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Qui sait comment faire ? Un mouvement venu des invisibles

Etienne Adam, Pierre Cours-Salies

dimanche 10 mars 2019

Nouvelle phase du mouvement des Gilets Jaunes : instauré dans la durée, il a imposé un changement d’attitude du Président, et polarise maintenant un début de réorientation des directions syndicales du syndicalisme de lutte, et des relais des associations diverses de solidarité (contre les atteintes aux droits démocratiques et contre les armes mutilantes de la police) et celles de défense des services publics.

Même si les revendications des quartiers populaires ou le chômage et la précarité ou la grande pauvreté restent encore en retrait, pour beaucoup du fait des conditions à l’origine de l’essor de la mobilisation. Plusieurs réalités se dégagent, à préciser. On peut résumer : durant l’été et à l’automne 2018, des couches sociales plutôt liées à la droite ont protesté contre des mesures (taxes sur le diesel, règles des 80 km/h…) qui étaient accompagnées d’une atteinte inacceptable pour des millions de retraités et de travailleurs/euses loin des centres urbains et/ou de transports collectifs. Dès les premiers actes de blocages, de nombreux retraité.e.s, exaspéré.e.s des diminutions de leurs revenus et de l’insécurité sur l’avenir de leurs régimes de pension, après des manifestations massives, subissant la hausse de la CSG, ont participé à ces mouvements ; vu les liens sociaux locaux, cela a joué sur une partie des salarié.e.s. Les premiers commentaires insistaient sur « la fronde fiscale » et des revendications contre les taxes, certains « théorisant » sur « une nouvelle forme de poujadisme », en référence à des réactions de couches de la petite bourgeoisie indépendante mises à mal par une modernisation capitaliste dans les années cinquante. Pourtant, il était clair que les retraité.e.s étaient les mêmes que ceux de leurs manifestations nationales intersyndicales… Pour changer cette image et ces interprétations, des initiatives d’enquête sociologiques ont eu un rôle très décapant (1). Cette description résumée induit des questions : pourquoi cette crise politique et où peut-elle aller ; comment y avoir un rôle utile ?

Tout d’abord, un étonnement : une rupture dans la chaîne de domination. Comment une action de protestation devient-elle source d’une crise politique ? Il faut essayer de cerner au moins trois raisons.
La première, trop peu citée, relève des contradictions propres à la 5e République. Nous y reviendrons pour cerner une hypothèse sur la suite et des tâches politiques. Les institutions de la 5e République sont ainsi faites que cela remonte vite au centre du pouvoir politique. On l’avait vu en 68, même si Georges Pompidou avait essayé la possibilité de discuter (Grenelle) avec les syndicats ; ceux-ci avaient construit une mobilisation unitaire durant les années précédentes, depuis 1965. Mais, pour saisir ce qui n’est pas propre à Macron, ni aux effets cumulés des politiques depuis des dizaines d’années, pensons à 1968, où le vide s’était fait très vite autour du Général : une insurrection de Nanterre au sommet, avait analysé Henri Lefebvre…

Une deuxième saute aux yeux, limpide : le refus de la politique néolibérale s’est manifesté depuis longtemps ; récemment, pensons aux manifestations de retraité.e.s, massives, et aussi aux printemps 2016 et 2017. Est-il indifférent que 75% de la population aient soutenu les mobilisations contre la Loi El Khomri et contre la loi travail, même au beau milieu de manifestations donnant lieu à de grandes violences ? De même, les usagers, dans leur majorité (70%) approuvaient la grève des cheminots. De très nombreuses mobilisations locales ont lieu, depuis dix ans, localement, contre les fermetures de services publics (Postes, SNCF, Hôpitaux, classes dans les écoles …). Quand on sait, comme les enquêtes sociologiques l’ont montré, que 40% des « Gilets Jaunes » ont fait grève au moins une fois dans leur vie (contre 33 % pour l’ensemble de la population) on peut se dire que des réflexions critiques sur le besoin et les moyens de se faire entendre vraiment se sont accumulées. Il nous faut définir les liens entre ce mouvement et les expériences politiques et syndicales, sans doute depuis une vingtaine d’années et tout particulièrement ces dernières.

