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Crise malienne : quelles responsabilités des uns et des autres ?

Serigne SARR président de ADDEA-ATTAC SÉNÉGAL

lundi 21 février 2022, par Groupe Afrique

Il ne fait aucun doute que la France porte une responsabilité historique dans la déstabilisation en cours du Sahel, consécutive à la chute du colonel Khadafi.

Avec le retour de la Lybie avec armes et bagages des combattants touarègues de la « légion verte » qui ont tôt fait de relancer leur irrédentisme atavique, avant de se faire doubler par des djihadistes, la boîte de Pandore était ouverte au Mali. Mais si le pays a pu sombrer aussi rapidement dans le chaos, c’est aussi qu’à quelques exceptions près, il le doit à l’impéritie de la plupart de ses dirigeants successifs qui se sont souvent signalés par une gestion erratique de l’Etat. Le clientélisme, le népotisme, la corruption endémique et le manque de justice sociale ont fait le lit de l’insurrection islamiste dans les zones où les populations ont toujours été livrées à elles-mêmes et ont servi de caisse de résonnance au djihadiste Amadou Koufa et ses séides !
Au Sahel, Caton semble avoir beaucoup d’émules, qui font de la présence militaire française, l’Alpha et l’Omega de tous les malheurs qui secouent cette partie du continent. Mais, puisqu’il n’est plus permis de débattre sereinement de cette question sans être taxé de « pro- français » on ne trouvera pas dans mes écrits une ligne qui fait l’apologie de l’ancienne puissance coloniale. Bien au contraire ! Pour ne prendre que quelques exemples, au lendemain de l’élection de Nicolas Sarkozy comme président de la République française, j’avais écrit un article « Un pyromane à l’Elysée ». Je prédisais, vu le comportement de caïd de l’impétrant, qu’il allait mettre littéralement le feu aux poudres. Ce qui était advenu quelques années plus tôt quand il était ministre de l’Intérieur avec les émeutes qui firent flamber les banlieues françaises. Ses responsabilités sont bien connues aussi, dans la mise en place de la dictature de Ouattara en Côte d’Ivoire. Cet événement est l’un des moteurs de la réaction françafricaine, dans la dernière période. L’agité de l’Elysée déclenchera plus tard un autre incendie, la guerre de Libye, point de départ de la déstabilisation en profondeur du Sahel.
L’historienne Armelle Mabon revisita le bilan du massacre des Tirailleurs sénégalais du camp de Thiaroye. Les révélations de cette dame persévérante, honnie par une bonne partie de l’establishment militaire français, firent l’effet d’une bombe. Beaucoup de journaux embrayèrent à ce sujet pour réclamer des comptes à l’ancienne puissance coloniale. Pour boucler la boucle, dans la même foulée, le vieux Biram Senghor, dont le père Mbap fut l’une des victimes de cet effroyable massacre, réclame en vain depuis lors sa réhabilitation.
Cette tragédie qui frappa la famille Senghor n’est que le prolongement d’une longue tradition de violence d’Etat de la part de la France. Une violence incarnée à travers les siècles par de sinistres personnages comme Joseph Fouché, conventionnel régicide pendant la Révolution française, surnommé « le mitrailleur de Lyon », ville où il exécuta des centaines de personnes avant de tourner casaque et de devenir ministre de la Police, le général Paul Aussaresses, bourreau des nationalistes algériens qu’il se vantait, au soir de sa vie, d’avoir massacrés « sans regret ni remords » ou encore le tristement célèbre Jacques Foccart, âme damnée du gaullisme et architecte d’un nombre incalculable de barbouzeries et de coups tordus en Afrique.
De la répression de l’insurrection malgache qui fit des dizaines de milliers de morts à l’anéantissement au Cameroun du maquis de l’UPC conduit par l’héroïque Ruben Um Nyobé, qui fit autant de victimes, la France a laissé une longue trainée de poudre et de sang sur le continent. Il faudrait des rayons entiers de bibliothèque pour documenter l’étendue de ces crimes dont elle ne s’est jamais excusée.

