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Pour une politique de santé mentale humaniste et démocratique (Confédération des praticiens des hôpitaux)

vendredi 15 février 2013, par Groupe Société-Cultures

Contribution aux travaux de la mission ministérielle sur le Pacte de confiance à l’hôpital, transmise par Olivier Labouret président de l’Union syndicale de la psychiatrie (USP)

La spécificité de la psychiatrie publique

La psychiatrie publique est très différente des autres spécialités médicales. Historiquement, la psychiatrie constitue en effet une « médecine morale » qui s’intéresse à l’être humain pris dans sa globalité. L’homme est un être bio-psycho-social : dans ses manifestations de souffrance, le « mental » individuel n’est pas séparable de son environnement, social, culturel, professionnel... La psychiatrie n’est donc pas une science exacte qui se résumerait, sur le modèle biologique des spécialités de médecine organique, aux neurosciences du cerveau, du comportement et des cognitions : dans sa pratique quotidienne, elle fait aussi et surtout appel aux sciences humaines et sociales, à la philosophie, à l’anthropologie.

C’est en ce sens que Henri Ey, le père de la psychiatrie française moderne, définissait la psychiatrie comme « pathologie de la liberté », s’inspirant de la phénoménologie et de Georges Canguilhem : la santé n’est pas adaptation passive mais « création de normes nouvelles », elle s’oppose au conditionnement de la pensée et du comportement. Le savoir psychiatrique n’est pas une science médicale au sens littéral, mais symbolique : il constitue un modèle opératoire, une théorie de la pratique permettant de mieux comprendre les manifestations de souffrance psychologique individuelle, et d’y répondre avec humanité.
Cependant, cette définition traditionnelle de la psychiatrie française et européenne est aujourd’hui battue en brèche par des nécessités de contrôle socio-économique qui sont en train d’imposer insidieusement, mais rapidement, une évolution scientiste, sécuritaire et gestionnaire du service public de « santé mentale ». Cette évolution est lourde de dangereux contre-sens, et rend indispensable un recadrage des pratiques et des lois qui les sous-tendent : c’est l’objet de cette contribution.

Les textes récents sur la psychiatrie ( rapport du Centre d’analyse stratégique sur « la santé mentale, l’affaire de tous » de novembre 2009, rapports du Haut conseil de santé publique et de la Cour des comptes à l’automne 2011 sur le bilan du Plan psychiatrie et santé mentale 2005-2008, Plan psychiatrie et santé mentale 2011-2015, recommandations de la HAS sur l’autisme en mars 2012, rapport de l’IRDES de novembre 2012 sur « la faisabilité de la diversité des pratiques en psychiatrie », rapport sénatorial Milon de décembre 2012 relatif à « la prise en charge psychiatrique des personnes atteintes de troubles mentaux », sans oublier la loi du 5 juillet 2011 sur les soins sans consentement, dont le Syndicat de la magistrature a dressé récemment le bilan, etc.) ne résolvent pas cette « confusion épistémologique » de manière satisfaisante, c’est le moins que l’on puisse dire...
Contrairement à ces tentatives éparses de replâtrage, la spécificité de la psychiatrie impose une véritable loi de santé mentale, bien différenciée d’une prochaine loi de santé publique ou d’accès aux soins, et qui réforme en profondeur les dispositions gravement inadaptées contenues dans la loi HPST de juillet 2009, comme dans la loi du 5 juillet 2011. S’il n’évitait pas totalement certains écueils, le rapport Couty de janvier 2009 avait quant à lui le mérite de proposer une réorganisation globale de la psychiatrie publique à travers une telle loi.

Contre la dérive gestionnaire, repenser l’organisation du secteur psychiatrique

La CPH a formulé par ailleurs des propositions pour améliorer la gouvernance et le
dialogue social dans tous les hôpitaux publics : face au modèle de l’hôpital-entreprise, où la rentabilité est le principal critère de « qualité », seul un véritable contre-pouvoir notamment médical permettrait de préserver les missions sanitaires de service public. Cela demande notamment à ce que les prérogatives de la CME soient élargies, et que les praticiens soient élus par leurs pairs au sein des différentes instances hospitalières. Cela demande également, et c’est tout particulièrement le cas pour la psychiatrie compte tenu de ses missions médico-légales, à ce que le statut de praticien hospitalier soit garanti de façon unique, égalitaire : l’intéressement « à la performance » par contractualisation individuelle doit être abandonné.

