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Vers une autogestion socialiste et écologiste (Thierry Brugvin)

samedi 8 juin 2013, par Groupe Société-Cultures

Ce qui caractérise le capitalisme, c’est principalement la propriété privée des moyens de production, limitée à une partie des membres de l’unité de production. Cela permet à l’employeur, d’asseoir son pouvoir sur les salariés. Les dirigeants des transnationales disposent d’un pouvoir d’influence économique déterminant sur les élites politiques, qui est renforcé par des intérêts de classe.

La véritable démocratie, suppose donc au préalable, une démocratie économique fondée sur la propriété collective (privée ou publique) des moyens de production, qui permet l’autogestion.
La première des actions à entreprendre, pour dépasser le capitalisme, consiste dans l’appropriation collective (la socialisation) des moyens de production financier, industriel, agricole, etc. Mais ceci, dans le cadre d’une socialisation autogestionnaire, afin de ne pas reproduire les dérives du socialisme stalinien. En Espagne, la coopérative Mandragon est une fédération de coopérative qui connaît une réussite spectaculaire, puisqu’elle figurait parmi les 7 premières entreprises du pays en chiffre d’affaires en 2011. Elle existe depuis 1956, à Mondragon en Espagne. En 2009, elle comptait plus de 85 000 membres.
Il existe de nombreuses formes d’écosocialisme, la majorité d’entre elles entend faire une synthèse de l’écologie et du socialisme autogestionnaire. L’approche écosocialiste autogestionnaire redistributive (ou écosocialisme redistributif) s’inscrit aussi dans le socialisme autogestionnaire, mais s’avère plus proche du mutuellisme de Proudhon, car il y ajoute la redistribution des richesses au plan fédéral.

Il existe 4 formes de propriété des moyens de production :
 La propriété privée individuelle (telle une entreprise avec un propriétaire ou un auto-entrepreneur), qui est une propriété privée collective non autogérée (telles une SA ou une entreprise avec des actionnaires)
  La propriété privée collective autogérée, telles les coopératives privées, les associations, les banques mutualistes privées, les mutuelles d’assurances. Il s’agit d’une collectivisation privée.
  La propriété publique autogérée, telles les coopératives publiques, appartenant à l’Etat ou à la fédération. Il s’agit d’une socialisation, c’est-à-dire une collectivisation publique autogérée.
  La propriété publique centralisée (nationalisation, étatisation, telle une entreprise publique), c’est-à-dire une collectivisation publique non autogérée.

La gestion de la propriété des moyens de production diffère dans les courants de politique économique :
 La propriété privée individuelle ou collective (avec les actionnaires) des moyens de production (mais les salariés ne sont pas propriétaires dans le capitalisme).
  La propriété privée et publique collective autogérée (le mutuellisme de Proudhon et l’écosocialisme redistributif).
  La propriété publique autogérée (le communisme libertaire, ou le trotskisme contemporain).
  La propriété publique centralisée (l’Etat providence ou le stalinisme).

La propriété collective, permet le pouvoir de décision qui permet la démocratie, dans une entreprise privée (capitaliste) la décision n’est pas partagée par tous, tandis que dans une coopérative, la décision est collective (du moins pour les grandes lignes durant les Assemblées générales). De plus, seuls les moyens de production collectivisés (coopératives privées et publiques) disposent de la capacité de décision totalement collective de l’organisation du travail de leur unité de production. Cependant, seules les coopératives privées disposent d’un pouvoir de décision totalement collectif de l’organisation du travail en interne et de leur type et volume, c’est-à-dire d’objectif de production.
La différence entre le système mutuelliste et le système communiste autogestionnaire (libertaire ou trotskyste) est que dans ce dernier les travailleurs ne décident des objectifs de production de leurs entreprises, que dans le cadre du vote d’un « mandat impératif » de production attribué à leurs délégués à la planification. Le mandat de ces derniers consiste dans la détermination des objectifs de production dans le cadre de la planification fédéraliste autogestionnaire, dans le cadre de la fédération territoriale des travailleurs. Dans le mutuellisme ou l’écosocialisme redistributif, les travailleurs disposent du même pouvoir, mais en plus ils peuvent exercer leur pouvoir de décision sur les objectifs de production, au sein même de leur coopérative. En effet, celle-ci dispose d’une marge d’autonomie en terme d’objectif de production, car une par de la régulation des objectifs de production est laissée au marché.

