 1993 sur le financement des partis, les acteurs de la grande distribution ont « arrosé » les partis politiques comme les élus locaux et nationaux.
Le secteur pouvait ainsi s’assurer un développement exponentiel et la constitution de fortunes colossales et autres résultats financiers phénoménaux. C’est aujourd’hui un oligopole qui assure l’essentiel du commerce en France à travers 6 centrales d’achat (avec l’appui de centrales d’achat internationales domiciliées en Suisse), et des entreprises habilement pilotées par des stratèges qui agissent selon une conception purement financière de l’économie .

B) Extra-muros, une République qui soutient le colonialisme.

1) La tradition de l’impérialisme français

C’est également l’absence de contrôle parlementaire, médiatique et citoyen qui est responsable du maintien de structures de domination post-coloniales, à l’égard des pays d’Afrique francophone. Ainsi, une large partie du soutien de la cellule africaine de l’Elysée, vis à vis des dictateurs, des guerres, des déploiements de l’armée française, etc. vise à protéger les intérêts des entreprises françaises.

Les gouvernements et les ministères (de la Coopération, de la Défense.. ) sont souvent doublés par des officines parallèles. C’est le cas du réseau Foccart, travaillant pour Elf, qui dirigeait en sous- main toute la politique africaine de la France. Ces institutions politiques ou économiques, qui devraient normalement fonctionner dans la légalité, sont dans les faits responsables ou complices de crimes de guerre et même de crimes contre l’humanité. C’est l’aveu en demi-teinte qu’a fait Sarkozy à Kigali en février 2010, à propos des responsabilités de l’Etat français dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994. En parallèle à la démocratisation des institutions nationales, il est temps de neutraliser le système parasite du néocolonialisme qui, avec d’autres facteurs impérialistes et de domination endogène, entrave la démocratisation et le développement des pays d’Afrique francophone .

2) La Vème République et la françafrique

En France, le néolibéralisme s’appuie sur une lourde tradition d’autoritarisme impérial intra comme extra muros, véhiculée par les institutions de la 5e République. Le présidentialisme est la clef de voûte de ce système qui cantonne l’exercice démocratique à des procédures de délégation de pouvoirs et de consultation facultative des citoyens :
« En France, la mystique républicaine a conservé des traits du légitimisme monarchique : d’où cette étrange institution qu’est le président de la République, monarque élu mais omnipotent, dont Sarkozy n’a fait qu’accentuer les traits jusqu‘à la caricature. Conception monarchiste qui imbibe les représentations mentales dans tous les niveaux de la pyramide représentative –jusqu’à l’extérieur du système politique, dans les entreprises, les syndicats, les associations… »14

C) La tendance de fond : Le libéralisme économique a besoin d’un Etat autoritaire

La République libérale et la démocratie libérales ne sont que des avortons de République et de démocratie. La gouvernance, le vrai nom de ce système néolibéral, marque l’emprise du capitalisme financier sur les institutions publiques démocratiques et sociales. C’est au peuple de reprendre ce que la classe dominante lui a volé.

« il faut prendre la mesure de la nouveauté que constitue le néolibéralisme dans l’histoire du capitalisme. L’Etat disposait auparavant d’une relative autonomie par rapport au capital et pouvait, en cas de crise sociale majeure, lui imposer des compromis (…). Avec le néolibéralisme, tout se passe comme si l’Etat, colonisé par la finance, avait cessé d’être un recours possible contre l’emprise du capital. Ces pouvoirs exercent désormais conjointement leur domination sur la société. La logique coercitive de l’Etat et la logique d’accumulation illimitée du capital, loin de se contrebalancer, se renforcent mutuellement. Alors que les élites politiques étaient sociologiquement distinctes des élites économiques, elles tendent désormais à fusionner en une seule classe dominante, au caractère d’ailleurs de plus en plus transnational. On peut qualifier ce phénomène « d’hyper pouvoir étatico-financier ». 15

