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Quelques analyses récentes sur la politique française au Sahel

Jacques Berthelot membre du Conseil scientifique d’Attac France

mardi 21 septembre 2021, par Groupe Afrique

Les opérations militaires menées par la France au Mali et au Sahel, au motif de la "guerre au terrorisme" donnent lieu à des critiques, comme en témoignent les vidéos et extraits d’articles ci-après. Et cela malgré le consensus observé dans la classe politique à l’égard de l’"ennemi islamiste".

Aminata Dramane Traoré, ancienne ministre de la Culture au Mali, écrivaine altermondialiste
Le 11 septembre 2011 une onde de choc pour le Mali
Vidéo youtube : https://www.youtube.com/watch?v=a3qI4aCE2BQ

Serge Halimi Le Chemin de Kaboul, Le Monde diplomatique, septembre 2021
"La guerre ne devrait pas relever du fait du prince, surtout quand on prétend la livrer au nom des valeurs démocratiques. Cela vaut aussi pour un pays comme la France, dont l’armée est engagée en Afrique. Tout justifierait qu’on y discute intelligemment de géopolitique, d’alliances, de stratégie d’avenir. Surtout après l’Afghanistan. Mais, s’il faut en juger par les derniers commentaires de plusieurs candidats à l’élection présidentielle d’avril prochain, ce ne sera pas le cas. M. Emmanuel Macron a relancé le bal de la démagogie sécuritaire en assimilant les Afghans qui fuient le totalitarisme taliban à des "flux migratoires irréguliers importants".
Transformer ainsi les réfugiés d’une dictature en terroristes putatifs lui vaudra, espère-t-il, les faveurs des électeurs conservateurs… Quant à la maire socialiste de Paris, Mme Anne Hidalgo, elle a préfacé son analyse de la déroute occidentale par une phrase vraiment redoutable : "Comme souvent avec l’Afghanistan, c’est Bernard-Henri Lévy qui m’a alertée".

Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) Bienvenue au Sahélistan, Le Monde Diplo, septembre 2021
« Plus grave encore, l’option du « tout sécuritaire » et le refus d’envisager la moindre négociation avec des insurgés qualifiés de djihadistes ont fait apparaître la France comme un obstacle à la paix… « Avec les terroristes, on ne discute pas », a répété M. Macron dans la lignée de ses prédécesseurs… L’insistance sur la dimension globale du djihadisme a masqué les dynamiques locales de la crise au Sahel, dans un contexte où le terrorisme n’était jamais que le symptôme de la décomposition des États de la zone . Plutôt que de s’intéresser aux racines du mal politique, l’Élysée a misé sur le « tout sécuritaire », en particulier sous l’influence de M. Le Drian, passé directement du ministère de la défense (2012-2017) à celui des affaires étrangères. Cet aveuglement est largement partagé au sein de la classe dirigeante… Le propos, qui minimise les solutions africaines, est tout à fait significatif de l’idée que l’ancienne puissance coloniale se fait du caractère indispensable de sa présence au Sahel. La question reste donc posée : la fin de l’opération « Barkhane » sera-t-elle l’occasion de remettre en cause les postulats interventionnistes de la France dans son pré carré ?"

Philippe Leymarie L’armée française doit-elle quitter le Sahel ?, Le Monde diplomatique, février 2021
« L’image de l’armée française se dégrade : une tendance à s’abriter dans des casernements très protégés, à ne circuler qu’en véhicules blindés, armés, masqués, gantés, bardés d’équipements de protection — autant de précautions qui sécurisent les militaires, mais qui effraient les populations et découragent la communication. Difficile, dans ces conditions, d’engager la « conquête des cœurs et des esprits » que prônaient les théoriciens de la contre-insurrection.
"Nombreux sont ceux qui ont du mal à croire « que les forces “Barkhane” et la Minusma — eu égard aux moyens considérables dont elles disposent — soient réellement incapables de réduire le pouvoir de nuisance des groupes armés terroristes, ou du moins de les protéger contre ces groupes », comme le relève Boubacar Haidara, chercheur à Sciences Po Bordeaux et chargé de cours à l’université de Ségou…
De nombreux chercheurs remettent en question la rhétorique de la « guerre contre le terrorisme », considérée comme réductrice et source d’erreurs stratégiques. Elle limite la compréhension des phénomènes dans cette zone où « plusieurs motivations se croisent, parfois se conjuguent, souvent s’entrechoquent », souligne Alain Antil, de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Il distingue entre la lutte armée à référentiel islamique, l’insurrection pour imposer la réforme de l’État et la violence utilisée pour modifier les rapports de forces intercommunautaires.
Chargé de mission au Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, Laurent Contini souligne pour sa part l’« endogénisation » du djihad… qui a impliqué d’abord les communautés peules-foulbées, mais qui concerne d’autres groupes (Dogons, Mossis, Bambaras). Il demande lui aussi d’en finir avec l’« ennemi unique » et d’éviter l’amalgame entre djihadistes, indépendantistes et narcotrafiquants, d’autant plus fréquent que les frontières entre ces catégories sont poreuses et conjoncturelles, comme les alliances entre groupes armés (13).
Déjà, en 2018, ce diplomate plaidait, dans une revue du ministère des affaires étrangères, pour une sérieuse « mise à jour du logiciel » de l’engagement militaire français au Sahel… Le chercheur souligne par exemple l’impunité accordée aux forces maliennes, dont les exactions contre des villageois ont été un puissant carburant pour le recrutement des mouvements djihadistes, lesquels se présentent comme des résistants à l’occupation. Selon ce chercheur, l’enracinement de ces mouvements relève de logiques locales de protection et de survie, et non d’abord de motivations religieuses : présenter le « djihadisme » comme une menace importée du monde arabe et imputer ces actes terroristes à une radicalisation de l’islam permet aux gouvernements locaux de faire passer au second plan leurs propres insuffisances. Cela interdit une analyse plus fine des menaces et des conflits par thèmes, par pays et par régions, et ferme les voies d’un règlement politique des crises".

