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Communautarismes : quel sens à ce concept et quelles conséquences pratiques ?

Claude Caro, ancien maire-adjoint aux Mureaux, durant 18 ans

dimanche 14 février 2021

Le président de la République a présenté le 2 octobre 2020, ce qu’il nomme son « projet de loi contre le communautarisme, le séparatisme ». Ceci aux Mureaux, en Yvelines, commune dans laquelle j’ai exercé, durant 18 ans un mandat électif de maire-adjoint, en même temps qu’instituteur en ZEP, de 1977 à 1995.

Le choix du lieu pour présenter son plan d’action contre ce qu’il nomme le « communautarisme » n’est pas innocent, pas plus que le choix du thème politique qu’il veut imposer au peuple français dans un moment de crises sociale, sanitaire, sociétale, idéologique, qui taraudent notre vivre ensemble égaux et différents.
Le choix du lieu : Les Mureaux, dans la vallée industrielle de la Seine-aval, commune ouvrière (60 % d’ouvriers et d’employés), (à quelques kms de Flins Renault) commune sur laquelle se situe aussi Arianespace, mais aussi les grands ensembles construits à partir des années 1960 pour loger les collectifs de travailleurs appelés par la reconstruction d’après-guerre. L’industrie automobile recrutant dans tous les pays d’Afrique, sans se soucier de leurs possibles insertion, intégration, hébergement à proximité du lieu de travail.
Puis il y a eu les mutations industrielles nécessitant de nouvelles qualifications, non pensées par le patronat et les pouvoirs politiques nationaux successifs. Le chômage s’est installé...la jeunesse née dans les cités n’a pas trouvé le cadre de vie favorisant ses légitimes aspirations à partager le mode de vie proposé par la civilisation mondialisée qui s’est imposée à tous, avec son libéralisme néo-libéral du chacun pour soi, du mépris de l’autre.
Nous-mêmes, élus ou militants politiques ou associatifs, absorbés par les urgences quotidiennes auxquelles nous devions faire face, n’avons pas toujours su comment faire pour que la population qui nous faisait confiance ne désespère pas de possibles améliorations pour peu que nous comprenions la société et ses mutations de tous ordres.
Nous avons développé des politiques de développement social urbain : réhabilitations, restructurations urbaines, invention, avec les habitants et leurs associations de procédures démocratiques pour faire émerger les solutions les meilleures possibles pour adapter le cadre de vie et de travail aux besoins tels qu’exprimés au cours des assemblées de quartier bi-annuelles (équipements associatifs, sportifs, culturels...), ...et pourtant, la mal-vie, le mal-être, s’ils ont été ralentis, n’ont pas pu être dépassés. Les tentations de repli ont progressé, d’autant plus vite que tous ceux qui ont pu quitter les lieux ont été remplacés par des populations nouvelles, chassées de Paris trop cher, et logées là sans concertation avec les élus, par les organismes HLM ou les préfectures.
Il faut surtout bien comprendre que tout cela s’est effectué dans la durée : ces transformations silencieuses, si nous les avions perçues, nous, sur le terrain, nous n’avions pas les instruments politiques et idéologiques de les affronter. J’ai le souvenir de l’incompréhension des autorités régionales lorsque nous présentions nos projets au cours des séances consacrées au DSU. Ces projets, élaborés dans la concertation avec les habitants ayant besoin des financements sociaux dont disposent l’Etat, la Région, le 1 % logement , les organismes sociaux...
La durée a imprimé dans la population et surtout dans la jeunesse les idées d’entre-soi, de débrouille pour « s’en sortir » quitte à franchir les lignes souvent avec la complicité des médias ou du show-bizz. Les familles ont été très souvent mises dans l’impossibilité de transmettre des règles de vie, d’autant plus que notre société mutait en accéléré, rendant incompréhensibles certains comportements.
La concentration de la misère aggravée par la désindustrialisation, a plongé de plus en plus de familles dans une privation de perspectives d’amélioration réelle, pour cette jeunesse qui s’est ainsi trouvée trop souvent désoeuvrée et livrée aux tentations illusoires de l’argent facile, du trafic de stupéfiants. Enfin, le repli sur soi, son lieu de vie, ses « fraternités locales » ont pu trouver une issue dans les aspirations communautaires religieuses, proposées par l’idéologie religieuse musulmane, elle-même passée progressivement sous l’influence d’une religiosité sectaire.
Mais ces aspirations communautaires, en soi, ne sont pas condamnables. Elles existent dans nos villages, dans nos associations particulières. Les solidarités humaines sont indispensables à l’épanouissement de nos individualités. La République, sociale et démocratique assurant l’insertion-intégration dans un projet politique civilisationnel apte à « tirer tout le monde vers le haut », peut prendre appui sur de telles fraternités.