Ce néo-libéralisme autoritaire favorise la montée en puissance de réseaux et de lobbies d’affaires qui investissent les instances de décision républicaines. La richesse ne repose pas seulement sur l’argent mais aussi sur des réseaux sociaux et un capital de privilèges socioculturels transmis par des dynasties familiales16. Pour exemple, Valérie Pécresse17, qui fit voter la LRU et un dispositif de privatisation de l’Université et de la recherche au compte du patronat de l’industrie et du commerce, est liée à l’empire Bolloré. Parallèlement aux réseaux politiques, on trouve des réseaux économiques : dans le relations entre la France et l’Afrique, les réseaux les plus influents sont ceux d’Elf-Total, Bolloré-Rivaud, Bouygues, Castel… Les mêmes personnages se retrouvent dans les différents conseils d’administration des entreprises du CAC 40 et dans des groupes de pression européens et internationaux tel le groupe de Bilbderberg, issu de l’école de Chicago. Le néo-libéralisme a généré des castes ou des clans politico-financiers, qui sévissent aux côtés des G7 et des G20, et cela à l’encontre de la démocratisation des institutions internationales : ONU, Union européenne…etc

En France, la collusion des équipes politico-financières (Sarkozy/Bolloré ; Woerth/Bettencourt/Eric de Sérigny, l’un des fondateurs du premier cercle des donateurs de l’UMP ; Breton/Lagardère ; Chirac/Dassault ; Mitterrand/Tapie ; Dumas/Le Floch-Prigent/Elf…) tout comme l’autoritarisme présidentiel et républicain ont conduit à une pléthore de cas de délinquance financière, peut-être inégalée à l‘échelle des pays occidentaux. Selon certains observateurs (Mediapart…), leur degré de parasitisme est en telle expansion que ce serait désormais l’une des causes principales du déficit des budgets publics. De leur côté, les réseaux maffieux françafricains, encore en activité cinquante ans après les indépendances, sévissent toujours plus à l’encontre des intérêts vitaux des peuples du Sud. Ainsi, le Niger et le Tchad, généreux pourvoyeurs de matières premières pour les entreprises françaises (l’uranium pour Areva, le pétrole pour l’entreprise Total.. ) sont-ils condamnés à la famine dans la même période.

Au-delà des individus mis en cause pour corruption, c’est donc tout un système politico-financier qui implose du fait de l’abus d’une politique unilatérale et sans contrôle suffisant, au service des intérêts des plus riches.
« Un rapport parlementaire de juin 2010, présenté par Gilles Carrez, député UMP, estime que les réductions ou « niches » ou exonérations d’impôts et de cotisations sociales accordées depuis 2000, au bénéfice pour l’essentiel des plus riches et des entreprises, représentent pour le budget de l’État un manque à gagner annuel compris entre 100 et 120 milliards d’euros, soit 5 à 6 % du PIB.

On trouve, dans le numéro d’octobre 2009 d’Alternatives économiques, un calcul simple. La débauche de cadeaux fiscaux (dont les plus riches ont bénéficié en priorité) opérée entre 2000 et 2010 représente une perte annuelle de ressources publiques de 82 milliards d’euros (les recettes de l’Etat sont passées de 18,3 % à 14,1 % du PIB !). Et, ajoute l’auteur, Guillaume Duval, « contrairement à une idée répandue, cette chute est très loin d’être compensée par la montée des impôts locaux : la recette de ces taxes, par ailleurs très injustes car non progressives, n’a augmenté dans le même temps que de 4,6% à 5% du PIB ». La principale explication de la dette publique se trouve dans la politique délibérée de réduction de la part des recettes fiscales dans la richesse économique nationale. « 

Depuis 2007, afin de préserver les privilèges de cette caste d’affairistes protégée par une législation complaisante (dépénalisation du droit des affaires, mise en place du bouclier fiscal, privatisation des services publics... ), il faut rappeler que le régime Sarkozy a accumulé les atteintes aux libertés publiques, aux acquis sociaux ainsi qu’aux droits des minorités et des catégories discriminées. Le cadre de l’Union européenne n’a en rien permis d’endiguer un tel phénomène :