La troisième donnée à reprendre porte loin, une fois démêlée : il reste à comprendre ce qui caractérise ces couches populaires. Si la mobilisation ne tourne pas à un échec, leur sortie de l’invisibilité produira un renouvellement dans la façon de poser les questions politiques.
Les couches salariées observées très actives dans ce mouvement restent souvent trop peu analysées. D’où des questions du type « pourquoi n’y a-t-il pas d’interpellation des patrons directement ? ». Cela relève d’une composition sociale qu’il faut préciser.
Sont éclairantes ici des études faites il y a une quinzaine d’années, et deux livres en 2006 (2). Nous avions mis le doigt sur une série de faits qui dessinaient un panorama ; mais certains pouvaient affirmer, à l’inverse de notre analyse, une disparition de la possibilité que se regroupe une classe. « Une domination de classe, grâce à une remise en cause profonde des garanties sociales des années soixante et soixante-dix a rendu opaques les possibilités de lutter pour des objectifs communs. Cela s’imbrique à une masse de transformations internationales et étatiques qu’on a tort de réduire au label « libéralisme » (NLC, 44). Une interrogation, portait alors, après le soulèvement des banlieues de novembre 2005 et le « Non » au référendum du 29 mai 2005 sur le Traité constitutionnel européen était à la fois politique et méthodologique : « Comment comprendre cet écart entre la massivité d’un refus partagé et le morcellement, la juxtaposition des luttes sociales ? Pour vraie qu’elle soit, au moins partiellement, la méfiance à l’égard de toutes les organisations politiques reste une pseudo « explication ». Elle passe sans doute à côté de l’essentiel : une unité autour de buts communs fait défaut et la discussion a du mal à se nouer sur ce plan. Comment mieux comprendre cette réalité, qui dure maintenant depuis une dizaine d’années ? » (NLC, 44).
Cela ne répond sans doute pas à nos questions immédiates mais les inscrit dans les analyses suscitées autour de la notion de « grève par procuration » en novembre 1995.
Précisons les grands traits actuels : saisissons l’occasion de nous donner une photographie plus précise de la société aujourd’hui.

Une insécurité de longue durée
Un repère chiffré, que masquent les activités de « fausses informations », - parfois tout à fait officielles -, est bien la façon de compter les chômeurs à plein temps et les autres, à temps partiels et dans des statuts précaires ; ils relèvent d’un même phénomène : dix millions de personnes, sur 27 millions de population active sont dans une situation de précarité (3) .
Parmi celles et ceux qui ont un « emploi stable » dans le secteur privé, il faut aussi prendre en compte que la sécurité est toute relative, pour plusieurs millions de salarié.e.s de PME, au vu de la pérennité réduite de ces entreprises.
Des situations, d’aides-soignantes à domicile, de caissières de magasin à temps partiel, de salarié.e.s d’entreprises toute petites, de ‘porteurs de projets’, d’informaticien-ne-s très qualifié.e.s mais vivant dans des ‘poches de chômage’ … ne sont pas en contact avec les syndicats. Les rapports entre les syndicats et les divers gouvernements de gauche, depuis 1981, l’institutionnalisation du syndicalisme professionnel et les replis sur l’entreprise ont contribué à faire disparaître les Unions locales interprofessionnelles. Quels que soient les efforts de l’Union Solidaires ou de la CGT par endroits, ces fractions du salariat restent « étrangères », extérieures au syndicalisme et même pour certaines à la notion de collectif de travail . Soulignons ici, même si ces faits n’ont pas été mis en évidence pendant les premières phases de ce mouvement, les réalités de la majorité des jeunes issus des immigrations, englobé.e.s de façon allusive et hypocrite sous le label « quartiers populaires » (4) , et celle de la masse des « chômeurs de longue durée et de « bénéficiaires » du RSA (terme consacré, qui traduit bien la fonction idéologique grossière de ce langage administratif). Les situations analysées au « bas de l’échelle » désignent des personnes qui ne veulent pas tomber plus bas, dans ces sous-statuts de « l’assistanat ». Les « gens de la moyenne », ces « anonymes », ce « peuple des invisibles » brusquement impose d’être reconnu ; plus ou moins pauvres ou