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Le pays de Sankara se réveille t’il à nouveau ?

Serigne SARR (Attac Sénégal)

lundi 3 octobre 2022, par Groupe Afrique

En janvier dernier, le coup d’Etat de Damiba, adoubé par l’UEMOA/CEDEAO, avait suscité beaucoup d’interrogations dans les milieux patriotiques burkinabè et panafricains.

La Françafrique avait œuvré à récupérer cette mise à l’écart du président élu, Roc Kaboré, en réponse à la condamnation salvatrice et libératrice des assassins de feu Thomas Sankara. Le prétexte de ce coup d’Etat était la dégradation de la situation sécuritaire du pays, de plus en plus infesté par les djihado-terroristes chassés par la contre-offensive progressivement victorieuse de l’armée malienne, dirigée par le président de la transition Assimi Goïta.
Non seulement Damiba s’est associé aux honteuses sanctions anti-africaines de l’UEMOA/CEDEAO, non seulement l’insécurité s’est aggravée mettant sous la botte des terroristes près de 40% du territoire, la provocation de l’aller–retour Abidjan-Ouagadougou de l’assassin Blaise Compaoré, condamné par la justice, a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase du ras le bol au sein de l’armée et des populations. L’arrestation du lieutenant-colonel Emmanuel Zoungrana, qui contestait la politique ambiguë de Damiba, a révélé la division naissante au sein même de l’armée sur la stratégie à mettre en œuvre dans la lutte contre le terrorisme.
Petit à petit, a été ainsi démasquée la duplicité de la stratégie de l’impérialisme français de prétendue « lutte contre le terrorisme dans le Sahel ». Le peuple malien avait déjà éprouvé et subi l’inefficacité criante, au point d’en être suspecte, de la présence de l’armada française qui avait empêché l’accès de l’armée et de l’administration du Mali à Kidal.
Dans le sillage du peuple malien, les populations burkinabé avaient bloqué le passage des contingents militaires de Barkhane à Kaya qui tirèrent sur elles et où fut abattu un hélicoptère à coups de lance-pierre par un enfant.

Tel est le contexte local dans lequel survient ce nouveau coup d’Etat du capitaine Ibrahim Traoré qui invoque les deux causes principales de son action en ces termes :
 des rapports internes à l’armée remis par ses soins à Damiba demandant à centrer tous les efforts sur les actions militaires et la production agricole vivrière pour vaincre à la fois le terrorisme et la famine
 le respect de la justice qui a condamné les bourreaux anciennement au pouvoir.
Ce jeune Ibrahim Traoré, qui a manifestement eu une formation politique dans le mouvement démocratique étudiant burkinabé jusqu’en 2010 année où il s’engage dans l’armée, a ainsi tenté en vain de convaincre la hiérarchie militaire et la transition de son pays qu’« En raison de la montée en puissance des forces de défense et de sécurité malienne dans la lutte contre le terrorisme, l’ambition des autorités burkinabè est d’anticiper les problèmes sécuritaires que pourrait engendrer un repli des groupes armés terroristes sur le territoire national d’où l’intérêt de développer des synergies » (analyse reçue par facebook). Sur Voice Africa, il dénonce « cette bourgeoisie de la hiérarchie militaire (dont) certains sont en train de devenir des milliardaires » et dont la politique fait que « Les hommes en première ligne contre les djihadistes se considèrent comme de la chair à canon, offerts en victimes expiatoires au glaive de l’ennemi ! Le moral est sous le talon, le chef, repu, devient l’ennemi du soldat et de l’officier de contact qui, dans le même élan, se liguent contre le système » (idem).