« Les scandales qui ont secoué le sommet de l’État français peuvent donner lieu à deux lectures. La première, proposée par la plupart des médias et des acteurs politiques, fait de la corruption et du conflit d’intérêts la cause des affaires Bettencourt-Woerth, Blanc, Joyandet, Boutin et autres. Sans être fausse, cette vision est partielle car elle ne dit rien sur les racines véritables de ces affaires, et donne à penser qu’il suffira de moraliser le personnel politique pour que de telles affaires ne se reproduisent plus. Il faut aller plus loin dans l’analyse : les scandales récents sont la conséquence directe du fonctionnement de l’État néolibéral, que le sarkozysme a porté à son paroxysme en France. Trois dimensions de l’État néolibéral apparaissent clairement aujourd’hui. Tout d’abord, l’État néolibéral est « prédateur », selon l’expression de James Galbraith18.Des relations étroites de collusion ont été tissées entre les gouvernants et les élites économiques et financières, comme l’illustrent les liens privilégiés de Sarkozy avec les sociétés du CAC40. Les administrations et les régulateurs publics ont été capturés par les milieux économiques. Les décisions de l’État, notamment dans les domaines de la fiscalité et de la réglementation, sont influencées par l’action souterraine du lobbying, très puissant à Washington, à Londres ou à Bruxelles. (…)
En second lieu, l’État néolibéral est un État fort, autoritaire et interventionniste, et non un « État minimal » selon l’idée souvent véhiculée par les libéraux, et par certains milieux progressistes et altermondialistes. Les promoteurs du néolibéralisme – Thatcher, Bush, Berlusconi, Sarkozy – ont tout mis en œuvre pour renforcer le pouvoir de l’État en cherchant à affaiblir et à asservir tous les contre-pouvoirs : les syndicats, les médias, la justice, l’université – où les sciences sociales sont une source de l’analyse critique du système – sont asphyxiés par les réformes. »19

Quels sont les effets d’une telle politique dans le pays ? L’on assiste à la multiplication des phénomènes de violence urbaine dans les banlieues, lieu de relégation sociale : émeutes de 2005, celles de Villiers le Bel en 2007, de Grenoble et Saint-Aignan en 2010… Parallèlement et par un effet d’engrenage savamment alimenté, s’intensifie la répression de forces de police de plus en plus militarisées : multiplication des interpellations et poursuites, fichage généralisé, armes « non létales », stigmatisation de certaines communautés immigrées ou migrantes.

De même, s’intensifient les dysfonctionnements de la vie en collectivité liés à la casse des services publics de proximité et à la destruction correspondante du lien social : violences récurrentes dans les établissements scolaires, l’Education nationale étant par ailleurs l’objet d’un dispositif de contre-réformes volontairement et sciemment anti-pédagogiques pour casser l’outil public, épidémies de suicide dans les entreprises et les services publics soumis à une réorganisation managériale concurrentielle impitoyable…
De fait, il existe un lien ainsi qu’une forme de mimétisme de l’anti-exemplarité entre tous ces phénomènes, provoqués par la crise morale et symbolique du néolibéralisme, idéologie qui promeut une société individualiste entièrement vouée au profit immédiat via une compétition généralisée :

« L’emprise de l’État néolibéral ne s’arrête pas à l’économie ; elle va bien au-delà et agit également sur les personnes et sur la société. Il s’agit là d’un interventionnisme d’État beaucoup plus insidieux, nommé « gouvernementalité » par Michel Foucault20. Toutes les formes de pression sont mises en œuvre pour amener les individus à se comporter comme s’ils étaient engagés dans des relations de transactions et de concurrence sur un marché21. Les institutions (hôpitaux, universités, etc.) sont contraintes d’agir comme des entreprises et d’être rentables. Les salariés du secteur public (infirmières, postiers, enseignants, policiers, etc.) sont sommés d’épouser cette rationalité néolibérale, ce qui vide de sens leurs métiers, et contribue à un nombre croissant de suicides et de maladies professionnelles. Là réside l’un des plus grands scandales de l’État néolibéral ! »22

Pour conclure, omnipotence du gouvernement au service de l’oligarchie financière et des réseaux lobbyistes ou maffieux, en particulier françafricains, destruction des solidarités sociales acquises par les combats populaires, atomisation des individus : telle est la culture néolibérale à la française23. L’auto-hypnose télévisuelle, médiatique et publicitaire ne vantait-t-elle pas jusqu’à il y a peu de temps encore un modèle de réussite égoïste par l’argent facile et le succès médiatique, star-système dont notre président ancien ministre de l’Intérieur est le modèle identificatoire affiché ?

Néanmoins, dans toutes les sphères de la société, de la tête de l’Etat aux établissements scolaires en passant par le monde du travail, la légitimité de tels modes de gouvernance est de plus en plus contestée, dans un contexte d’accroissement flagrant des inégalités socio-économiques, des souffrances psychosociales qui s’ensuivent, et de prise de conscience progressive que le monde –et spécialement la société française- marche sur la tête, qu’on ne peut continuer comme cela. La paralysie progressive du système national procède du fait qu’« en bas on ne veut plus et en haut on ne peut plus ».

