Accueil > Groupe Société-Cultures > Articles (Société-politique) > La planète et nos féroces divisions économiques, sociales et culturelles (...)

La planète et nos féroces divisions économiques, sociales et culturelles (de Christian Delarue)

mardi 8 mai 2012

La planète et nos féroces divisions économiques, sociales et culturelles

Contribution "de cadrage" (rédigée à ENA Friburg avec des points de compromis) concernant le groupe de travail ATTAC sur "CRISE DE SOCIETE" (Anthropologie)

ENA / European Network Academy for Social Movements - Freiburg/Germany

L’anthropologie étudie les groupes humains et les diverses sociétés humaines. Elle observe depuis les premiers âges de l’humanité les modes de constitution de ces groupes de tailles diverses avec un interne - "nous" - à hiérarchisation fort variable et un externe - "eux" - créateur de l’étranger. Mais on ne saurait retenir que ces deux traits car ils se combinent aussi d’une part avec une certaine ouverture à l’Autre et d’autre part avec un sentiment variable de l’universel. Nous trouvons donc au moins quatre traits qui n’épuisent pas la richesse des mode de vie des groupes humains et les types de relations entre groupes. Citons, pour soutenir cette hypothèse, Claude Lévi-Strauss. Dans "La pensée sauvage" au chapitre "Universalisation et particularisation", il écrit : "On a dit, non sans raison, que les sociétés primitives fixent les frontières de l’humanité aux limites du groupe tribal, en dehors duquel elles ne perçoivent plus que les étrangers, c’est à dire des sous-hommes sales et grossiers, sinon même des non-hommes : bêtes dangereuses ou fantômes. Cela est souvent vrai, mais néglige que les classifications totémiques ont, pour une de leurs fonctions essentielles, celle de faire éclater cette fermeture du groupe sur lui-même et de promouvoir la notion rapprochée d’une humanité sans frontières".

Quittons les "âges farouches" pour les sociétés contemporaines sans discuter plus la thèse de Claude Lévi-Strauss.

La question écologique et notamment la question climatique remet au premier plan l’existence d’un peuple-monde responsable face à la planète et aux générations futures. En l’espèce, pour résumer la situation, on peut reprendre le slogan des altermondialiste écologistes , "Les humains ne peuvent négocier avec la planète". Autrement dit, si nous la détruisons, nous ne pourrons la refaire.

Ce nouvel humanisme vient s’appuyer à l’humanisme abstrait préexistant qui voudrait - à raison - qu’il y ait un grand "Nous", le genre humain, composé d’individus libres et égaux. Ce principe d’humanité refuse la division en races que produit le racisme. Elle reconnaît bien la division sexuée mais pas nécessairement le sexisme. C’est le mouvement des femmes dans l’histoire des sociétés humaines qui a dénaturalisé la domination masculine et a fait apparaître le patriarcat et le sexisme.

Ces deux formes d’humanisme ne sauraient effacer, outre le sexisme, les autres divisions de l’humanité qui réduisent un "vivre ensemble" pacifique. Citons les diverses divisions culturelles et notamment celle issue de la langue. L’autre division de l’humanité est sociale. Elle met en jeu la domination d’une caste ou plus généralement d’une classe sociale (classisme).

Le constat des diverses divisions n’est pas un obstacle à la construction d’un humanisme engagé. Bien au contraire, il permet de fournir des perspectives.

I - "Nous" et "eux" : Les grandes divisions sources d’oppressions et de dominations.

Le constat est sommaire car ici rien de bien nouveau. Par contre, la partie sur le sectarisme identitaire est une position de compromis.

LE RACISME :

Le racisme est multiforme. La chose est connue mais pour autant peu d’acteurs luttent contre toutes les formes de racisme : la négrophobie, le racisme anti-arabe, l’islamophobie, l’antisémitisme. Il y a aussi ici ou là des crimes anti-blancs ou anti-chrétiens. Le racisme procède soit par le verbe franc ou euphémisé soit par des discriminations structurelles. Il faut noter que les politiques abondent dans certaines formes de racisme et construisent ainsi un "racisme d’en-haut" fort dangereux qui fait le jeu de l’extrême-droite et au-delà d’une "solution" à la crise de type fasciste ou autoritaire. Il y a aussi de façon structurelle une xénophobie d’ Etat qui se déploie via certaines administrations d’Etat (Police, Education nationale, Douanes, etc...) contre les étrangers à la communauté nationale, à savoir les réfugiés politiques ou les immigrés économiques.

LE SEXISME :

Il existe dans tous les pays une domination et une oppression sexiste des hommes sur les femmes. Aucun pays n’y échappe, cependant certains ont un système de droits plus protecteur que d’autres mais cette domination est bien transversale sur la planète. Cette domination a pu être théorisée aussi bien par diverses religions à divers moments de l’histoire que par des athées. De nos jours, il est plus rare de se réclamer de la science pour justifier une domination sexiste que des textes religieux.

