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Aube dorée, sombre crépuscule (Yann Fiévet)

dimanche 30 juin 2013, par Groupe Société-Cultures

Le 17 juin 2012, la Droite conservatrice a remporté les élections législatives en Grèce. Aussitôt et partout les Bourses se sont redressées – certes pour quelques heures seulement - pour marquer la satisfaction des « milieux » financiers de constater que leurs intérêts ne seront pas menacés par le pouvoir politique resté fidèle à l’orthodoxie européenne en la matière.

Les éditorialistes les moins critiques ne s’y sont pas trompés : aux quatre coins de l’Europe « communautaire », ils ne craignent pas d’affirmer que les Grecs ont eu la sagesse de voter pour la poursuite de la politique d’austérité. L’audience du parti nazi dénommé « Aube dorée » suscite beaucoup moins leurs prolixes commentaires. Et que dire de la multiplication des agressions contre les immigrés africains de ces derniers mois en Grèce ? Il l’ignore tout bonnement. La campagne médiatico-politique anti Grèce et anti Grecs orchestrée au cours de la dernière année était déjà emblématique de l’échec de l’Europe. Les poussées racistes et xénophobes qui affectent désormais la société grecque ne font que confirmer la défaite cuisante de l’idéal démocratique européen.

Les Grecs doivent donc payer. Leur inconséquence fiscale, leur laxisme légendaire et la prévarication de leurs dirigeants. Christine Lagarde l’a dit : les petits africains qui ne vont pas à l’école sont plus à plaindre que ces Grecs geignards. Et en matière de gros sous et de moralité fiscale ou financière la patronne du FMI fait autorité. Dans le monde manichéen dessiné pour le vulgum pecus, on oppose à l’envi les fourmis méritantes et les cigales insouciantes. Il est définitivement admis par l’homme de la rue que le peuple grec appartient à la seconde engeance. Et tant pis si la réalité mérite mille fois mieux que ce trivial caniveau. Tant pis si le mot austérité n’a pas de sens tant que l’on ne dit pas comment on entend appliquer la rigueur qui en découle. L’austérité, demain comme hier, ne rimera pas avec justice sociale. On ne touchera pas à la colossale sinécure des armateurs grecs. Eux ne se contentent pas d’oublier de payer leurs impôts : ils en sont exonérés ! On va continuer de renflouer les banquiers grecs et les banquiers d’ailleurs trop engagés dans la dette grecque. On va amputer encore « le salaire minimum » et les maigres retraites. Oui, les « petits » grecs doivent payer.

L’austérité décrétée inévitable par les tenants acharnés de l’orthodoxie économique dominante ne concerne pas tous les domaines de la vie mouvementée des nations. Tout aussi inévitablement l’armement en est exclu. La Grèce ne compte que onze millions d’habitants, mais est néanmoins devenue un très notable importateur d’armes variées. Les dépenses militaires grecques ont explosé en vingt ans, passant de 1,35 milliard d’euros en 1988 à 7,4 milliards d’euros en 2009. De 2005 à 2009, ces mêmes dépenses ont augmenté d’un tiers. On ne s’étonnera pas que ces dépenses militaires soient associées à des concours financiers de banques de mêmes nationalités que les industriels fournisseurs de ces armements (États-unis, Allemagne, France). La Grèce a acheté à la France des missiles, des blindés, des navires de surface, des mirages 2000. L’Allemagne a vendu à la Grèce six sous-marins pour 4,8 milliards d’euros. On comprend mieux alors les critiques de Berlin quand les « marchands de canons » allemands risquent de faire face à des défauts de paiement. Les aides financières et le soutien français à la Grèce sont quant à eux conditionnés à l’achat de frégates et d’hélicoptères de combat. Ainsi, le malheur du peuple grec fait le bonheur des marchands de canons allemands, américains et français. Ne pouvant supporter la division par deux de leurs revenus, des centaines de Grecs mettent fin à leurs jours. Ils sont les victimes indirectes de Dassault, de Lagardère, de Siemens et des banques qui profitent de la « crise de la dette ». Est-ce bien cette Europe-là que nous voulions ?

Les eurocrates tancent les peuples d’Europe, les menacent de tous les maux quand ils risquent de mal voter. C’était le tour des Irlandais il y a peu. À qui le tour demain ? Aux Espagnols, probablement. Il est plus que temps d’interrompre la spirale mortifère qui nous détourne chaque jour davantage de la noble idée d’Europe. Soixante ans d’efforts et d’abandons progressif de souveraineté dite nationale à défaut d’être populaire pour en arriver à l’écrasement des peuples afin de satisfaire l’appétit démesuré des oligarchies financières et industrielles. À la première inquiétude tangible, on n’hésite pas à sacrifier le rêve de cohésion communautaire. Cependant, ce n’est pas seulement l’existence des peuples que l’on ignore ainsi. C’est aussi leur Histoire. Rappelons-nous tout de même que « faire l’Europe » signifiait, aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, créer un espace politique large propice à repousser définitivement tout risque de nouveau conflit belliqueux. À l’aune de cet espoir fondateur le renforcement actuel des positions commerciales des marchands d’armes et l’entrée au Parlement d’Athènes d’un parti néo-nazi ne peuvent que nourrir de profonds regrets. L’Histoire européenne des Grecs est, quant à elle, deux fois millénaire. Puisqu’il paraît qu’aujourd’hui tout peut s’acheter ou se vendre, faisons une suggestion pour sauver le peuple grec : que chaque européen mette dix centimes d’euro dans la tirelire hellénique toutes les fois qu’il prononcera un mot d’origine grecque ! Cette dette-là personne jamais n’en parle, hormis bien sûr les lettrés. Il est vrai que pour les marchands et les banquiers qui font l’Europe depuis longtemps déjà, elle est de peu d’intérêt. Et voilà bien le cœur de la crise : l’Europe culturelle n’existe toujours pas au sens populaire du terme. La culture européenne de masse lui a tourné le dos et la méprise. Dans ce désert, la voie est libre pour tous les extrémismes. Un sombre crépuscule approche.

Yann Fiévet