fragiles, elles et ils n’ont pas grand-chose à voir avec la représentation inventée de la « classe moyenne » : cette « catégorie sociale », introuvable et peu définissable, a sans doute pour objectif de faire croire à une différence fondamentale et de détourner de la conscience d’une unité possible avec tous les autres. Cette « politique sociale » encourage de nombreux salarié.e.s à se rassurer de leurs conditions de relative sécurité, de leurs différences dans l’ensemble. Cette reconfiguration s’efforce de gommer la réalité d’une même classe, écartèle les diverses situations, élitisme, tri, craintes, présentation des chômeurs comme plus moins incapables et à ‘assister’, et plus de 40% à bac +2 souvent entre des emplois précaires et sous qualifiés, ou du chômage ... La misère réelle des chômeurs de longue durée des « outsiders » (ou « exclu.e.s »), contribue à une construction sociale qui pousse « le bas de l’échelle » à se résigner à ce qu’ils/elles ont, et attise les craintes de celles et ceux qui sont alors déclaré.e.s « couches moyennes ». Et, quand le « bas » bouge (5), comme ces derniers mois, tout est ébranlé… Et, pourtant, les relégué.e.s au RSA, les chômeurs des ‘quartiers populaires’ et la masse des mal logé.e.s ne sont pas dans ce mouvement pour le moment.
Ce panorama d’insécurité globale, et de segmentation du salariat, nous posent des questions pour une analyse des possibilités d’unification consciente et pratique d’une classe des exploité.e.s, des opprimé.e.s, des humilié.e.s. S’y rajoute l’effet des mesures (lois austérité...) de destruction des anciennes garanties : libéralisation du code du travail, retraite par point, réduction des services publics sous la forme de 120. 000 suppressions d’emplois, diminution des ressources des municipalités, réforme des allocations chômage, volonté de réduire le droit aux études pour toute une partie de la jeunesse, suppressions des ‘emplois aidés’ indispensables aux associations… Qu’une partie, encore dans les échelons des emplois mais plutôt invisibles au bas de l’échelle se mette en mouvement, ces gueux et gueuses en gilets jaunes, et tout le panorama commence à changer ! Cela se traduit dans les remarques sur deux plans d’Etienne Balibar : « la précarisation généralisée de l’activité et des moyens d’existence, qui affecte aujourd’hui des millions de Français ou d’immigrés de toute formation et de toute résidence géographique (…) Mais cette représentativité socio-économique se double aussi d’une représentativité politique (…) et nos Gilets ont en somme proposé une alternative conjoncturelle au dépérissement de la politique, fondée sur l’autoreprésentation (et donc la présence en personne) des citoyens « indignés » sur la place publique, avec le soutien du voisinage et l’assistance technique des moyens de communication en ‘réseau’ ».
Si nous prenons le fil, depuis une dizaine d’années, après la campagne pour le « NON » en 2005, voyons bien comment les exigences formulées restent « antilibérales », sur un « souhait de conservation des rapports sociaux qui, face à la remise en cause du pacte républicain par le marché, met l’individu sous tension » (S. Rozès, NLC, 63). Souvenons-nous des Collectifs unitaires anti-libéraux, qui produisent un texte commun afin d’éviter que « la main invisible du marché devienne la main imprévisible » (id). Cent vingt-cinq propositions, mais pas d’exigence de droits nouveaux en rupture avec la logique du système, une absence de visée qui a laissé toute la place à des calculs électoraux à courte vue. En se confrontant avec les apports de l’altermondialisme et des exigences politiques et sociales des ‘quartiers populaires’, il y aurait déjà eu un autre souffle. Sans visée d’émancipation, comment répondre aux réalités éclatées d’une même classe, qui peut s’unifier au travers de ses différences avec des buts communs ? La dynamique de 2005 avait donné l’impression de porter des réponses à la fois sur le plan culturel, social, politique, national…
Cela s’est effondré en 2007. Ne nous bornons pas à constater comment l’éclatement a produit les 2% pour Marie George Buffet et pour José Bové ! Voyons aussi qui a été élu, quelle politique...
Cette série des désillusions se poursuit. Nous avons trop peu analysé et discuté de ce qui a transformé le Front de gauche en échec.