Anne-Cécile Robert, Au Mali, coup d’État dans un pays sans État, Le Monde diplomatique, octobre 2020 :
"Depuis 2012 et l’offensive des mouvements djihadistes sur Bamako, interrompue par l’opération française « Serval », la vie politique, économique et sociale du Mali s’ordonne autour de la lutte contre le terrorisme. Les puissances étrangères, notamment la France, et les organisations internationales, notamment africaines, privilégient la continuité des régimes en place au nom de la stabilité, quitte à fermer les yeux sur les dysfonctionnements, les délits et les crimes commis par les autorités locales. Paris porte une responsabilité centrale : « Même si la France ne manipule pas tout ce qui se passe au Mali, dans le cadre antiterroriste, elle a façonné une scène politique qui n’est pas viable, explique le chercheur Yvan Guichaoua. Elle a indiqué que le contre-terrorisme devait être une priorité, or le contre-terrorisme n’est pas forcément la priorité des Maliens »… En effet, si l’insécurité préoccupe les populations, le désastre économique et social les taraude également. Malgré ses ressources (premier producteur africain de coton, troisième producteur d’or), le Mali gît au bas de l’échelle du développement humain, définie par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), au 184e rang sur 187 pays en 2019… Depuis plus de trente ans, l’ordonnance prescrit toujours la même potion néolibérale, et le Mali figure parmi les patients les plus dociles. Il soutient la signature d’un accord de partenariat économique (APE) entre l’Union européenne et la Cedeao, et suit la vague libre-échangiste qui emporte le continent".

Françoise Alamartine, Commission internationale d’Europe Ecologie les Verts,
Pendant la pandémie, la guerre continue : au Sahel, une stratégie vouée à l’échec (16 avril 2020)
http://lebruitdesarbres.eu/pendant-la-pandemie-la-guerre-continue-au-sahel-une-strategie-vouee-a-lechec/
"De plus en plus de spécialistes analysent la déstabilisation du Mali non comme le résultat de l’émergence du djihadisme mais comme un effet de sa propre situation interne : misère, corruption, inégalités et discriminations territoriales. La présence militaire française n’a donc fait qu’aggraver la crise. Il est grand temps de le reconnaître… Sans surprise, « l’homme de la France » a gagné, et avec lui, le même système a continué... en pire, comme le montre l’état de la société malienne, violences, destruction de l’agriculture, etc. Nous sommes alors obligés de nous interroger sur une stratégie qui, aux dires mêmes des militaires, est vouée à l’échec… Des revendications que contredisent les Accords de Partenariat Commercial (APE) que signe l’UE, avec l’appui sans faille de la France, puisqu’ils détruisent les économies locales en ouvrant des marchés africains aux entreprises et agricultures européennes… Comme le montrent les manifestations “anti-France” qu’ont noté les médias dès janvier 2020, les populations sont de moins en moins dupes des objectifs affichés pour ces opérations militaires. La guerre et ses destructions, les exactions des armées, qui dépassent même parfois celles des terroristes, l’humiliation de devoir demander l’aide militaire à l’ex-puissance coloniale, le soupçon d’intérêts occultes, favorisent l’embrigadement djihadiste… Aujourd’hui, le coronavirus exige de sortir rapidement de la stratégie militaire".