III-Pour un contrôle citoyen (ou démocratique) de la gestion des affaires publiques

La société civile se mobilise en cette rentrée 2010, comme le montre l’organisation conjointe des manifestations du 4 septembre (pour l’annulation de la politique xénophobe et raciste du gouvernement) et du 7 septembre (pour l’abrogation du projet de loi sur les retraites). C’est la première fois que convergent à l’échelle nationale les mobilisations sociales et de solidarité à l’égard des étrangers, auxquelles se rajoute la mobilisation européenne (journée d’action du 29 septembre 2010). D’autres contrepouvoirs tels les journaux en ligne (Médiapart…) jouent un rôle important pour, sur le modèle américain, conduire à un sarkogate, notamment par la médiatisation de l’affaire Woerth-Bettencourt. Les textes en vigueur sont ficelés cependant de manière à entraver tout scénario d’« empeachment » : la loi organique fixant les conditions d’application de l’article de loi concernant la possibilité de destitution d’un président n’est toujours pas officialisée deux ans après le départ de J. Chirac du pouvoir.

En réponse à la stratégie des réseaux mondialisés et des marchés qui imposent les diktats néolibéraux à partir de la gestion des Etats nationaux, il importe de renforcer la vigilance à l’égard des équipes au pouvoir, clefs de voûte du système. Le combat pour la démocratisation des institutions nationales, via le contrôle volontariste exercé par les citoyens à différents niveaux de l’organisation sociale -médiatique, juridique, parlementaire, associative, syndicale…- est donc un enjeu stratégique fédérateur. Au-delà, l’impunité dont jouissent ces clans affairistes révèle les limites de la démocratie représentative traditionnelle et la nécessité de mettre en place des structures de contre-pouvoirs efficaces et de démocratie réellement participative et active.

Le rapport d’orientation d’Attac (2009-2012) présente cette question comme l’un des axes principaux d’intervention de l’association25. Montrer qu’un changement en profondeur à l’échelle des valeurs républicaines est nécessaire, c’est la base de notre mission d’éducation populaire tournée vers l’action. Dans ce contexte, répondre à la demande pressante en matière d’alternatives progressistes passe par la défense et la promotion de la démocratie, sous toutes ses formes, politique, sociale, culturelle….Cette mobilisation nécessite la constitution d’une équipe de volontaires tant dans les comités locaux que dans les instances nationales pour un travail en réseau et en collaboration avec les collectifs et autres instances de convergence des luttes concernés par ces questions.

Concernant l’aspect programmatique et revendicatif de cette mobilisation, le débat public met l’accent sur les objectifs suivants (liste sans doute non exhaustive) :

 la constitution d’une commission d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur l’affaire Woerth-Bettencourt, sur le financement des campagnes électorales de 2002 et de 2007 (présidentielles) et de manière générale sur les affaires politico-financières de la dernière décennie

• la collaboration des élus et des citoyens pour obtenir le jugement et, en cas de culpabilité, la démission des responsables politiques mis en cause

• l’interdiction d’allouer des fonds publics à des micros-partis, foyers de lobbying et d’affairisme et à la solde d’un candidat et le contrôle strict des financements des campagnes électorales

• l’interdiction de cumuler des postes ministériels et de hautes charges économico-financières ou stratégiques et instauration d’un temps de latence de trois ans (ou plus) pour le passage d’un poste de haut niveau (à définir) entre le public et le privé. Cela de manière à diminuer les conflits d’intérêt et afin de préserver l’indépendance des services publics

• la collaboration des élus et des citoyens avec les médias publics, la justice et les administrations (des Impôts…) pour que soient remplies leurs missions républicaines dans le cadre de ces affaires

• la démocratisation des procédures de cooptation et de promotion à tous les niveaux de l’administration

• la réhabilitation par les ministères de tutelle et par l’Etat, sur le plan matériel et moral, de la qualité du service, de la dignité des fonctionnaires et des enseignants pour que la déontologie et la culture professionnelle des agents des services publics soient reconnues

• le contrôle par le Parlement de la politique européenne et internationale française ainsi que de sa politique militaire et la réhabilitation de la coopération civile avec les pays du Sud, dans le sens du respect de la démocratie internationale et des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Comme le cas français le montre à l’échelle de l’Union européenne, il est nécessaire et possible d’inverser cette orientation irresponsable et mortifère. Démocratisation des institutions et de leur gestion administrative, garanties de transparence financière de leur gestion, garanties d’indépendance des médias et de la justice, contrôle des élus et de la politique internationale de la France, suppression des paradis fiscaux ….voilà quelques-unes des mesures nécessaires pour y parvenir. Pour ce faire, c’est à la réhabilitation de la culture politique qu’il nous faut nous atteler : à l’encontre de la stratégie des réseaux claniques voire maffieux au sommet de l’Etat et de l’individualisme atomisant à la base, opposons les armes pacifiques de la solidarité agissante pour la restauration de l’intérêt général et du progrès républicain.