Quelle réponse politique en 2016 ? Souvenez-vous. Il y a le lancement de la campagne : préparez-vous à voter en 2017 ! Alors même que le mouvement cherche des réponses stratégiques, il y a la polémique sur « seul JLM vaut » et d’autres « pourquoi pas une base de campagne unitaire »…. Vu, toutefois le caractère décisif de la remise en cause du Code du travail et des droits syndicaux pour la majorité de la population, il y avait un ferment suffisant pour faire un rassemblement des forces de gauche opposées à la politique néolibérale. Au même moment, au vu de la crise des députés PS à l’Assemblée nationale, contre le 49-3, une exigence de dissolution de l’Assemblée était pleinement d’actualité. Pourquoi cela ne s’est-il pas fait ? Il faudra bien y revenir pour préciser des choix stratégiques. Mais, dans l’immédiat, il y a un enjeu à bien comprendre l’un des risques de la situation.

Récupération ou approfondissement ?
Aujourd’hui, le choix est entre approfondissement et récupération. Les politiciens professionnels, de droite et de gauche, ne veulent pas que ce qui est en train de se développer, d’être exprimé par des couches populaires, se précise, s’approfondisse. Du coup, ils insistent sur les seules solutions institutionnelles « démission », « dissolution ». Pourquoi ? Certainement pas parce qu’ils seraient plus fermes, plus nets dans leurs apports au mouvement et aux prises de consciences. Mais les politiciens de droite et de gauche ne veulent pas que cela continue ; et certainement pas que cela rejoigne d’autres dimensions de lutte et reformule des exigences. Ils veulent faire leur métier, faire des élections… Votez pour nous ! Et, pendant ce temps, Macron eut se donner le luxe de faire un « Grand débat », grand bluff qu’il faut faire échouer.
Permettre que le débat démocratique, en lien avec le maintien des luttes, dégage de meilleures réponses, cela n’intéresse pas les politiciens. Il leur faut réaffirmer un rapport de « représentation » avant tout ; l’idée même de consolider des Assemblées de gens de la moyenne, une masse de personnes discutant et affermissant une conscience politique, leur paraît une absurdité. Serait-il si difficile de dire « nous ne voulons pas garder ce Président, cette majorité, cette politique ; mais dans l’état des forces politiques, agissons, soutenons les exigences, discutons de ce qui doit changer pour mieux vivre dans une société très riche, des moyens pour qu’elle ne soit plus rendue malade par le système capitaliste et les pouvoirs destructeurs sur le plan écologique et social. Dans les actions et les débats de masse nous créerons les bases pour que ‘Macron démission’ et ‘dissolution’ deviennent des objectifs réalisables, voulus en commun par un peuple rassemblé sur ses objectifs ». En refusant cette option, ces politiciens se comportent comment ? En termes d’intérêts de classe, ils s’intéressent à leurs calculs de boutique et pas à développer des forces pour changer le système.
Ils ont déjà décidé qu’il y a « 42 revendications », et « que Macron cède ou qu’il démissionne… »
Or, précisons-le, il n’y a pas, bien connues et stabilisées "les 42 revendications des Gilets Jaunes". Cette « liste » mise ainsi en exergue ne représente pas une « opinion » ordonnant les objectifs des Gilets Jaunes ; mais un moment dans un mouvement diversifié, composite, socialement et régionalement (pour la seule région parisienne, la Seine-et-Marne n’est pas l’Oise ou le Val de Marne …) (6) . Les discussions évoluent et le feront encore plus avec la proximité du 5 février, avec l’appel à la grève de la CGT, de Solidaires, et de la FSU. Une telle liste stable était de fait, formellement, une invention de médias et de journalistes pressé.e.s. De sociologues aussi, parfois.
Il y a des débuts de discussions, qui ont évolué et rétabli la place des exigences de salaire et de niveau de vie contre le « tout anti-fiscal » non précisé ; il y a de multiples expressions locales. Il n’y a pas encore un relevé national de propositions, qui restent différentes selon les localités, voire selon les divers lieux d’une même localité. Il existe, dans quelques régions, des plateformes d’échanges un peu stables pour des échanges. Pour que des revendications deviennent « celles des Gilets jaunes » il y faut une plateforme d’échanges nationalement. Elle sera sans doute en place en fin de semaine (le 26 ou 27) ; et il faut aussi qu’elle fonctionne avec la participation des personnes concernées.
Après un ou deux temps de discussions, avec parallèlement, puisque cela est possible, des informations sur les autres lieux, ce seront peut-être ces revendications, hiérarchisées plus ou moins, et sans doute d’autres, qui sont pour le moment dans des échanges individuels mais pas exprimées publiquement pour le moment. Des militant.e.s et des forces politiques voulant renouveler la démocratie devraient se réjouir de voir ces débats, ne devraient surtout pas « chercher à conclure ».

Une autre « objection » entendue est le signe d’une extériorité relative des responsables politiques et des intellectuels qui s’interrogent sur ce mouvement. Ils le trouvent trop peu tourné vers la contestation du patronat. Pourquoi ? Les banques les « pouvoirs publics » qui « aident », sont indispensables : le véritable « patron » ayant un pouvoir et une autorité suffisante ne se rencontre plus ; beaucoup ont l’impression de survivre dans leur activité du fait de « dispositifs sociaux ». Beaucoup de salarié.e.s, dans des « emplois faute de mieux » ou dans des « jobs de merde » se confrontent constamment à leur mise en question : sont-ils même capables d’un vrai travail ? Ces processus se déroulent depuis des dizaines d’années et avaient amené des publications il y a déjà une quinzaine d’années.
Ces éclatements doivent nous inciter à reprendre et développer une proposition claire, faisant le lien entre le quotidien et une autre utilisation des richesses. Disons ce que nous voulons, en lien avec les revendications de salaires (LE SMIC à 1800€, le RSA à 1000€, l’égalité femmes-hommes) : Le droit garanti au salaire à vie. Le droit au travail. Le droit à la formation. Tout.e salarié.e doit avoir le droit de changer de métier ou d’entreprise. Au lieu de subir le chômage il faut garantir pour la mobilité voulue et choisie. Pour alimenter cette Sécurité Sociale Professionnelle, les syndicats CGT, Solidaires et FSU ont des solutions qu’ils n’arrivent pas à faire entendre dans un débat public interdit par les libéraux et peu ou pas repris par les organisations politiques : « - augmenter les cotisations qui sont du salaire socialisé, avec l’augmentation des salaires -et d’abord du SMIC- et l’égalité femmes hommes - La solidarité financière doit venir des entreprises, prélevée sur les richesses créées. Que les grandes entreprises avec beaucoup de « valeur ajoutée » paient plus cher les cotisations pour que les petites ne soient pas surchargées ! - L’autre grande source financière est la réorientation des fonds publics soit disant alloués à l’emploi (aides aux entreprises qui ne servent qu’à augmenter les actionnaires, financement coûteux des marchands de la formation et du reclassement mais aussi reversement à la sécu professionnelle des fonds de l’ASS et du RSA… » Ajoutons la décision indispensable de baisser le temps de travail de toutes et tous et de réorganiser les tâches dans les entreprises et administrations, avec des embauches : au plus, 32h payées sans perte de salaire. Ras-le bol d’entendre ces dirigeants du patronat, de la droite et des partis de la gauche de gouvernement répéter leurs mensonges et humilier des millions de personnes. Non, il n’y a pas des millions « d‘inemployables ».
Pourquoi ces propositions, qui n’ont rien de « nouvelles », ne sont-elles pas débattues ? Pourtant elles font la jonction entre toutes les situations : celle des multinationales capitalistes, comme celle des emplois si fragiles qui dépendent de l’Etat et des dispositifs sociaux. Nous voyons bien ce qu’a produit ce mouvement : nous savons qu’il ne peut se résoudre par des mesures ponctuelles qui restent ou renforcent la politique suivie’ mais par un changement de celle-ci. Ouvrons donc le débat sur les priorités et aussi sur les réformes institutionnelles. C’est ainsi que peuvent se créer les conditions pour se débarrasser de Macron et de son monde !

