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La Grèce tragique et ottomane expliquée à l’Allemagne luthérienne (Sophia Mappa)

mercredi 5 septembre 2012, par Groupe Société-Cultures

Le rigorisme économique d’Angela Merkel, incompréhensible aux yeux d’un Grec, est solidement enraciné dans la culture protestante du XVIe siècle.

Celle que Max Weber a si bien analysé dans « L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme ».

C’est la culture de la rigueur morale et de l’obéissance de l’individu à la loi divine, piétinée, aux yeux de Luther et de ses adeptes, par la corruption de l’Eglise romaine.

C’est aussi la culture de la glorification du travail comme moyen d’obtenir le salut. Celle qui a érigé l’action inlassable de l’homme sur la nature (et sur les hommes) pour créer des richesses en une nouvelle transcendance, et a fait de la frugalité une norme de conduite morale pour les individus.

Le capitalisme – si vigoureux en Allemagne encore aujourd’hui alors qu’il décline dans beaucoup de pays occidentaux –, la discipline farouche de la société allemande au travail et son obéissance à la loi civile, qui contrastent avec leur affaiblissement chez ses voisins européens, sont solidement enracinés dans cette révolution culturelle que fut le protestantisme.

Il a été nourri lui-même des idées nouvelles nées dans tous les autres pays européens de l’Ouest et du Nord, à partir de la Renaissance : l’Italie, la France, l’Angleterre… Idées qui doivent beaucoup à la pensée de la cité grecque et ont présidé à la construction des Etats-nation modernes. Punir l’hérétique plutôt que sortir de la crise

La culture allemande, si proche mais aussi différente des cultures latines de l’Europe, a donné à l’humanité beaucoup de grandeurs mais aussi beaucoup de misères.

Pour rester polie, disons seulement que l’intolérance aux autres cultures et le désir de les domestiquer, de les faire rentrer dans son moule à elle, n’est pas la moindre. La politique d’Angela Merkel est l’un de ses avatars. Au fond, sa préoccupation semble être davantage la punition des hérétiques que la sortie de la crise.

La société grecque, elle, est enracinée dans une autre histoire, celle des empires, byzantin et ottoman. Aussi inaudible que ça puisse être pour les admirateurs du miracle athénien, l’actuel espace grec n’a historiquement participé ni à la Renaissance, ni aux Lumières, ni à la construction des nations modernes, ni à celle du capitalisme.

Les quelques individus qui ont voulu rattacher cet espace à la culture latine, déjà depuis Byzance, ont été excommuniés par le patriarcat grec, et en tout cas n’ont pas trouvé d’écho significatif auprès de la société.

L’Etat grec, mis en place, au début du XIXe siècle, n’a pas été issu de la volonté des communautés qui l’habitaient. Comme dans les pays colonisés, l’appareil d’Etat, les constitutions, les rois, les politiques, et leur financement, ont été fournis dès le départ par les chancelleries européennes. Des réflexes acquis sous l’empire ottoman

L’esprit de ces institutions n’a jamais pris racine dans la société grecque, qui n’a su ni les modifier, ni inventer d’autres pour rentrer dans le camp des Européens. La société a occupé les institutions européennes, comme on occupe une scène de théâtre, mais elle l’a fait avec sa propre culture. Celle-ci avait la mémoire lointaine des rois, mais ne connaissait qu’une institution centrale, celle de l’Eglise. Aussi, si elle a accueilli les rois européens, elle s’opposa à la construction d’un pouvoir politique central de type moderne.

En effet, le pouvoir politique en Grèce est enraciné, encore aujourd’hui, dans l’imaginaire de l’empire ottoman. Celui des beys et des chefs de clan qui règnent sur leurs parentèles et leurs clientèles, en leur assurant la prise en charge matérielle, en échange de leur allégeance.

Le refus légendaire de la société de payer des impôts, tellement incompréhensible pour les Européens de souche, vient de ce passé lointain de l’empire où l’impôt était signe de domination et non de construction d’une institution centrale, transcendant les pouvoirs particuliers et considérée comme bien commun.

Depuis deux siècles cet Etat est régi de l’extérieur : par les chancelleries européennes d’abord, par les Etats-Unis après la Deuxième Guerre mondiale, et, depuis 1981, par la Commission européenne. Le capitalisme est resté étranger aux Grecs

Depuis deux siècles, ceux qui l’occupent se soumettent aux diktats de l’extérieur mais les détournent à leur profit et à celui de leur clientèle. C’est ce qu’a fait le malheureux dernier Premier ministre élu Georges Papandréou et ce que fera son successeur Loukas Papadimos, en dépit de son savoir technocratique.