1 SEDILLO Georges,1989, Histoire morale et immorale de la monnaie, Ed. Bordas culture, Paris.

2 VERSCHAEVE François-Xavier, 2003,

3 BRUGVIN Thierry, Les mécanismes illégaux et non démocratiques du pouvoir –en France, en Afrique et dans le monde- (BookEdition, 2009) http://www.France.attac.org/spip.php?article11296

4 BEAU Nicolas, MARTIN Hervé, Quand Falcone demandait aux Angolais de financer la liste Pasqua, Le Canard enchaîné, 17/01/2001, in Verschave, 2001).

5AFP, Angolagate : Charles Pasqua condamné à un an de prison ferme, 27 octobre 2009.

6 LDC, France : “Affaires africaines”, 14/12/2000.

7 VERSCHAEVE François-Xavier, 2001 : 129-132.

8 ROBERT Denis, Révélation$ (2001), La boîte noire ( 2002)

9 ROBERT Denis, 2007, Clearstream-Nigeria :même combat,
http://ladominationdumonde.blogspot.com/2007/11/clearstream-nigeria-mme-combat.html

10 MARSEILLE Jacques, Novembre 2004, « Napoléon, ses batailles économiques », L’Expansion Numéro 691.

11 LACROIX-RIZ Annie, « Les comités d’organisation et l’Allemagne : tentative d’évaluation », in Hervé Joly, dir., Les comités d’organisation et l’économie dirigée du régime de Vichy, Centre de recherche d’histoire quantitative, Seconde Guerre mondiale, Caen, 2004, p. 47-62

12 Ou LME – rebaptisée par certains « Loi Michel-Edouard »

13 Si curieusement aucune étude officielle n’existe, des élus locaux et anciens membres de chambres consulaires estiment que, pour un emploi créé par la grande distribution, ce sont entre 4 et 10 emplois dans le commerce ou la production qui disparaissent (Bothorel & Sassier, 2005, p133).

14 COUTROT Thomas, Jalons vers un monde possible -redonner des racines à la démocratie- , p. 152 (Le bord de l’eau, 2010)

15 COUTROT Thomas, Jalons vers un monde possible -redonner des racines à la démocratie-, p. 30-31 (Le bord de l’eau, 2010)

16 PINÇON Michel, PINÇON-CHARLOT Monique, Grandes fortunes : Dynasties familiales et formes de richesses en France, Petite Bibliothèque Payot, 2006.

17Indépendance des chercheurs, CNRS, élections, abstention... (IV)
http://science21.blogs.courrierinternational.com/archive/2010/08/26/cnrs-elections-abstention-iv.html

18 GALBRAITH James, L’État prédateur, Seuil, 2009.

19 PLIHON Dominique, La vraie nature de l’Etat néo-libéral (Politis, 22 juillet 2010)

20 FOUCAULT Michel, Naissance de la biopolitique, Seuil-Gallimard, 2004.

21 DARDOT Pierre et LAVAL Christian, La Nouvelle Raison du monde : essai sur la société néolibérale, La Découverte, 2009.

22 PLIHON Dominique, La vraie nature de l’Etat néo-libéral (Politis, 22 juillet 2010)

23 Collectif d’Attac France : La démocratie au cœur du combat altermondialiste (2009)
http://www.france.attac.org/spip.php?article11522

24 Lacroix-Riz Annie, Xénophobie d’Etat (article, 2010)

25http://www.france.attac.org/spip.php?article10349

Document annexe (mouvement des Indignés grecs)

Le cadre du changement

Dans ces conditions, la société des citoyens est appelée à :

a) se rendre compte que de nos jours, la protestation extra-institutionnelle est un mode d’opposition totalement dérisoire face aux géants de l’ordre mondial.
Nous devons prendre conscience que le temps du fonctionnement extra-institutionnel de la collectivité est révolu. Les collectivités non institutionnelles durent moins que la nécessité qui les fait naître. Elles risquent soit de dégénérer, soit d’être contaminées par les pouvoirs constitués et par les forces qui refusent l’émancipation de la société des citoyens. Ce risque est accru lorsque l’enjeu de la société des citoyens se développe dans un petit pays et ne concorde ni avec la dynamique interne des pays du complexe hégémonique qui définit l’état des choses au niveau mondial, ni, a fortiori, avec leurs intérêts.

b) prendre le système politique en main, exiger la suspension des articles de la Constitution qui suppriment le principe représentatif de la politeia, qui lui ôtent à elle-même la qualité de mandant.