L’indépendance des psychiatres hospitaliers vis à vis des pouvoirs locaux (direction, ARS, préfecture...), et des autres spécialités (urgentistes, omnipraticiens...) doit être impérativement préservée, afin que leur rôle médico-légal dans l’organisation des soins aux patients hospitalisés sous contrainte échappe à tout conflit d’intérêt. La nomination ministérielle, que les syndicats de psychiatres ont toujours unanimement défendue et que le précédent gouvernement a abrogée sans coup férir en septembre 2010, doit par conséquent être rétablie : cela redonnera à la Commission statutaire nationale son rôle premier.

La spécificité de la psychiatrie tient enfin à son organisation originale : le secteur, dont la politique a été adoptée dès les années 60, mais dont la réalisation ne s’est pas faite sans de fortes disparités qui lui sont maintenant reprochées, faute d’appui des politiques publiques au niveau national. L’évolution gestionnaire et scientiste de ces dernières années, en contractant les moyens de la psychiatrie publique sur l’hôpital et sur l’efficience immédiate aux dépens de l’extrahospitalier, est en train de détruire cette organisation démocratique que le reste de l’Europe tient pourtant pour modèle. Par un maillage de Centres médico-psychologiques (CMP) répartis sur tout le territoire, à une échelle infra-départementale (environ 60.000 habitants), le secteur est en effet à la base du libre accès de toute la population aux soins psychiatriques ; il garantit leur continuité, dans le respect de la diversité culturelle et des particularités locales. D’autres pratiques plus spécialisées nécessitent souvent une organisation à l’échelle intersectorielle : centres d’accueil et de crise, soins mobiles vers les précaires, consultations de souffrance au travail, psychiatrie de liaison, pédopsychiatrie, psycho-gériatrie, soins aux détenus, etc. Ainsi que l’a souligné le rapport de la Cour des comptes dans son bilan du Plan psychiatrie et santé mentale 2005-2008, repris par le dernier rapport Milon pour la Commission des affaires sociales du Sénat, la disparition du support juridique de cette organisation sectorielle originale et efficace pour la psychiatrie, organisée par les dernières réformes sanitaires, ne peut qu’être contre-productive pour la prise en charge des besoins de santé mentale. Un simple saupoudrage de psychiatrie dans la prochaine loi de santé publique ne pourra suffire et c’est donc bien une loi de santé mentale qui doit rétablir clairement ces missions du service public de secteur, et en garantir les moyens par un budget spécifique.

Le mode d’évaluation de l’activité de psychiatrie publique doit être radicalement repensé : la T2A, comme la certification par la HAS, s’appuie sur des critères comptables et scientifiques étrangers au monde psychiatrique : dans notre domaine, deux dépressions, deux schizophrénies sont radicalement différentes, et la majeure partie de l’activité s’effectue en CMP, où elle est préventive, et donc se définit non par ce qu’elle fait mais au contraire par ce qu’elle évite de faire... Comment évaluer « objectivement » ces actes éminemment subjectifs et souvent « inconscients » ? Le rapport techno-économique de l’IRDES se méprend totalement, en faisant de l’amélioration du recueil RIM-Psy la condition d’une meilleure efficacité (pas forcément moins coûteuse, mais forcément discriminatoire !) des prises en charge. Et à partir de quels présupposés un soin efficace se traduirait-il en psychiatrie par une hospitalisation écourtée, quand on sait le rôle thérapeutique systémique, aussi fragile que primordial, que joue l’institution ? La comptabilité analytique, comme la gestion du dossier patient informatisé, traduit la toute-puissance positiviste accordée à un outil technique numérique dont on voit bien mal comment il pourrait renseigner sur cette complexité clinique : la réalité concrète de soins apportés par la parole, ainsi que l’avait souligné le Comité consultatif national d’éthique dès juin 2007 (avis n°101). Il faut donc abandonner la Valorisation de l’activité en psychiatrie (VAP, équivalent de la T2A), pour en revenir à une dotation budgétaire en euros par habitant ; et profondément réformer la HAS, selon des critères se référant aux sciences humaines et non plus à « la médecine de la preuve » (Evidence based médicine anglo-saxonne).