Nous ne sommes pas en 68, même si quelques voix y ont fait allusion. Beaucoup d’entre nous y pensent et se demandent quelles sont les similitudes et les différences éclairantes. Pour le rapport aux débats et aux initiatives de masse, rappelons qu’en 68 la direction du PCF, comme François Mitterrand (FGDS) et Guy Mollet (SFIO) ne voulaient pas, ni les uns ni les autres, arriver à un gouvernement porté par la grève générale. Ils ont intrigué, et ils sont parvenus à rester sur leur option électorale. Pourquoi ? Parce que les politiciens réformistes ne veulent pas devoir dialoguer avec un peuple politisé, mobilisé (7). Qui change la société ? Pourquoi ne pas faire croître et se consolider politiquement les forces et les groupes autour d’exigences fortes : les reculs, les corrections partielles qu’il est possible d’imposer à la majorité et au Président comportent les minimas sociaux, des retours à des services publics, des droits. Inséparable de l’exigence d’abandon des armes mutilantes de la police et de la loi anti-manifestation, la pression sociale, la politisation sont les armes réelles pour avoir des positions communes et des mouvements communs.

Mais, aujourd’hui, les aspirants à la gestion du système continuent, comme s’il y avait la place pour une négociation de type social-démocrate plus ou moins équilibrée. Alors que les potentialités des richesses du pays ou de l’Europe et d’une grande partie du monde pourraient permettre de changer du tout au tout : mais cela suppose de faire jouer les capacités d’action collective de millions de personnes. Et ce mouvement en montre les premiers signes.

Que veut dire le RIC … ?

Le RIC (Référendum d’initiative citoyenne), entre le flou, les récupérations par Chouard (devenu agent de l’extrême droite intello.), les cris d’orfraies de « spécialistes », est en train de se préciser, avec le risque, - surtout si des forces pour l’émancipation ne proposent rien pendant que le débat a lieu…- de le voir tourner à des ‘trucs’ très techniques sans portée de lutte de classe, ni même sans apport démocratique.
Pourquoi cette idée a pris ?
Parce qu’après les désillusions politiques, depuis au moins 2005, et dans une situation de pauvreté et de régression pour beaucoup, un souci est devenu premier : il faut se faire écouter ! C’est un sursaut contre les discours pour endormir : « Nous voulons tout contrôler et interdire de décider pour nous sans que nous puissions, d’abord, savoir et juger ».
Pour le comprendre entendons qu’ils ne parlent pas d’abord du RIC en termes de droits constitutionnels ; pour la plupart, ce n’est pas leur culture. Mais les conférences de Chouard et les « idées » de tel ou tel constitutionnaliste ou politologue dans la presse font leur effet… L’essentiel est de faire entendre ce qu’on veut. Et cela souligne l’intérêt de la démarche de Montpellier où entre 70 et 80 gilets jaunes ont discuté précisément, toute une journée, et ensuite diffusé un document. Une discussion est donc amorcée, sur les changements institutionnels (pouvoirs du Président, règles électorales, statut des élu.e.s…) et aussi sur les moyens démocratiques d’information et de débats pluralistes : toute une discussion, et de solides critères pour ne pas soumettre le plus grand nombre à des manipulations (8).
Pour saisir une occasion de donner des repères au plus grand nombre, comme le souligne le texte adopté par une réunion de G.J. à Montpellier, il faut des heures d’émissions pluralistes, ouvertes, dans les programmes des médias (9).

