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Quimper et Carhaix : un peuple-classe breton en colère (Christian Delarue)

jeudi 14 novembre 2013, par Groupe Société-Cultures

Ce 2 novembre 2013 en Bretagne fera date, fera probablement évènement. A la fois comme expression en négatif d’un refus, d’une résistance et comme expression d’une perspective positive pour sortir du néolibéralisme qui frappe le peuple-classe breton comme le peuple-classe français, pour sortir aussi du productivisme qui fait aussi mal aux ouvriers qu’à la nature en Bretagne. Mais pour bien saisir cet ensemble, sans trop céder à la division en deux villes, il faut porter un regard de complémentarité et non d’opposition. Une complémentarité dynamique qui intégre les contradictions à l’oeuvre.

http://blogs.mediapart.fr/blog/christian-delarue/061113/quimper-et-carhaix-un-peuple-classe-breton-en-colere

Au lieu de voir en opposition deux villes (cf mon texte antérieur (1) mais aussi de nombreuses autres contributions ) et deux types de manifestations populaires et ouvrières, il va s’agir ici de prendre de la hauteur en combinant un axe de riposte dit "interne-externe" face à un évènement, c’est à dire un effort, coordonné ou non, de double présence des forces éco-socialistes, et ce pour bien saisir qu’il s’agit surtout d’un peuple-classe breton qui manifestait ce samedi 2 novembre dans deux villes bretonnes. Cet exposé des choses parait plus conforme à la réalité, plus dialectique dans le contenu et dans la forme comme indiqué à mon interlocuteur (Antoine du NPA 34).

Le peuple-classe dont il s’agit n’est pas pris ici, dans son objectivité "critique-scientifique", comme celui subissant les politiques néolibérales de l’oligarchie politico-financière ; il n’est pas plus le peuple-classe à qui les forces de gauche et les altermondialistes devraient s’adresser (ordre du discours politique ou syndical). Il faut bien appréhender ici le peuple-classe comme une subjectivité diverse, active et combattante. A Quimper on trouvait bien présente la diversité du peuple-classe, les ouvriers, les employés, des artisans, des paysans, des petits patrons, des patrons de PME. Mais l’oligarchie financière n’était pas dans la rue. Il n’est pas tout à fait exact de dire que les politiciens de droite ou que les patrons locaux les représentaient, bien que cette volonté fût réelle, pressions à l’appui.

L’aspect "breton" signifie certes affirmation ethnique-identitaire locale, "régionale", avec parfois une composante politique anti-centraliste mais pas toujours. Le peuple-classe breton dispose d’une composante qui se reconnaît notamment dans le programme social de la Résistance. En somme, culturellement ce serait le drapeau BZH et les bonnets rouges, (rouges et pas bruns ou bleu, blanc,rouge, ou bzh).

Comme il apparaît beaucoup plus maintenant que le jour même ou le lendemain, chacune des deux villes avait ses contradictions au plan social et écologique. En première analyse (grosso modo) on peut dire que Quimper était de masse et à dominante droitière alors que Carhaix était de "classe" et écologique mais pas de masse. Chaque ville portait en elle une contradiction.

I - QUIMPER, présence de masse et à dominante droitière mais avec une minorité éco-socialiste active.

A) Quimper, une apparition de masse et diverse.

Cette apparition du peuple-classe breton était massive à Quimper. On évoque des chiffres allant de 20 000 à 30 000 manifestants.
Toutes les couches et classes sociales du peuple-classe étaient présentes : ouvriers, employés, cadres du privé, petits patrons, travailleurs indépendants, paysans, artisans.
Il n’est pas anodin d’être en présence d’un tel effet de masse dans cette diversité de catégories et classes sociales, grande bourgeoisie bretonne exceptée.
Quand on est en présence d’un tel nombre de manifestants, il ne faut pas s’étonner que les revendications sont surtout en opposition, en résistance, en refus. Tout syndicaliste un peu averti sait qu’un mouvement de masse démarre par un refus mais que les revendications positives émergent ensuite quand le mouvement perdure.

B) ....avec conflit de classe et conflit écologique ou la droite était dominante.