Contre la dérive scientiste, retrouver les limites éthiques et épistémologiques de la psychiatrie publique

Le rapport 2009 du Centre d’analyse stratégique gouvernemental et le nouveau Plan psychiatrie et santé mentale 2011-2015 font référence à la notion de « santé mentale positive », et à « l’éducation thérapeutique ». Ils prônent le développement efficient de la recherche en neurosciences, qui permettrait de « programmer » cette santé mentale dès l’enfance, et de déceler précocement toute « vulnérabilité » par la découverte de « bio-marqueurs » pouvant justifier d’un traitement médicamenteux préventif... L’idéologie véhiculée par la fondation d’Etat FondaMental, comme par la prochaine classification mondiale DSM-V, traduit la réalité de cette évolution historique redoutable où c’est la défaillance individuelle en elle-même qui se retrouve aujourd’hui l’objet de toutes les attentions « bio-politiques ».

Portée par des intérêts financiers et sécuritaires colossaux, faisant converger cercles dirigeants, industrie pharmaceutique et bio-technologique, instituts de recherche et université, cette prétention scientiste est effectivement en train de transformer la psychiatrie publique en une vaste entreprise hygiéniste et normative de gestion, d’adaptation des populations à la santé économique (ou supposée telle) de la nation... La psychiatrisation de la souffrance professionnelle, où la responsabilité de l’organisation managériale du travail est réduite magiquement à un simple « facteur de stress », n’est-elle pas également évocatrice ?

Cet aggiornamento de la psychiatrie publique vers une « politique de santé mentale » purement adaptative et intrusive, depuis la circulaire de mars 1990, témoigne du grand tournant libéral-gestionnaire de ces vingt dernières années. Il est contemporain de la mondialisation de l’idéologie cognitivo-comportementale, avec la diffusion des classifications mondiales des troubles du comportement, des méthodes d’auto-évaluation et de contrôle automatisé dans toute la société. Le cerveau est comparé à un logiciel de « traitement de l’information », dont il est naturel d’améliorer les performances, et toute anomalie individuelle doit être détectée et traitée médicalement... Finalement, la psychiatrie publique aurait-elle pour principale mission aujourd’hui de faire intérioriser la loi du marché ?

Le tout récent rapport Milon de la commission des affaires sociales du Sénat est révélateur de cette idéologie scientiste aujourd’hui officiellement prévalente, où la toute-puissance du modèle médical met en question « l’avenir du secteur » : il propose d’accélérer les recommandations de bonne pratique de la HAS, dont l’objectivité n’est pas contestée, et d’installer une agence de recherche sur le modèle de l’INCA, dont on sait la méconnaissance des pathologies cancéreuses environnementales, pour trouver enfin les bio marqueurs de la fragilité des individus, qui seront suivis par des « case managers » non médecins !

Tandis que la HAS, également, par le mode d’organisation sélective de son collège et de ses directions, reflète une conception scientiste et managériale de la santé dont témoignent ses recommandations sur les troubles psychiatriques, comme ses critères d’évaluation des pratiques et de la qualité des soins présidant à la certification des établissements. La seule objectivité accessible à l’observation réellement scientifique est le comportement social : particulièrement inadapté à l’épistémologie comme à la réalité psychiatrique, qui vise la relation intersubjective, ce mode techno-scientiste de contrôle social contribue à vider notre service public de son sens authentique. Une autorité de santé réellement « indépendante » devrait s’ouvrir à d’autres références scientifiques que les simples « données acquises de la Science » mises au service de techniques d’évaluation et de gestion qui n’ont rien de scientifique, et sont perverties par les conflits d’intérêt... Au minimum, la création d’une direction de la HAS pour la psychiatrie, vraiment indépendante, fondée sur des critères d’évaluation cliniques et non plus objectivistes, s’impose.

Au total, la psychiatrie ne peut plus faire l’impasse de la dimension anthropologique de la folie, et prétendre éradiquer celle-ci, ce qui signifierait l’élimination de l’homme. La prétention des neurosciences à l’amélioration des performances, pour des raisons économiques et normatives inavouables, doit donc être dénoncée sans relâche pour son caractère totalitaire. A l’inverse, le service public de psychiatrie doit sans attendre retrouver le sens de la mesure et de ses missions : les maladies mentales doivent être désormais beaucoup mieux délimitées, selon la nosographie européenne traditionnelle, et ne plus être assimilées à tous les « troubles du comportement » social. Dans ce but modeste mais essentiel, le respect absolu de la déontologie médicale est désormais un impératif : le médecin psychiatre est au service de son patient, sous le sceau du secret, et indépendant des pouvoirs financiers et répressifs.