Dans les éléments de réponse, au cours des discussions, on peut entendre « répartition des richesses ». Certes ; mais si nous en restons à « les répartir », cela ne suffit pas à répondre aux exigences. Peut-être que l’essentiel est-il de faire apparaître que cette société est bien plus riche que ce qu’on en dit. Par exemple, les riches et leurs défenseurs sont presque en train de pleurer… : on risque de leur remettre 3 milliards d’ISF à payer, alors qu’ils empochent 57 milliards d’une sorte d’aides sociales particulières, détournés de l’ensemble des biens de la société. Mais il n’y a pas ou peu d’intervention politique pour dire ce que sont « les dividendes », même s’il y a des tracts syndicaux bien fait sur le sujet.
La propagande politique, sur cette question, doit viser à ce qu’ensuite personne ne puisse plus dire facilement que « cette société n’a pas les moyens de » ; ou, pour cette bêtise de « journalistes » soumis, « reste à savoir ce que le gouvernement peut encore sortir des caisses ! ».
Il faut faire entendre une réalité : nous sommes loin de savoir tout ce que nous devrions savoir ! Pour illustrer à peine, cette question : où sont passées les « aides publiques » (payées par les impôts et la TVA) qui ont été données aux sociétés d’autoroute, à Arcelor-Mittal, à Alsthom et Bouygues, à Orange, Total, Véolia, Vivendi ou Ford… Ces entreprises ne sont-elles pas purement et simplement des biens publics ?
Nous avons le même problème pour la façon de réagir sur le racisme et l’immigration. Comment s’opposer à ce que cela soit présent, critiquable évidemment, dans des rassemblements ? Cela appelle aussi à discuter avec des textes argumentés, qu’il vaudrait mieux soumettre au débat tel quel (10). Pour résumer : tous les droits politiques et civiques devraient être reconnus aux résidents, hommes et femmes qui vivent ici et donc doivent avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs, tous citoyen-nes. Bien sûr, pour limiter l’exploitation et les jeux patronaux de mises en concurrence honteuse, c’est pareil pour la régularisation des sans-papiers. L’antiracisme est globalement très fort dans ce pays et c’est en s’appuyant sur ce fait qu’il faut réduire les préjugés manipulés par la droite extrême (11)… Mais, où est la campagne antiraciste qui devrait être développée pour isoler le FN et tous ses alliés ?
Donc, pour bien dégager ce devant quoi nous nous trouvons : notre but est de redéfinir ce que veut dire « citoyen ».
Nous voulons, tous et toutes être considéré.e.s comme des citoyen-ne-s, avec les mêmes droits. La définition du citoyen de la Révolution (en 1789 et en 1793) c’est d’avoir tous les mêmes droits, tous les droits sociaux communs font partie du citoyens ; les « communs » pour prendre un thème de débats récents ne sont pas séparés des droits abstraits. Résumer à grands traits cette « histoire nationale » peut au moins souligner que les thermidoriens, ceux qui ont voulu arrêter la Révolution, ont fait retirer la Déclaration des droits de l’Homme parce qu’ils jugeaient ce texte gênant, quasi-anarchiste. Il n’a réapparu qu’en 1946.
Dans le Préambule de la Constitution, il y a le droit au salaire, au travail, l’égalité femmes-hommes, le droit d’être informé et de donner son avis pour la gestion et les choix de l’entreprise (12). Puisque les idéologues du MEDEF et de Sarkozy voulaient éradiquer les principes de 1946, discutons des repères de notre histoire contre Macron et son monde de « modernistes »… Nous pourrions même prendre l’explication : reprenons le cours de la grande révolution française et mettons en œuvre les principes justes tout en complétant cela si besoin en fonction des expériences entre temps. Mais cela serait un détour trop ‘théorique’, hors des questions actuelles…
Toutefois, lors de la mobilisation contre la loi El Khomri c’était le bon moment pour faire apparaître une désertification syndicale. Il y a deux grands secteurs dans les salariés, là où des droits syndicaux restent présents (une minorité d’entreprises, les plus grandes), et les PME où, majoritairement, si l’inspecteur du travail ne passe pas il n’y a pas de droit social ou un droit limité. Cela représente en fait beaucoup moins de 40% des salariés du privé, car ces droits ne s’appliquent même pas à tous les salarié-e-s des grandes entreprises puisqu’il y a un volant de précaires, - 10 000 chez Renault- qui ne sont pas vraiment couverts par les mêmes droits (ex convention collective de l’intérim au lieu des accords Renault qui sont plus favorables). Autre effet énorme, avec cette Loi Travail, les enjeux de progression des droits au contrôle sur la santé et la sécurité dans le travail (CHSCT), remis en cause par cette Loi : ils appelaient une bataille culturelle et politique, qui a pour enjeu non un privilège syndical mais un choix de société. Cela n’a pas été traité au moment de la loi El Khomri : il n’a même pas été exigé par les forces politiques de gauche qu’il y ait - au nom même de l’égalité sociale élémentaire- l’obligation de présence syndicale dans toutes les entreprises comme préalable à toute discussion sur le droit du travail. Or, ceux/celles qui sont sur les barrages sont souvent des gens qui relèvent de ces PME diverses, nombreuses dans les zones que l’on dit péri-urbaines.
Nous devrions amplifier, une exigence politique et sociale de réexamen critique, qui est présente dans les discussions : exigeons un droit d’inventaire démocratique sur toutes les décisions prises depuis une vingtaine d’années sur les droits des salarié.e.s, leurs conséquences, faisons cesser des hypocrisies ; toutes les « aides » à des entreprises , sont intégrées dans le domaine public avec des droits pour les salarié.e.s et un contrôle démocratique : mettons en pratique, dans des lois et des droits réels, les principes qui contredisent l’exploitation ; ne laissons plus faire ce qui nuit à l’écologie et aux droits sociaux.
Si cette mobilisation se poursuit et développe une logique politique, il faut discuter et proposer une forme positive : c’est un mouvement pour retrouver l’égalité de toutes et tous et des droits qui garantissent une vie démocratique (13) .

