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Nils Andersson, Le capitalisme c’est la guerre (Recension)

Anne-Marie Roucayrol (CAIRN)

dimanche 12 mars 2023, par Groupe Afrique

Il y a trente ans, le mur de Berlin tombait et l’URSS se disloquait. La fin de la guerre froide promettait, selon certains, une paix en lien avec l’extinction des causes de conflit.

Le triomphe du monde occidental sur l’adversaire communiste rendait caduc cet état permanent d’alerte dont la marque principale avait été la course aux armements. Le monde libre pouvait enfin baisser la garde, le socialisme du réel, vaincu, laissait le «  capitalisme du réel  » maître du jeu.

Mais la guerre est dans la nature même du capitalisme, et ce petit livre très dense le démontre. N’y cherchez pas la description des mécanismes économiques ou socio-politiques qui définissent le système néolibéral régissant désormais le monde entier. Le capitalisme est compris ici dans sa globalité idéologique par opposition au socialisme du réel, comme un système qui, fondé sur la concurrence et la soif effrénée de profit, laisse peu de place à la coopération égalitaire, à la mutualisation des moyens et aux véritables besoins des peuples.

Nils Andersson déroule avec précision le panorama des guerres et conflits qui se sont succédé et enchevêtrés depuis 1990 et scande son propos par des chapitres aux sous-titres éclairant sa grille de lecture  : Guerre du Golfe, août 1990-février 1991, acte fondateur du «  nouvel ordre mondial  ». Les opérations qui suivent en Irak, l’introduction du «  droit d’ingérence humanitaire  ». Guerre civile dans l’ex-Yougoslavie, 1991-1995, l’ONU instrumentalisée  ; Srebrenica, le naufrage du droit d’ingérence humanitaire. L’Accord de Dayton, pax americana en Europe, puis le diktat US de Rambouillet. Guerre du Kosovo en 1998-1999, l’Otan seule aux commandes. Guerre en Somalie (1991 à nos jours), zéro mort pour les militaires, les civils abandonnés aux bandes armées. Guerre et génocide au Rwanda (1994), l’indélébile culpabilité. Guerre en Afghanistan (2001-2014), dérive des guerres justes, puis fin de l’Otan gendarme du monde. De Bagram à Guantanamo, crimes de guerres et crimes contre l’humanité. Seconde guerre d’Irak en 2003 aboutissant à l’élimination de Saddam Hussein, en trois chapitres, de l’hégémonisme triomphant à son délitement, puis une guerre illégale au mépris des opinions publiques, suivi d’ échec militaire et d’impasse diplomatique  : naufrage du nouvel ordre mondial. Changement de doctrine, les États-Unis délaissent l’Europe et l’axe des affrontements se déplace vers l’Asie, parallèlement à la montée en puissance de la Chine. Guerre en Libye, Sarkozy et Cameron en petits Bush. Guerre au Mali et au Sahel, la quadrature du cercle, l’enlisement de la France. Guerre en Syrie, ces ennemis que l’on a engendrés et l’abomination syrienne.

La guerre a donc été et est toujours le quotidien de millions d’hommes.

L’intérêt majeur de ce livre est d’intégrer chaque conflit dans l’équation géopolitique du moment en insistant chaque fois sur les liens entre les instances internationales, au premier chef l’ONU, alliances interétatiques et surtout OTAN, et les intérêts géopolitiques des protagonistes menés par le champion du capitalisme, les États-Unis. À chaque étape, des citations, extraites de discours, d’analyse stratégique, d’énoncé de doctrine, de programmes d’armement, issus des États-Unis, de l’OTAN, des puissances européennes, proclament sans fard le but hégémonique des intervenants. But clairement affiché, mais justifié aux yeux des opinions publiques grâce à la notion d’ingérence humanitaire, dont l’historique est ici brièvement retracé, puis de «  droit de protéger  ». Au besoin, les puissances occidentales n’ont pas hésité à recourir au mensonge d’État.

Ces trente années de conflit démontrent l’évolution de l’ONU, peu à peu dépossédée de ses missions de prévention et de représentante de la diversité des nations, pour devenir un instrument du Conseil de sécurité sous la pression des États-Unis  ; et l’évolution de l’OTAN, qui s’est vue, d’abord confortée dans son rôle de gendarme du monde pour redéfinir ensuite sa mission européenne, mais en passant de la défense à la préparation de l’attaque.

Ces guerres ont pu changer de nature, être de plus ou moins basse intensité, jouer avec les sanctions économiques, brouiller les limites entre sécuritaire, militaire et même humanitaire, devenir «  hybrides  », elles s’inscrivent toutes dans la volonté de puissance des nations occidentales et de leur chef de file états-unien. Ces guerres n’ont eu d’autre efficacité que d’étendre le champ des conflits, d’accentuer le fossé culturel entre Occident et reste du monde, de rendre plus difficiles les approches coopératives et contractuelles.

Les derniers chapitres décrivent la nouvelle course aux armements qui sévit à l’heure actuelle, en parallèle avec l’ordre mondial capitaliste, la concurrence constitutive et le chacun pour soi qu’il génère, et en outre la volonté de contrer la puissance chinoise. Tous les états-majors, y compris en France, envisagent désormais la possibilité d’une guerre offensive interétatique et multidirectionnelle, incluant l’espace extra-atmosphérique, et les nouvelles technologies d’accroissement des capacités humaines, dont l’intelligence artificielle. La course technologique impose la mobilisation de moyens financiers, intellectuels et logistiques énormes, dont les grandes puissances seules disposent, ce qui accroît l’inégalité structurelle entre nations.

En ce temps de dispersion des activités militantes, sollicitées par une multiplicité de causes à défendre, les pacifistes peinent à se faire entendre. Cet ouvrage lie clairement le combat pour la paix à la lutte anticapitaliste et doit être considéré comme un outil idéologique, car il met en lumière la cohérence du nouvel ordre mondial et sa responsabilité dans les conflits passés et à venir  ; il est un vibrant appel à intervenir pour «  redonner sens à la solidarité en berne  », au nom d’un droit d’ingérence contre la guerre, c’est-à-dire «  contre les pouvoirs politiques économiques financiers, militaires qui imposent leur domination  », et revendique donc un «  droit d’ingérence contre le capitalisme du réel  ».

Mis en ligne sur Cairn.info le 15/11/2021

https://doi.org/10.3917/lp.407.0154
https://www.cairn.info/revue-la-pensee-2021-3-page-154.htm

Nils Andersson, Le Capitalisme c’est la guerre, Terrasses éditions, 2021, 148 p., 11,50 €
https://terrasses.net/index.php/2020/11/17/le-capitalisme-cest-la-guerre-de-nils-andersson/
Anne-Marie Roucayrol
Dans La Pensée 2021/3 (N° 407), pages 154 à 155