Contre la dérive sécuritaire, refonder la loi du 5 juillet 2011 sur des critères sanitaires

Contrairement au reste de la médecine, où l’égalité républicaine d’accès aux soins laisse habituellement chacun-e libre ou pas de se soigner, les maladies mentales avérées dont traite la psychiatrie nécessitent parfois la mise en oeuvre d’une contrainte à se soigner, quand elles mettent en péril la santé voire la vie même du malade, ou de tiers, sans que le malade en ait conscience.

Ces situations doivent rester exceptionnelles : l’empathie du personnel soignant, la relation thérapeutique consiste à instaurer ou restaurer la confiance du patient, à l’aider à composer avec sa situation, à rechercher son consentement, notamment pour la prise d’un traitement. Dans les cas où ce processus d’alliance thérapeutique reste inopérant, un encadrement médico-légal parfaitement sûr est nécessaire afin de protéger la personne contre elle-même. Dans un état de droit respectueux des droits du citoyen et des libertés fondamentales, cet encadrement sanitaire doit rester dans le droit commun, pour éviter tout arbitraire administratif voire étatique : l’« ordre public » n’a rien à voir avec le soin.

Sous le précédent gouvernement, cependant, de multiples lois et circulaires ont psychiatrisé toujours davantage la délinquance et toutes formes de déviance, et renforcé drastiquement les technologies de surveillance pesant sur les patients (grillages, procédures d’isolement, dispositifs d’alerte, vidéosurveillance, unités spéciales pour détenus et malades difficiles, etc.). Ce durcissement sécuritaire sans précédent a atteint son apogée avec la nouvelle loi du 5 juillet 2011 : sous couvert d’une judiciarisation en trompe l’oeil (car elle n’intervient qu’après deux semaines et ne concerne que l’hospitalisation complète), a été mise en place la possibilité de soins ambulatoires pouvant comporter des soins à domicile, échappant à tout contrôle judiciaire, et dont le « programme » (encore le langage informatique !) détaillé, appliqué et surveillé par le praticien est imposé sans recours possible par l’administration de l’Etat. La décision du Conseil constitutionnel d’avril 2012, en soutenant que seul l’enfermement permanent est une contrainte, laisse pantois quant à sa légitimation implicite du chantage à l’enfermement, qui dans les faits se trouve ainsi généralisé ! La multiplication des programmes de soins met en effet le praticien dans la position éthique et légale intenable d’avoir à exercer une contrainte sans le dire, et à assumer la responsabilité d’un choix qu’il n’a pas fait. La récente condamnation d’un praticien hospitalier pour l’homicide commis par son patient traduit cette dérive sécuritaire et ce déplacement médical de responsabilité, ainsi que la toute-puissance d’une expertise (encore le scientiste !) qui dicterait le tout du diagnostic et du traitement... Cette loi a déjà dramatiquement prolongé les séjours d’enfermement, paralysant les services hospitaliers et surmenant les médecins psychiatres contraints à multiplier certificats et procédures. La lourdeur administrative résulte d’ailleurs en partie de certificats redondants qu’il convient de simplifier.

Au total, cette loi de police psychiatrique des comportements doit absolument être refondée sur la base démocratique des droits et de la confiance du patient : si une palette de dispositifs de protection doit pouvoir être mise en oeuvre de façon adaptée et proportionnée à son état de santé, les mesures d’hospitalisation sous contrainte doivent rester l’exception, et les soins forcés à domicile doivent être proscrits, afin de respecter sa liberté d’aller et venir et l’inviolabilité de sa vie privée. Les mesures d’enfermement ou les techniques de surveillance ne pourront jamais remplacer le soin humain ! Les principales dispositions à mettre en oeuvre sont donc les suivantes :
 Un mode unique d’hospitalisation pour motif sanitaire, sur certificat médical circonstancié et demande légitime d’un tiers, confirmée médicalement dans les 24 heures ;
 Un contrôle systématique initial de cette hospitalisation par le Juge des libertés et de l’hospitalisation, puis très périodiquement et en tant que de besoin, notamment à la demande de l’intéressé. Les audiences indispensables auront lieu dans une annexe du tribunal sise dans chaque établissement ;
 La possibilité exceptionnelle de sorties d’essai ou de suivis ambulatoires transitoires également encadrés sur le plan médical et judiciaire, ne comportant pas de soins contraints à domicile.