La fin d’un cycle et de deux thèses ?
Le cycle de la gauche de gouvernement, depuis 1981, a eu une logique politique dont nous voyons peut-être la fin, et l’ouverture plus forte d’une autre possibilité. Les gestions gouvernementales successives avaient « pris leur parti » d’un prétendu « constat », exprimé par Pierre Mauroy dès 1983 : contre le chômage, « on a beau tout faire », une partie de la population était inapte à la modernisation et à la culture de la fin du 20e siècle. Dans la vision élitiste implicite, celle de la Fondation Saint-Simon ou ensuite de Terra Nova, il faut « moderniser » et donc ne pas développer un Etat trop protecteur, ne pas créer une situation lourde à supporter pour les entreprises performantes. Mais il faut ne pas rompre avec « nos valeurs » politiques et sociales… Il faut des « dispositifs d’accompagnement » : une politique d’insertion des jeunes, une politique de protection des vieux salariés, des logements sociaux par une « aide à la personne » car on évite ainsi de devoir rendre des comptes sur une réelle politique du logement. La plupart des trouvailles du septennat de Giscard sont conservées et embellies. Jusqu’à la loi des 35h, qui était un drapeau de la campagne de Mitterrand jouant à être « le candidat anti-chômage » : avec la Deuxième gauche, grâce à la complicité active de la direction confédérale de la CFDT et ses amis du patronat, une première mesure à 39h, en vue d’aller lentement vers les 35… Alors qu’il s’agit d’une revendication considérée comme d’actualité depuis les années soixante par beaucoup de syndicalistes et même la direction du Commissariat au Plan (14). Cet « accompagnement » ne vise pas à corriger réellement les situations : il fait partie des mesures de pacification démocratique bourgeoise.
Il faudrait, de même, marquer la continuité de la Françafrique, etc. Nous n’introduisons pas ici un trop long bilan de cette gauche de gouvernement. Comprenons bien, cependant, comment la révolte des gueux en gilets jaunes est un sursaut remettant en cause leur situation et dénonçant ceux qui ont cru légitime de les cantonner ainsi dans une vie de pauvreté sans horizon d’espoir. La question réellement posée ne passe pas par quelques mesures, mais par la réaffirmation d’une plénitude des droits pour toutes et tous. Des revendications assez fortes matériellement, pour ne pas être sans lendemains, supposent une prise de conscience d’un fait : notre société est assez riche pour qu’il soit décisif de reconnaître le droit au salaire, au travail et à la formation, pour toutes et tous. Rien, si ce n’est la lutte de classe menée au profit de la bourgeoisie par les grands actionnaires et les patrons du CAC 40 n’interdit la mise à l’ordre du jour de la déclaration de l’OIT à Philadelphie (1944) (15) , qui consacre les droits sociaux comme garantie de la démocratie et de la paix… Dans les troubles du monde aujourd’hui, rappelons des principes : il faut une bonne boussole ! Simplement, une complémentarité indispensable existe et peut se construire avec les pleins droits pour l’égalité femmes-hommes, pour un changement dans la façon d’établir des droits et des rattrapages sociaux et culturels indispensables avec les familles et les groupes issus d’immigrations, pour le droit au salaire, au travail, à la formation. .
Les principes d’une citoyenneté égale, respectueuse des différences peut devenir un élément d’une culture commune, - au sens où Gramsci soulignait la place de la lutte culturelle-. Et les changements produits par les actions collectives et les discussions au cours des actions peuvent en faire s’affirmer l’idée et en créer l’occasion pour au moins quelques aspects.

