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Enjeux internationaux et minorités culturelles en France (Adda Bekkouche)

dimanche 30 juin 2013, par Groupe Société-Cultures

Lorsqu’en 1998 ATTAC fut créée, le discours politique et les objectifs concernaient la lutte contre la marchandisation du monde et la réhabilitation de la chose publique, notamment l’Etat et toutes les formes de collectifs qui œuvrent pour le bien commun. Les champs d’intervention étaient internes et internationaux. En cela, l’objectif principal était la construction d’un ordre socio-économique plus démocratique à l’échelle internationale.

Quinze ans après, la situation s’est aggravée et les idéologies réactionnaires se sont renforcées. Les attentats du 11 septembre 2001, la crise financière, le dictat de la Troïka, les soulèvements dans le monde arabe, la déstabilisation de certains pays du Sahel… dénotent une évolution ambivalente du monde. Donc des raisons d’espérer avec la réaction des peuples contre l’accaparement du pouvoir politique par des oligarchies, mais aussi des d’inquiétude quant à la mobilisation des appareils de domination contre les peuples.

Dans les raisons d’espérer ATTAC y trouve sa place et un grand rôle dans ce mouvement d’émancipation. Mais encore faut-il qu’ATTAC continue à entretenir son autorité intellectuelle et politique.

Deux domaines sont, à mon sens, insuffisamment occupés par ATTAC aujourd’hui, les enjeux internationaux régionaux (à l’exclusion de l’Europe et l’Amérique latine et c’est tant mieux) et les questions d’exclusion, notamment des minorités « culturelles » (mais pas seulement) du champ politique.

Sur les enjeux internationaux, il serait opportun de réfléchir à une plus grande lisibilité des positions d’ATTAC. A cet effet, depuis quelques années, sur plusieurs dossiers internationaux la position d’ATTAC n’est pas très lisible. Elle est parfois inexistante ou lorsqu’il y en a une, elle est prise tardivement. La non réaction d’ATTAC à l’intervention militaire française au Mali le 11 janvier dernier est symptomatique de cette absence de position. Contrairement à une réaction rapide et juste d’ATTAC aux événements de Turquie, on ne connaît pas la position d’ATTAC concernant cette intervention militaire. Or que nous soyons favorables ou contre, les arguments ne manquent pas pour qu’on se prononce. Pourtant à ce jour, il n’y a pas d’écrit, communiqué, annonce ou autre forme d’expression publique, attestant de notre vision des choses quant à cet événement déterminant, ou tout au moins qui donne une direction de la politique étrangère de la France vis-à-vis de ses anciennes colonies et pays faisant partie de sa zone d’influence.

Je cite ce dossier car il est récent et emblématique, mais ATTAC est attendue pour se prononcer sur de nombreux autres dossiers : la Centrafrique, la Côte d’Ivoire, les soulèvements des régions Maghreb/Machrek, la Syrie, le Sahara occidental, la Palestine, l’Iran. Bien évidemment, je ne dis pas par-là qu’ATTAC ne s’est jamais prononcée sur ces questions, mais on ne se distingue pas par notre promptitude à prendre position. Il apparaît ainsi qu’ATTAC n’a pas de position sur certaines de ces questions, donnant l’impression d’une incompréhension des grands enjeux internationaux en lien avec ces régions du monde.

Ceci est révélateur de cette absence de ligne(s) directrice(s) quant à notre vision des grands enjeux et défis internationaux. Alors que, à mon avis et, sans doute, de l’avis de nombreux camarades d’ATTAC, l’évolution de la situation en Afrique subsaharienne, au Maghreb et au Machrek est déterminante pour les relations internationales dans les décennies à venir, car on assiste à une bataille sous des formes inédites pour le contrôle des ressources, dont ces régions sont le théâtre le plus important avec le Proche Orient. Je pense qu’il est primordial d’accorder plus de place aux problématiques géopolitique, géoéconomique et géostratégique concernant ces régions.