LE "CLASSISME" (ou domination de classe) :

La domination d’une classe dominante, nommée bourgeoisie ou classe capitaliste selon les aspects cités, est liée à l’existence d’un système cpaitaliste dominant. Cette domination de classe est renforcée sous l’effet du néolibéralisme. Un des ses membres a pu dire que c’était une véritable guerre de classes qui a été engagée par sa classe et que cette guerre a été gagnée par eux. Il y a donc bien ici un eux et un nous. Cette division de classes s’observe au plan mondial comme au plan national.

LE SECTARISME IDENTITAIRE :

Sous ce terme deux formes de fermetures sur un "nous" sont repérables : le communautarisme et le nationalisme.

COMMUNAUTARISME : Autant la diversité culturelle mérite reconnaissance, autant l’exacerbation des différences culturelles est un danger pour le vivre ensemble car il se crée alors des communautés figées, fermées et fondées sur des principes dogmatiques autoritaires qui se combinent avec le machisme et le sexisme dominant. En France, c’est le concept d’intégration compris entre assimilation et multiculturalisme qui est censé opérer cet entre-deux nécessaire pour le "vivre ensemble" . La dialectique d’intégration se combine avec la laïcité pour construire un type de société fondé sur le tryptique "Liberté, Egalité, Fraternité". Le "vivre ensemble" dans un cadre national et continental repose sur la laïcité mais cette dernière est instrumentalisée par les groupes d’extrême-droite pour exclure les musulmans. En contrepoint, des groupes de sensibilité plus favorables aux religions critiquent la laïcité pour l’ouvrir et la détruire.

NATIONALISME : Défendre l’existence d’un cadre national comme base d’exercice de la souveraineté démocratique ou comme base d’exercice des services publics nationaux ce n’est évidemment pas du nationalisme. Le nationalisme est une exacerbation des traits identitaires d’une nation au sens ethnique. Il se fonde largement sur une mythologie des origines. En France, les identitaires mettent l’accent sur une subculture chrétienne pour repousser un islam jugé menaçant. Les identitaires ne distinguent pas les islamistes (radicaux au plan politique et au plan des moeurs) des musulmans ordinaires.

II - Unifier un nous "divers" pour un autre monde.

Du constat des divisions passons aux perspectives de réunification dans le maintien relatif des différences culturelles. Le néolibéralisme qui incite à l’éclatement des inégalités sociales suscite de fortes résistances.

Le propre de la classe dominante est qu’elle s’organise consciemment pour reproduire sa domination. Elle existe donc objectivement et subjectivement comme classe face au reste du peuple, nommé peuple-classe. Ce fait social fondamental devrait guider toute entreprise d’émancipation globale.

Il apparaît clairement, en conséquence, que le nous du peuple-classe doit s’organiser de façon tout aussi solide que la classe dominante pour renverser le classisme, la domination de classe. Il s’agit là d’une grande difficulté du fait de la division de genre et de la division en nations.

Il y a aussi le fait qu’une partie du peuple-classe entend simplement réduire ou modifier la domination de classe et non la supprimer. Il n’en demeure pas moins que l’organisation du peuple-classe est un aspect très important de la réussite du mouvement de sortie de crise qui nous soit favorable, que ce soit au plan national, continental et mondial.

Il nous faut une organisation souple et plurielle mais une organisation qui facilite l’expression démocratique et les convergences des luttes et des revendications. Et que ce soit dans une perspective d’un autre capitalisme néokeynésien et plus écologique ou que ce soit dans une perspective socialiste démocratique et écologique. Ou pour le dire autrement, que ce soit pour négocier des améliorations ou que ce soit pour enclencher des réformes radicales à effet cliquet.

III - Le "Nous" solidaire : différences entre le Sud et le Nord

Sans vouloir basculer dans un humanisme béat, on sait qu’il est faux et très dangereux de figer hiérarchiquement les peuples du monde en deux "civilisations" qui s’entrechoquent . Remarquons que les révolutions arabes de 2011 viennent de réduire à l’état de vaste fumisterie cette idéologie . Mais les politiques menées en son nom peuvent continuer, hélas, de se reproduire. Cependant une autre justification de cette hiérarchisation devra être fournie. Celle qui apparaît semble être : "les révolutions arabes sont en passe d’adopter "notre" démocratie". L’enjeu pour les néolibéraux est aisé à saisir : il importe pour eux que le modèle démocratique adopté soit le plus possible de type oligarchique afin d’assurer le pouvoir de la finance et des marchés contre la souveraineté des peuples.