La société des citoyens doit élaborer des propositions de lois qui aboliront le caractère possédé de l’État et la partitocratie dynastique, qui feront dépendre le personnel politique de la société des citoyens, aboliront son « immunité » et le soumettront directement à la justice pour ses actes politiques, accorderont au citoyen le droit d’avoir un « intérêt pour agir » en cas de préjudice occasionné par les agents de l’administration ou le personnel politique ; enfin, elle doit mettre au point les orientations politiques dans le cadre desquelles le pouvoir politique sera obligé de gouverner.

c) Dans ce cadre, formuler des revendications réalistes en termes « législatifs » clairs.
Dans les circonstances actuelles, il est réaliste et nécessaire de :

 Institutionnaliser la compétence de « contrôle » du personnel politique (et de l’administration et de la justice) par le tribunal spécialement prévu à cette fin. Le contrôle doit aussi concerner les individus/membres (par exemple, le député chaque semestre, par un corps de citoyens tirés au sort dans sa circonscription électorale) et les institutions du système politique (le Parlement, le gouvernement, etc.).

-Abolir l’immunité et abroger les lois sur la responsabilité du personnel politique. Introduire la responsabilité politique du personnel politique pour ses actes (ou omissions) politiques qui portent préjudice à la société des citoyens. Affirmer clairement que la finalité de la politique, c’est l’intérêt (de la nation) de la société, et non (de la nation) de l’État. Il est inconcevable qu’au XXIe siècle, nous vivions sous un régime antérieur à Solon. Le personnel politique doit être soumis, pour le dommage occasionné par son action politique, au droit commun, et avec la circonstance aggravante que le délit politique porte préjudice à bien plus de monde que le délit ordinaire. Le tribunal compétent doit être composé d’un corps de juges tirés au sort, avec la participation de citoyens jurés.

-Reconnaître au citoyen un droit « d’intérêt pour agir » en cas de préjudice occasionné par les agents de l’administration, de la justice et par le personnel politique. L’agent administratif, judiciaire et politique et, à titre tout à fait subsidiaire, l’État doivent être directement responsables devant le citoyen.

-Exiger que la société des citoyens exprime obligatoirement son avis (sa volonté) avant toute décision politique (gouvernementale ou législative) et qu’elle ait la possibilité de soulever des questions de politique dont elle estime qu’elles requièrent d’être traitées (par exemple, le fonctionnement efficace de l’administration). En pratique, la possibilité scientifique des sondages pourrait être exploitée : il n’est pas besoin de rassembler chaque fois l’ensemble de la société sur la place Syntagma. Avant toute prise de décision, la société devrait être sondée sur sa volonté. Ou mieux, il pourrait être créé un démos sondable en permanence, qui discutera et se prononcera sur les problèmes du pays, au niveau politique. C’est là un des nombreux exemples de réglementations qui rendraient possible le passage à un relatif semblant de représentation. Mais cela requiert que la société des citoyens entre institutionnellement en politique. Qu’elle participe aux décisions.

-Faire ainsi ressortir ce que la société des citoyens considère ou non comme son intérêt. Pour l’instant, l’avis obligatoire suffirait, sans aller jusqu’à obliger le pouvoir politique à s’y conformer. « Contrôle » et « responsabilité » combinés au processus électoral, voilà qui équilibrera la volonté du pouvoir politique de s’autonomiser voire de se soumettre à des forces exogènes (par. ex. aux marchés).

-Exiger du Parlement qu’il renonce à sa « compétence » abusive de légiférer sur les questions de responsabilité politique de ses membres et notamment à se mêler de la gestion de leurs responsabilités. Que la justice soit saisie de toutes les affaires d’immunité et de scandales apparues depuis 1974. Par nature, les affaires relevant de la responsabilité des hommes politiques ne sont pas prescriptibles.

La plupart de ces aménagements ne nécessitent pas de révision de la Constitution. La société des citoyens réclamera simplement le sursis des articles de la Constitution qui réservent au pouvoir politique la qualité de mandant.