Sur le plan économique également, il n’y eut jamais d’adhésion collective à l’esprit du capitalisme. Les activités économiques qu’entreprend la société traditionnellement, et spontanément, sont issues de son histoire : l’agriculture, le commerce, la marine marchande, les banques, et, récemment, le tourisme, mais pas l’industrie.

Non pas que les Grecs soient paresseux, comme le pense Angela Merkel, parmi d’autres. Mais, en dépit de l’idée largement répandue que le capitalisme serait une donnée universelle et naturelle de l’humanité, les Grecs, à l’image d’un grand nombre des humains sur la planète, n’en comprennent ni l’esprit, ni les mécanismes.

Visiblement, leur adhésion au Marché commun, il y a trente ans, ne les a pas davantage éclairés. Au contraire, les flux financiers européens allègrement alloués par la CEE ont été mis au service, non pas de la production, mais du clientélisme et de la consommation des produits européens, y compris les armes allemandes et françaises.

Dopé par la libéralisation des marchés et par la concurrence des produits occidentaux, l’écart traditionnel entre la production et la consommation fut transformé en gouffre et a amené au naufrage actuel. Sans aucun doute, la responsabilité de la société grecque et de ses élites est immense. Un commissaire européen n’apporterait rien

Pourrait-on pour autant passer sous silence celle des dirigeants européens ? Aveuglés par des dogmes économiques simplistes et l’illusion de leur toute puissance de régenter les autres pays, ils sont en train de ruiner leurs propres sociétés et de couper court à la possibilité des pays périphériques de l’UE de se relever.

Car, si la Grèce est un cas extrême de cette périphérie, elle n’est pas seule dans l’incompréhension qui oppose son « Nord » et son « Sud ».

Un commissaire européen n’apporterait rien à la Grèce. Au contraire. Au moment où une conscience, fût-elle marginale, de ses propres responsabilités dans la crise commence à émerger dans ce pays, une humiliation supplémentaire aurait aggravé le désespoir et la révolte largement partagés.

Ce sont les mesures d’austérité qu’il faut remettre en question et l’illusion d’Angela Merkel, entre autres, que les sociétés sont malléables et transformables à coups de bâton et des décrets de l’ hégémon. Au risque si non, de détruire, outre la Grèce, la construction européenne toute entière.

RUE89 Tribune 04/02/2012

http://www.rue89.com/rue89-eco/2012/02/04/la-grece-tragique-et-ottomane-expliquee-lallemagne-lutherienne-229050

Messages

  • Par contre, certains grecs ont bien compris que les centaines d’historiens et d’archéologues français et allemands, surtout français d’ailleurs, qui sont en permanence en Grèce ( avec toute une administration importée elle-aussi) pompent non seulement de l’argent au budget public grec, mais bloquent également les débouchés des étudiants grecs de ces spécialités et donc la finalité des universités grecques concernées.Nous avons calculé en mars dernier avec des étudiants grecs aux USA et des spécialistes italiens et, pour la France, à partir des budgets des différents ministères, que cela représentait environ 5 millions d’heures de travail par an, y compris les travaux de laboratoire, de publications, de frais de déplacements réalisés à Paris, à Munich et d’autres villes, heures de travail payées à la fois par le budget public grec et par le budget public français pour les rémunérations, les charges sociales, les frais de déplacement des archéologues et historiens fonctionnaires français. 5 Millions d’heures de travail, cela représente en valeur-salaire standard grec à peu près 4000 emplois qui pourraient être occupés par les techniciens et experts Grecs.
    un dossier est parti aux USA auprès de groupes de citoyens proches des universités, en Italie s’il y avait une action de groupe à exercer sur le plan judiciaire ( Call action ) ou des recours administratifs et en Grèce auprès des syndicats étudiants.....
    Le dossier est argumenté à la dernière page sur le fait que pratiquement aucun organisme ou institution italienne ou grecque ne pourrait être maître d’ouvrage de fouilles archéologiques ( et toutes les sciences concernées) dans aucune région française.......et d’ailleurs c’est le cas lorsqu’on remonte les années........Donc déjà si on pouvait nettoyer ces dépenses inutiles de la Grèce, ce serait pas mal.......
    C’est à peu près la même situation et les mêmes solutions pour l’Italie....