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Le Sénégal sous "tutelle française " : cas de la gestion de l’eau

Serigne SARR (ASSOCIATION POUR LA DÉFENSE DES DROITS DE L’EAU ET DE L’ASSAINISSEMENT)

jeudi 6 mai 2021, par Groupe Afrique

N’est ce pas le cas quand on connaît le portefeuille export de Bercy & AFD dans le domaine considéré, à savoir la gestion de l’eau dans toutes ses dimensions pour le compte d’opérateurs privés plutôt gros et via des prêts au gouvernement sénégalais ? A en juger à un document confidentiel de Bercy (pour la période de 2008 à 2009).

Ne soyons pas naïfs, au Sénégal, tout ce qui concerne l’eau est plus ou moins "entre les mains" de sociétés françaises, pour le meilleur comme pour le pire :

 lutte contre le typha et dragage des défluents du delta du fleuve Sénégal : Eiffage France
 ingénierie irrigation/drainage : BRL, SCP, CACG, EGIS-Eau (ex-BCEOM), toutes sociétés para-publiques France
 foncier irrigué : Géofit France
 barrage de Sambangalou : Vinci France
 études d’impact : ISL, Oréade Brèche (France)
 ingénierie grands barrages et hydro-électricité : Tractebel-Coyne&Bellier-Suez France-Belgique, Artelia (ex-Sogreah) France
 eau urbaine : Véolia France (qui va absorber Suez bientôt ?)
 protection littoral St Louis, langue de Barbarie : Antea Group France (racheté depuis par un holding mais reste en base France)
 hydrogéologie : Burgeap France...
 recherche et expertise eau, gestion de données, études agro-économiques irrigation : IRD, CIRAD, Costea/INRAE-IRSTEA, IRAM
 gestion d’organismes de bassins (OMVS, OMVG...et RAOB-RIOB), gestion de données : OIEau France
 financement du secteur Eau : AFD subventions et prêts, Bercy (FASEP-Fonds Appui Secteur Privé/études, amorçage des prêts, RPE, prêts)
 étude eau et changement climatique : EGIS-Eau/Salvaterra France
 eau-assainissement communautaire participatif : Eau Vive, GRET, GRDR... France (via AFD)
 dépollution de la baie de Hann : qui ? (de France)...
etc...

Sans être manichéen, je persiste à croire que les financements internationaux "eau et changement climat" du FVC-GCF Séoul seront fléchés vers ces entreprises publiques, para-publiques ou privées voire vers des ONGs françaises.

En fait, ce n’est pas cela le plus grave, si les gens/sociétés sont compétent-e-s (pas le cas de tous les sus-nommés) et sur des projets pertinents et socialement utiles, sans trop d’impacts environnementaux négatifs qui appauvrissent les populations. Mais c’est le recours à l’endettement systématique de longue durée dans ce secteur aux infrastructures lourdes et à la rentabilité pas toujours acquise... et avec peu de transparence, parfois avec des marges bénéficiaires exagérées et des effets de rente peu efficients (surtout avec le renouvellement générationnel et le manque de terrain des jeunes experts et décideurs). D’où une méfiance et un sentiment anti-France qui se développe au Sénégal de manière diffuse... ce qui n’est pas bon, parce que ce n’est pas une bonne réponse aux enjeux prégnants du pays.

Diversifier les financements et les prestataires serait intéressant mais il y a aussi des effets de "masse critique" d’expertise et il ne faut pas retomber dans l’amateurisme et la redécouverte d’évidences et de généralités avec des extérieurs non connaisseurs du milieu/pays et de la bibliographie. L’enjeu est donc multiple : transparence+équité+indépendance+capacités de négociation+vision+analyse critique+éthique... Un vrai programme...

Typiquement, c’est lié au type de gouvernance du pays sous Diouf, Wade comme sous Macky, et particulièrement à la technocratie sénégalaise qui connaît aussi des évolutions idéologiques, chez ses jeunes cadres supérieurs depuis 20 ans.

Il faut donc être nuancé pour toucher les vrais problèmes et peut-être aborder/promouvoir les meilleures solutions institutionnelles et politiques. Ce qui suppose aussi des bases d’appui, pour créer un rapport de forces face à des logiques d’intérêts rentières puissantes, mais fossilisées pour certaines.

Serigne SARR (ADDEA Sénégal)