Il est regrettable qu’un président-philosophe ne reconnaisse pas le lien existant entre « la fraternité religieuse », qu’il nomme « séparatisme » et le besoin de solidarité-fraternité, que tous les humains peuvent partager. Un tel discours ne peut, dans l’état actuel de confusion idéologique, qu’aggraver les tensions bien réelles nées dans et par toutes les crises auxquelles notre peuple est confronté.
Car, et c’est là que le bât blesse : il s’agit d’une volonté politique qui, prenant acte de l’impossibilité de mettre en œuvre une politique d’insertion des différentes classes sociales dans un projet social et politique marqué par le "en même temps", le choix est fait d’accentuer les différences, et donc de diviser la société. Elu sur le « en même temps », Mr le président, se révèle après les GJ, plus que jamais comme le partisan du « séparatisme des riches » : si, dans les Yvelines, on vit très mal aux Mureaux ou à Trappes, on vit très bien à Versailles ou dans les beaux quartiers parisiens !
Disons-le tout net : les propos de Mr Valls, dimanche sur BFM-TV, s’ils expriment une colère que nous pouvons partager, n’apportent aucune réponse de contenu démocratique à la façon dont l’islamo-fascisme tire profit du terreau idéologique sur lequel il prospère.
Ce n’est pas en désarmant les forces sociales, laïques et démocratiques que l’on gagnera la bataille pour le pluralisme, la liberté d’expression, l’intelligence collective, que l’on aidera familles et jeunesses à se retrouver, les travailleurs de tous pays et de toutes professions à fraterniser.

A ce jour, le réarmement idéologique des forces du travail et de la création face à l’offensive idéologique des forces obscurantistes et fascisantes s’impose.
Cette exigence ne souffre d’aucune exclusive. Si tout est bouleversé, la remise en ordre des consciences nous impose un dialogue sans tabous, sans idées préconçues puisque l’incertitude est devenue fondamentale.

Messages

  • Au lieu de dire "ces aspirations communautaires, en soi, ne sont pas condamnables" j’aurais dit que si certaines aspirations communautaires restent ouvertes et porteuses de luttes progressistes pour l’égalité et la justice sociale, d’autres aspirations sont beaucoup plus en fermeture et sous emprise des intégrismes religieux. L’expression "communautarisme" vise toujours une fermeture et des rejets de l’autre. Et cela ne vise pas que les communautarismes infra-nationaux car il y a un communautarisme national porteur de division, d’exclusion, de xénophobie.

    Par ailleurs l’idée "d’élévation vers le haut" sans s’en prendre au pouvoir et à la richesse des riches pour les rabaisser économiquement et réduire leur pouvoir apparait illusoire ou insuffisant. D’ailleurs son texte montre assez bien que quand certains groupes arrivent à partir et à monter dans la hiérarchie sociale d’autres victimes du cumul des désavantages sociaux arrivent dans ce quartier défavorisé . Il y a on le voit une reproduction systémique dans le temps de ces désavantages cumulés (thème de l’imbrication des rapports sociaux). Etre, par exemple, en même temps, femme, noire, précaire, en HLM, smicarde ou pire encore, etc signifie aussi, sans verser dans l’essentialisme (attention) d’être plutôt du mauvais côté, sans systématisme (attention encore), pour chaque rapport social cité, ou l’on voit des hommes, des blancs, des stables en emploi, des habitants résidentiels, des biens payés à trois fois le smic, etc. Le désavantage n’est pas automatique mais fort probable.