Cela dit, essayons maintenant d’examiner sereinement les faits qui se déroulent actuellement au Mali et au Sahel, problématiques majeures dont se sont emparé des populistes et des gourous de sous-préfecture qui, confondant histoire et hystérie, font régner une terreur médiatique sur les réseaux sociaux où l’anathème tient lieu d’argumentation et les logorrhées font office de réflexion.
Pire, c’est le coup Son image de « syndicat de chefs d’Etats » lui colle à la peau comme une tunique de Nessus. Son peu d’empressement à corser son protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance, dans le but de condamner les coups d’Etat constitutionnels qui servent souvent de matrices aux coups d’Etat militaires, a creusé davantage un fossé entre la Cedeao et des populations révulsées par l’incurie de certains de leurs dirigeants et aspirant légitimement à un meilleur leadership.
Mais, pour autant, faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? Autrement dit, au risque d’aggraver son cas, l’institution pouvait-elle laisser la junte dirigée par Assimi Goita dont les engagements initiaux relèvent encore de l’ordre des promesses, pousser l’audace jusqu’à proposer une transition comprise entre « six mois et 5 ans » et faire tourner ainsi en bourrique le médiateur désigné par l’instance sous-régionale, en l’occurrence l’ancien Président nigérian Goodluck Jonathan ? Penser que le Président Buhari, dirigeant à la très forte personnalité et lui-même ancien putschiste reconverti à la démocratie, pouvait laisser passer un tel affront, montre le manque de maturité politique de la junte malienne et souligne l’ignorance crasse de leurs supporters qui voient partout la main de la France, dans une sorte de délire monomaniaque. De la complexité de la crise malienne, les drogués du buzz et les camés des « like » qui sévissent sur les réseaux sociaux, n’ont cure. Ces Torquemada 2.0, avec une incroyable paresse intellectuelle, préfèrent chaque jour distiller le venin de la désinformation et de la manipulation. Ils se veulent les agents autoproclamés de la police de la circulation de la pensée, condamnant au bûcher médiatique toute voix dissonante. Aussi dures que soient les sanctions de la Cedeao pour les populations maliennes déjà fortement éprouvées, elles étaient prévisibles devant l’autisme suicidaire du colonel Goïta et la fuite en avant orchestrée par son Premier ministre Choguel Maïga. Devenu l’incarnation du nouveau nationalisme africain pour ses aficionados, l’homme multiplie les coups d’éclat et les coups de menton, dans une surenchère populiste permanente. Pourtant, le parcours sinueux de ce politicien extrêmement ambitieux devrait inciter ceux qui en font leur héros à la prudence. Ancien membre du RPM, le parti de l’ancien Président Moussa Traoré, Choguel Maïga a été aussi ministre sous le règne d’Amadou Toumani Touré, avant de rallier le gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keita. Il en sera même le porte-parole zélé avant de lâcher brutalement IBK et d’adhérer au M5 RFP, organisation dont les manifestations monstres exigeant le départ de l’ancien Président, ont servi de cheval de Troie aux militaires pour prendre le pouvoir.
La vérité avec la junte malienne, c’est que les jeunes officiers aux commandes de cet immense Etat ont pris goût au pouvoir et n’envisagent pas de sitôt de retourner dans les casernes. Céder à leurs desideratas serait un appel d’air pour tous les apprentis putschistes de la sous-région comme on l’a vu récemment au Burkina Faso, pays durement frappé aussi par une insurrection djihadiste, avec l’arrestation d’un officier accusé de vouloir renverser le régime. Robespierre, au moment de sa chute, se serait écrié, dépité : « La République est morte et les brigands triomphent ! » Au Mali où le risque de « somalisation » du pays n’a jamais été aussi grand, il faut prier pour que les rentiers de la crise et les démagogues de tout poil ne triomphent pas.