Cette colère de masse s’est divisée en deux manifestations,
a) L’une majoritaire pleine de confusion et plutôt droitière (2) . Le petit patronat local en très très petit nombre et surtout la FNSEA, qui sont les principaux responsables de l’échec du « modèle breton », largement fait de choix productivistes et polluant, se sont concentrés sur le refus de l’écotaxe poids lourd ainsi que sur le passage à l’acte destructeur de matériel plutôt que la verbalisation revendicative. Ces forces très hétérogènes avançaient un régionalisme droitier (sauf l’UDB) : contre le "dumping des autres pays" et pour "la libération des énergies créatrices d’emplois" .

b) L’autre minoritaire, de classe, de gauche avec une nouvelle subdivision.
Quoique moins nombreuse, elle était quand même là. Et cela n’est pas sans importance.

1) un aspect "écosocialiste", de classe et écologique avec le NPA, un comité local d’ATTAC, et d’autres forces de gauche.

2) un aspect de classe classique sans contestation du productivisme par quelques syndicats d’ouvriers luttant pour l’emploi, les salaires et de meilleures conditions de travail. Les ouvriers et ouvrières de Gad, Marine Harvest, Doux, Tilly étaient à Quimper. Le syndicat des marins CGT a pensé que le bon combat était à Quimper. Il a eu raison.
Ce point à lui seul justifie un axe interne-externe, une double présence (quand deux lieux d’activité émergent).
De Quimper à Carhaix le peuple-classe breton retrouve sa composante forte de travailleurs salariés mais elle n’était pas que revendications du travail.

II - CARHAIX, une manifestation "éco-socialiste" sans aspect de masse.
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Dans cette ville le choix a été fait de l’expression militante pure, débarrassée de toute ambiguïté de ce qui aurait pu apparaitre comme expression de foule. De ce fait, elle n’était pas massive.

A) Carhaix, une manifestation plus classique initiée par les syndicats de travailleurs et soutenue par le Front de gauche et les écologistes.
Ici on trouve une nette domination des aspects de classe (revendications des syndicats de travailleurs salariés) et des aspects politiques plus larges évoquant la nécessaire prise en compte de l’écologie et les intérêts élargis du peuple-classe (les paysans inclus) par rapport aux actionnaires.

B) Carhaix, ou l’absence du caractère de masse.

Cette absence ne tient pas au fait que les revendications pouvaient être trop radicales, éliminant les forces modérées mais plutôt au sentiment, plus ou moins fondé, d’un manque de distance de certaines forces politiques en présence par rapport au gouvernement actuel, propos qui concerne ici certains écologistes.
Il faut aussi remarquer que l’organisation de cette manifestation s’est faite très rapidement. Elle a surtout mobilisé les militants et un cercle de sympathisants des diverses organisations.
La Bretagne peine à vivre sous la pression des lobbies de l’agro-alimentaire, de la distribution et de la finance. Il lui faut affronter ces forces pour changer. Ce qui est autre chose que de montrer des boucs-émissaires.
L’enjeu pour les forces éco-socialistes est de reprendre la main pour offrir des perspectives à la fois de masse, de classe et écologique à la "bouillie" présentée par la droite.


Notes :
1) Peuple-nation "BZH" à Quimper contre peuple-classe à Carhaix !
http://blogs.mediapart.fr/blog/christian-delarue/031113/rue-peuple-nation-bzh-quimper-contre-peuple-classe-carhaix

2) D’après le Télégramme, les membres du collectif « Vivre, travailler et décider en Bretagne » qui avait été à l’origine de la manifestation de samedi à Quimper était représenté auprès du Préfet par Thierry Merret (FDSEA du Finistère), Franck Nicolas (collectif pour l’emploi, CGPME), Christian Troadec (maire de Carhaix), des transporteurs Claude Rault (Pontivy) et François Hélias (Concarneau), et du patron de TPE Jean-Pierre Le Mat.
C Troadec écrit : "il faut contraindre des multinationales comme Marine Harvest à maintenir de l’activité et de l’emploi à Poullaouen et Chateaugiron alors même que ce groupe a gagné plus de 113 millions d’euros au premier semestre 2013 et qu’il multiplie les acquisitions en Pologne." Mais avec qui exercer cette contrainte ? Avec quel contenu ?
in C. Troadec : « Nous sommes prêts à discuter avec l’Etat et la Région ». | Mouvement Bretagne et Progrès
http://mouvement-bretagne-progres.fr/2013/11/c-troadec-nous-somme-prets-a-discuter-avec-letat-et-la-region/