Conclusion : les principales dispositions d’un « pacte de confiance » à mettre en oeuvre dans une loi de santé mentale démocratique

La spécificité de la psychiatrie commande une organisation particulière de son service public basée sur un accès aux soins égalitaire de proximité, et sur la continuité du suivi. Cette politique de secteur ouverte, décloisonnée, repose sur la confiance partagée et le respect de la vie privée ; elle est consciente de ses limites et de sa vulnérabilité.

La politique publique de secteur psychiatrique doit être portée par un budget spécifique suffisant et pérenne. Elle est par définition non concurrentielle, ce qui implique le rejet de toute rémunération à l’activité, de tout intéressement à la « performance » : le statut des praticiens hospitaliers psychiatres doit rester unique et non contractualisable. Leur indépendance médicolégale doit être en outre garantie par une nomination ministérielle.

Les restructurations en cours, provoquées par la fuite en avant productiviste et managériale contenue dans la loi HPST, et conduites par les ARS, doivent être interrompues. Une véritable démocratie sanitaire doit être restaurée dans les hôpitaux, avec un contre-pouvoir efficace des CME, mais aussi au niveau départemental et régional, avec une participation renforcée des professionnels de santé et des représentants des usagers dans les Projets régionaux de santé et dans les Conseils locaux de santé mentale.

Au niveau national, la psychiatrie doit devenir réellement une priorité gouvernementale, et cela passe par la création d’un bureau ministériel pour la psychiatrie, et surtout l’élaboration d’une loi de santé mentale spécifique, bien séparée du projet de loi de santé publique et d’accès aux soins, à laquelle cette contribution veut apporter sa pierre.

La HAS doit être sérieusement réformée dans un sens démocratique limitant son idéologie scientiste et technologique actuellement effrénée. L’informatisation des dossiers de soins doit être facultative, pour respecter le droit du patient à ne pas consentir à l’informatisation de ses données personnelles (article 8 loi du 6 janvier 1978 ; article 8 CEDH). La VAP doit être abandonnée au bénéfice d’un budget global démographique, comme le recueil RIM-Psy et les autres technologies de fichage informatique, dont la finalité discriminatoire liberticide est de plus en plus flagrante : la « traçabilité » de la vie privée est contraire aux libertés fondamentales...

La formation des internes en psychiatrie doit être rééquilibrée vers la philosophie, les sciences humaines et psycho-sociales, comme les moyens de la recherche et de la psychiatrie universitaire : le lobbying pharmaceutique et bio-technologique doit être sérieusement contenu.

Une épistémologie sainement consciente de ses limites doit mettre en place des garde-fous efficaces contre la toute-puissance technologique et scientiste : la véritable politique de santé mentale implique la mise en exergue des droits des patients et des libertés fondamentales, elle est non intrusive et non interventionniste, et ne traite que des véritables maladies mentales.

La refondation de la loi sécuritaire du 5 juillet 2011 doit être conduite sans attendre : les hospitalisations sous contrainte doivent être étroitement contrôlées par la Justice et rester l’exception, de même que les suivis ambulatoires sous contrainte. Les méthodes de contention et autres technologies de surveillance doivent être sérieusement restreintes. Un observatoire de la contrainte en psychiatrie pourra apporter l’indispensable contrôle citoyen à ce dispositif.

En conclusion, la psychiatrie publique ne doit plus être l’instrument politique complaisant d’une violence symbolique d’autant plus extrême qu’elle la rend indicible : la violence sociale et économique doit être reconnue et nommée comme telle aujourd’hui. Renonçant à se perdre dans un déni technique et comptable généralisé, la psychiatrie doit contribuer à cette épreuve de réalité modeste et salutaire, sans laquelle risquent de se produire des passages à l’acte dont la brutalité (suicides et tueries de masse) témoigne de cette désymbolisation contemporaine.