« L’économie participaliste » (ou parecon) est un exemple de planification démocratique de l’économie. Elle a été conçue par Michael Albert et s’oppose « au marché capitaliste et à la planification bureaucratique », c’est pourquoi elle accorde sa confiance à « l’auto-organisation des travailleurs et l’anti-autoritarisme ». Dans le modèle de planification participative d’Albert, « les travailleurs et les consommateurs déterminent en commun la production, en évaluant de façon approfondie toutes les conséquences » . L’intérêt du modèle d’Albert réside dans lune prise en compte précise de la complexité des processus de décisions.
Au niveau local, dans le cadre de l’écosocialisme redistributif, les usagers des mutuelles, des banques et des différentes entreprises participent à la gestion des objectifs de production et de l’organisation du travail au niveau local, celui des unités de production.
Au niveau global, l’écosocialisme redistributif s’appuierait sur le modèle d’Albert dans le cadre d’une planification mixte avec le marché. La planification serait donc participative, autogestionnaire et tripartite, ce serait une planification fédéraliste autogestionnaire. C’est-à-dire qu’en plus de la fédération des usagers et de la fédération économique des travailleurs, elle prendrait en compte en même temps, les représentants de la fédération politique territoriale (communale nationale, internationale), dans les prises de décisions de planification des objectifs de production. Malgré ces limites, les délégués de la fédération politiques restent encore les plus légitimes représentants de l’intérêt général, lorsqu’ils sont élus par l’ensemble de la population.

La régulation par le « marché » sera encadrée par la planification autogestionnaire dans le cadre de l’écosocialisme redistributif. Actuellement dans les systèmes capitalistes, le marché est régulé notamment par une planification publique des secteurs considérés comme vitaux pour l’économie, tel l’agriculture. La régulation par la demande, par le marché est néanmoins une des forces du libéralisme économique, car elle permet une régulation par le bas, qui est un des principes de la démocratie (mais il n’est pas le seul). En ce qui concerne les fédérations et les coopératives, Proudhon proposait de conserver une certaine concurrence en créant « la société économique fédérative des travailleurs ». Ce projet consistait dans « un ensemble de propriétés collectives d’entreprises concurrentes entre elles, mais associées en une fédération industrielle » (Bancal, 1967 : 17). Proudhon poursuit en affirmant « qu’assurément l’initiative individuelle, ne doit, ni ne peut être oubliée » . On le voit Proudhon insiste sur la nécessité de maintenir la propriété, la concurrence et surtout l’initiative individuelle, même dans un système socialisé et coopératif.
En Yougoslavie, une expérience autogestionnaire s’est donc déroulée à l’échelle d’une nation et sur près d’une trentaine d’années, de 1950 à la fin des années 80. Dans un premier temps, en 1950, Tito lance une économie planifiée, au début, c’est un succès, mais dans les années 1960, l’autogestion est étouffée par le plan » c’est-à-dire que la planification est inadaptée au besoin du marché explique J. Samary .
Dans un second temps, le gouvernement yougoslave, qui s’est tenu entre les années 60 à la fin des années 70, décide donc d’instaurer une concurrence généralisée entre entreprises autogérées, c’est-à-dire une autogestion régulée par le marché. Mais les plus petites entreprises s’écroulent sous la concurrence des plus puissantes, entraînant faillites et chômage et inflation.
Une troisième phase est donc lancée, une planification autogestionnaire. C’est-à-dire que l’autogestion des entreprises est encadrée par une planification décentralisée et non plus centralisée comme dans la première phase. Un certain équilibre a donc été trouvé. Bien que cette fois la planification était autogérée, la démocratie autogestionnaire restait limitée aux secteurs économiques et professionnels, mais n’avait pas été élargie au secteur politique, qui lui reste encore trop centralisé et insuffisamment démocratique.

Le mutuellisme du socialisme libertaire contribue à réguler le marché, mais omet la redistribution. En effet, l’absence de redistribution, dans le mutuellisme de Proudhon, malgré la recherche d’accord sur les prix en parallèle avec une régulation de la production par le marché, risque de ne pas suffire à réaliser l’égalité souhaitée par cet auteur. En effet, certaines mutuelles, plus compétitives peuvent s’enrichir beaucoup plus que d’autres. Ce qui recréerait des inégalités, or le mutuellisme vise justement à éviter cette dérive, tandis que la seule planification démocratique. Un mutuellisme redistributif c’est-à-dire un socialisme mutuelliste autogestionnaire et redistributif permettrait d’éviter cet écueil.
L’écosocialisme redistributif vise à concilier la liberté et l’égalité, grâce à quatre facteurs qui permettent une régulation équilibrée, régulation fédéraliste autogestionnaire économique et politique, l’existence d’un marche, une redistribution des richesses et un revenu d’existence inconditionnel, lui assurant ainsi une certaine indépendance, vis-à-vis de son besoin de travailler pour satisfaire ses besoins essentiels. Car aucun système n’est jusqu’à présent parvenu à une parfaite satisfaction des besoins essentiels.
Afin de compléter la dimension autogestionnaire de l’économie, les tenants de l’écosocialisme redistributif, reprennent le principe du fédéralisme. Le respect de la subsidiarité démocratique suppose une organisation de type fédéral, tel que l’a notamment proposé Proudhon. En 1863, il développe l’idée d’un fédéralisme autogestionnaire avec d’un côté, une structure fédérale économique et de l’autre, une structure politique. Les producteurs s’organisent donc en mutuelles, puis en fédérations (agricole, industrielle…).
L’écosocialisme redistributif, entend donc reprendre les meilleurs de chaque système économique, afin de tenter d’en trouver une synthèse. Il intègre donc la dimension écologique, la socialisation, le mutuellisme et la redistribution, le fédéralisme économique et politique.