Le refus de la thèse du "Choc des civilisations" n’empêche nullement de voir le maintien, décennie après décennie, d’une césure entre les pays du nord et ceux du sud - formule non canonique - ou ceux du centre et de la périphérie. Une césure qu’il ne faut surtout pas à nouveau figer en deux camps strictement opposés. D’abord, tous les pays du Sud sont loin de se ressembler au plan économique et social comme sur d’autres plans : l’Amérique latine n’est pas l’Afrique. Ensuite et c’est le plus important à noter : "il y a du nord au sud et du sud au nord". Ce fait constitue une base réelle et objective à la solidarité des peuples-classe. Il s’agira donc d’éviter de poser constamment deux ou plusieurs blocs bien homogènes même si effectivement il y a un nord impérialiste et un sud dominé.

a) - Pour les pays du Nord ou du Centre, ce "nous" sera le peuple-classe soit les travailleurs salariés plus les travailleurs indépendants et les "petits capitalistes" (patrons de petites unités de moins de 10 travailleurs salariés). Ces petits patrons sont souvent opposés aux revendications des ouvriers, employés et techniciens sur les salaires, la durée du travail, son intensité... Mais sur d’autres questions qui concernent l’investissement dans la production, la répartition des richesses, etc ... des possibilités de convergence avec le monde du travail sont possibles. Quant aux travailleurs indépendants, ils n’ont pas tous le même statut puisque certains - les paysans par exemple - subissent le capitalisme de la grande distribution alors que d’autres trouvent des zones de fortes rémunérations (avocats, notaires, chirurgiens, etc...).

En fonction de ces difficultés, le "nous" est réduit au monde du travail privé et public auquel on ajoute les chômeurs, les étudiants et les retraités. Dès lors, la question de l’unification de ce "nous" du travail est largement lié au syndicalisme. Mais il importe néanmoins d’aller plus loin. C’est aux partis politiques progressistes de prendre en charge de façon démocratique un programme politique qui soit en capacité de défendre l’ensemble des intérêts du peuple-classe face à la bourgeoisie. Il y a plusieurs partis politiques pour le changement social et politique car il y a plusieurs façons de réaliser cette tâche.

Premier problème : on sait que la couche moyenne supérieure fait l’objet d’une opération séduction de la part de la bourgeoisie. DSK par exemple comptait sur elle pour assurer la stabilité du capitalisme et de ses institutions. Parallèlement, dans la sphère altermondialiste, il semble admis que cette couche moyenne supérieure, bien distincte de la classe supérieure riche, doit abandonner ses privilèges économiques. C’est un point qui doit être bien discuté. En particulier, il importe de bien délimiter cette couche moyenne supérieure de la couche moyenne-moyenne qui fait l’objet de déclassement social aussi bien dans le privé que dans le public. Il faut en conséquence veiller à ce que la classe dominante abandonne tous les pouvoirs de classe qui assurent sa domination. Elle ne le fera pas par charité mais suite à un dur combat. D’autant que ces pouvoirs sont variés. Lorsqu’elle n’arrive plus à régner au consentement, elle n’hésitera pas à dominer par la force.

b) - Pour les pays du Sud ou de la périphérie, qui ont toujours à accomplir une révolution démocratique . La situation est bien différente des autres pays car pour eux, cette "révolution démocratique" reste largement devant eux même si les dictateurs sont chassés ou en passe de l’être. Dans ces situations, ce sera le peuple souverain qui sera le "nous" à conforter face aux forces externes et internes qui veillent à la subordination du pays à l’impérialisme.

Ici, il y a un débat récurrent dans la mesure où ce peuple souverain risque constamment de se faire déposséder de ses pouvoirs au profit d’une nouvelle classe dominante moins autoritaire que la précédente. C’est pourquoi l’organisation du peuple-classe est essentielle au-delà de l’affirmation d’un peuple de citoyens exigeant la démocratie. Il faudrait en quelque sorte veiller à bien avancer sur deux jambes : peuple souverain et peuple-classe.

Exemple : quel est ce peuple qui aspire en Tunisie et dans d’autres pays arabes à devenir citoyen et avoir prise sur le cours des choses dans leur propre pays ? Il semble bien que ce soit surtout le peuple-classe mais il est possible de voir aussi émerger une fraction de la bourgeoisie, celle précisément qui aspire à un recentrage national plus qu’une extraversion "compradores", liée à l’impérialisme. Pour ne plus être dépossédé par les forces externes diverses mais impériales, la question de la souveraineté citoyenne est essentielle.

Ce "nous" est aussi international mais très souvent vécu subjectivement dans un cadre national. Le "vivre ensemble" dans un cadre national pose un nous communautaire plus ou moins large mais défini par l’Etat. Ce "vivre ensemble" est interclassiste puisqu’il intègre la classe dominante mais exclut certains non nationaux au plan citoyen mais aussi les pauvres nationaux au plan économique et social.

Christian DELARUE

Freiburg im brisgau le 14 aout 2011
http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article1807
http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article1809