Mon sentiment, que je pense très partagé au sein d’ATTAC, est que ce qui se passe dans ces régions confirme que nous sommes passé à l’ère post 11 septembre. En d’autres termes, si le 11 septembre a freiné la reconstruction des alliances contre le capitalisme, ou tout au moins contre la domination occidentale, les soulèvements des régions Maghreb/Machrek peuvent constituer un déclencheur de la reprise de la construction de ces alliances. Mais avec la réaction des forces conservatrices internes et transnationales (tenants de l’islam radical, une partie des élites de ces pays, notamment l’armée, les Etats des grandes puissances, les Etats du Golfe, certains Etats émergeants, les firmes transnationales …), les forces progressistes ne peuvent pas attendre trop longtemps pour redonner une impulsion au mouvement d’émancipation commencé début 2011.

Pour toutes ces raisons, ATTAC, en tant qu’organisation altermondialiste et d’éducation populaire doit non seulement aider à comprendre ces enjeux, mais contribuer, par ses analyses et travaux scientifiques, à déconstruire les mécanismes nouveaux de domination à l’œuvre dans ces régions. A cet effet, le CA se doit de donner l’impulsion nécessaire pour que surtout le Conseil scientifique, compte des compétences en son sein, mais aussi les commissions et groupes de travail concernés s’emparent de ces problématiques. Avec de telles orientations, il est certain que les positions d’ATTAC, en ce qui concerne les grands enjeux internationaux, gagneront en profondeur et en clarté.

Concernant les minorités culturelles, on assiste à une montée des agressions contre les immigrés et leurs descendants, les mosquées, les tombes de musulmans… Ceci dénote qu’on est en train de glisser d’un processus d’exclusion à des actions de rejet alimentées par l’insuffisante réaction des pouvoirs publics et le développement d’un discours xénophobe. Ce qui explique l’audience du Front national.

Ces aspects ne relèvent pas spécifiquement de l’objet d’ATTAC, mais le concernent dans la mesure où ils renvoient aux problématiques d’exclusion et de domination. Dans cette perspective, il y a un champ qui pourrait être traité ou pris en compte par ATTAC, c’est celui de l’exclusion politique, notamment celle des minorités culturelles.

En effet, voilà bientôt trente ans la Marche pour l’égalité et contre le racisme avait lieu. L’essentiel des revendications de ses milliers de marcheurs demeure encore sans réponse. Des nombreux domaines où l’égalité reste à conquérir, celui du politique est assurément le parent pauvre de leur combat.

Ces Français font l’objet d’une discrimination institutionnelle et politique dont la permanence est due, entre autres, à l’insuffisance de leur implication dans son traitement du double point de vue de la connaissance et de l’action. Mais leur exclusion du jeu politique est également due à une absence de reconnaissance. De ce fait, ces populations font l’objet d’une relégation politique qui les exclut du jeu démocratique.

Ainsi, la sous- représentation des Français d’origine non-européenne au sein des instances publiques de délibération et de décision et, plus largement de l’espace public, constitue-t-elle, après celle des femmes, l’une des anomalies les plus criantes au regard des valeurs et principes démocratiques de la France. Cette exclusion constitue, en quelque sorte, le point culminant des différentes ségrégations à l’œuvre dans la société française.

Il s’ensuit ainsi que le domaine politique et l’espace public en général sont peu représentatifs de ces populations que je qualifie de Français d’origine non-européenne, car leur caractère non-européen est leur dénominateur commun. La condition politique de ces Français est ainsi déterminée en partie par ce caractère, impensé certes mais qui est à l’œuvre dans leur différenciation par une partie du corps social.

Plus fondamentalement, au regard des rapports, d’hier et d’aujourd’hui, qui structurent les relations entre ces populations et la société française dans son ensemble, cette condition est déterminée par l’histoire et les représentations françaises de l’altérité. Ces aspects posent des questions de l’ordre de la philosophie politique et sociale en lien étroit avec les problématiques de reconnaissance et de pluralité.

26 juin 2013.

Adda BEKKOUCHE
Dernier ouvrage paru : La condition politique des Français d’origine non européenne. Du mépris à la reconnaissance formelle. Editions du Cygne, Paris, 2012.