Ce phénomène d’embourgeoisement des états-majors, parallèlement à la corruption en milliards de francs cfa des gouvernants civils au pouvoir, a pu être observé dans quasiment toutes les néo-colonies africaines. Phénomène d’enrichissement illicite systémique par la gestion de l’appareil d’Etat néo-colonial sur fond de totalitarisme de la pensée unique libérale qui est à la base de la déliquescence progressive de « l’Etat » postcolonial, né de la subordination à la domination impérialiste. Le délitement de l’État néocolonial, que l’on observe partout dans nos pays, se transforme en déchéance ouverte dès la moindre épreuve telle que l’infestation provoquée par la destruction de la Libye par la stratégie du chaos des USA/OTAN/UE, pour préserver leur hégémonie séculaire prédatrice sur le monde et les peuples.
Un tel état de faits accroît forcément les contradictions internes au sein de nos pays, y compris de nos armées nationales, entre camps patriotique et néocolonial, entre classes sociales patriotiques et néocoloniales.
Ainsi « les officiers étant plus motivés par un strapontin que par un poste de commandement opérationnel ! C’est le divorce entre les officiers de contact et les chefs ! Livrés à eux mêmes, ces officiers finissent par considérer leurs supérieurs comme des « bourgeois planqués » et n’hésitent pas à l’occasion d’utiliser les capacités qui sont entre leurs mains pour s’attaquer au pouvoir des ‘chefs’ » (idem).
En émettant l’hypothèse d’un pouvoir civil suite à son coup de force, faut-il croire que ce jeune capitaine qui ponctue ses déclarations à la manière Sankara par « la patrie ou la mort » semble avoir intériorisé l’analyse suivante : « Ainsi on voit qu’en Afrique, les coups d’État sont souvent l’œuvre d’officiers de contact, les généraux et colonels étant aux abonnés absents car occupés à sabler le champagne dans les lambris du pouvoir ! La guerre de Sécession, la guerre de 1905, la première guerre mondiale, la deuxième guerre mondiale, la guerre du Vietnam, « la longue marche », ont toutes été gagnées sous la conduite politique de régimes civils. La guerre asymétrique se gagnera aussi par des autorités civiles engagées dans la conduite politique de la guerre et une armée républicaine. Le jugement de l’Histoire est implacable mais encore faut-il que les chefs militaires en soient conscients ! » (idem).

On voit là que les positions simplistes dans lesquelles tombent certains « bien pensants » souvent repus et corrompus sur « les agendas électoraux », « les juntes militaires », « le retour méthodique à l’ordre constitutionnel » (déclaration de la CEDEAO), apparaissent fort justement totalement hors sol pour les peuples pris à la gorge par la connivence entre les attaques terroristes et l’occupation militaire françafricaine, eurafricaine et usafricaine.
En effet qui ne constate que, plus l’occupation militaire dure, plus le terrorisme perdure. C’est ce qu’enseigne aux peuples l’expérience de ces décennies de prétendue « lutte contre le terrorisme ».
La même école de l’expérience pratique enseigne que des résultats concrets sont obtenus, de la Centrafrique au Mali, là où les Etats ont exercé leur souveraineté nationale reconquise pour rompre l’unilatéralisme et diversifier, dans le cadre du multilatéralisme en cours, leur partenariat dans la lutte contre le terrorisme.
C’est cette exigence opportune que les manifestants burkinabé expriment clairement en brandissant les drapeaux burkinabé, malien et russe. Tout le charabia sur « quitter un oppresseur pour se soumettre à un autre » n’est en réalité que piège pour attrape-nigauds qui révèle à la fois le racisme atavique du colonisateur et l’aliénation mentale chronique du colonisé.
Ce à quoi on assiste, c’est en réalité que la « CEDEAO des peuples » est en train de se frayer un chemin complexe, à travers les luttes populaires et la montée en puissance du patriotisme militaire et civil contre le « club des présidents de la CEDEAO » serviles à l’impérialisme.
Voilà pourquoi les militaires patriotes ont parachevé les mobilisations populaires civiles contre la corruption des gouvernants civils qui se sont succédé au pouvoir depuis la révolution inachevée à l’encontre de l’autocratie fasciste militariste de 1991 au Mali. Voilà pourquoi le peuple a renversé le fascisme militaro-civil de Blaise Compaoré assassin de Sankara et à nouveau mis fin au règne du civil, ci-devant ex-marxiste, Kaboré avant de chasser Damiba. Voilà pourquoi en Centrafrique, Touadéra a gagné les élections malgré toutes les manigances de la Françafrique.
Dès l’apparition du djihado-terrorisme au Sahel suite à la guerre françafricaine, eurafricaine et usafricaine à l’encontre de la Libye, nous appelions à une alliance militaire panafricaine sans les impérialistes pour juguler et stopper ces mercenaires fanatisés financés par les pétro-dollars enturbannés et armés par l’Occident impérialiste en cravate. La destruction des tombes des 333 saints noirs africains de Tombouctou et de la bibliothèque de Sankoré par ces racistes fanatiques montre clairement que la religion n’est ici qu’un habillage politique et idéologique au service de l’impérialisme et de son hégémonie prédatrice.

Plus que jamais les peuples doivent donner de la voix pour que cesse l’occupation militaire de nos pays par les impérialistes et que triomphe la souveraineté nationale, étape vers l’unité africaine au service de l’Afrique. C’est à cela qu’appelaient les pères panafricains du communisme africain, Lamine Arfan Senghor et Tiémoko Garan Kouyaté par la formule « l’union libre des peuples libres » d’Afrique.


SERIGNE SARR

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