Redresser la tête, voir les buts communs possibles
Pour ceux et celles qui avaient douté de ce qui avait commencé il y a deux ans, les voilà les nouvelles « Nuit debout ». Et leur composition sociale dément les affirmations sur la « passivité » et le « chacun pour soi dépolitisé ».
Nous pouvons reprendre une analyse de l’introduction du livre numérique réalisé par les éditions Syllepse (16). « Hier, isolé·e, chacune et chacun vivait sa précarité comme une souffrance individuelle et avait pu céder au fatalisme. L’irruption du mouvement des Gilets jaunes a d’ores et déjà changé cette pesanteur écrasante. Au-delà des tensions internes normales, la mise en commun et la reconnaissance des mêmes douleurs sociales ont créé un fort sentiment d’appartenance commune à une sorte de « tiers-état » du 21e siècle qui se cristallise dans la détestation d’un président de la République qui, à lui seul, prend le visage des deux cents familles maîtresses de l’économie et de la politique françaises à l’époque du Front populaire. Une conscience sociale, certain·es diraient une conscience de classe, fermente dans cette fraternité qui s’est installée ».
Parti de la question de la taxation inique des carburants c’est le fonctionnement global de la société qui est interrogé, ainsi que le concentre parfaitement le slogan « Fin du monde, fin de mois, même combat ». « Les maîtres des informations s’étonnent que le retrait de cette taxation qui a mis le feu aux poudres n’arrête pas le mouvement. L’action en commun donne en effet confiance et forge l’expérience d’une communauté : la domination qui pèse chaque jour sur les dominé·es et les exploité·es est en partie effacée par le nombre et les échanges entre égaux. L’humiliation si souvent ressentie comme un obstacle à la discussion et à la parole s’estompe avec l’action commune : le goût et l’habitude viennent pour définir les buts du moment et ceux des jours à venir. Il en est de même dans tous les grands mouvements populaires, 1936, 1968, 1995… »
Il y a là une possibilité de mettre fin à l’option des politiques de droite élitiste et anti-démocratique, qui fut celle de la Trilatérale (1972-73) ; elle avait fait progressivement triompher l’idée que pour que les démocraties soient plus gouvernables il fallait réduire les droits sociaux (17), la culture pour tous, et finalement les droits politiques .... Sur cette idéologie commune au grand patronat, aux économistes et au courant auquel s’était rallié une partie de la « gauche moderne », dit de la « nouvelle démocratie » (avec Clinton, Rocard, DSK, Hollande… et des dirigeants des principaux pays capitalistes). Des droits pour tous, l’égalité réelle, cette « vieille lune » appelle à la question de la Révolution et donc des institutions et des réalités de la démocratie. Il faut bien se soucier de tracer des réponses.
Il faut entendre avec leurs dimensions de principes politiques des exigences qui sont la redéfinition de la citoyenneté : le lien entre les revendications sociales et la volonté de changer les institutions peut recréer une dynamique politique durable. Des centaines de milliers de personnes, qui se vivent comme les « gens de la moyenne », peuvent remodeler les enjeux politiques à condition de faire encore reculer le Président. Mais cela suppose de tout autres choix que les 10 milliards trouvés en deux jours en décembre : une augmentation des salaires et des minimas sociaux, des cotisations payées par les entreprises pour une Sécurité sociale consolidée et couvrant tous les risques, y compris le droit au travail. Cela donnerait une occasion au syndicalisme de lutte de retrouver du souffle. Cela implique de ne pas s’auto-limiter : ce qui sera gagné cette fois trace la voie pour ne plus séparer le « social et le « politique » pour les années à venir alors qu’elles menaçaient de se borner à des calculs politiciens, des européennes (mai 2019), aux municipales (mars 2020), aux régionales (2021), le tout avec la présidentielle en 2022.
Pour discuter des possibilités, cernons avec précision une contradiction qui amène à une critique sur le fond des « philosophes » du populisme… Comment trouver une voie de réformes révolutionnaires ?
Un fait brutal est là, aujourd’hui un peu ébranlé, mais qu’il faut avoir en tête : il marque encore évidemment une partie des « gens de la moyenne », ces grands nombres de personnes trop habituées à être méprisées. Méprisées par les gouvernements successifs, et aussi par les forces politiques de gauche qui ne s’adressent à elles que pour leur demander leur vote. Quand ont-ils l’impression que l’on va discuter à partir de leur expérience ? Je pense à la remarque de Gramsci sur les philosophies implicites présentes dans les pensées quotidiennes des travailleurs, et c’est sur cela que l’on joue quand on parle de bataille culturelle : créer un nouveau « sens commun » qui relie l’implicite quotidien et le projet de société. On ne leur parle pas, on ne discute pas des priorités avec elles et eux ; une force politique d’émancipation digne de ce nom se soucierait de faire apparaître réellement pour toutes et tous une « opération vérité » sur les richesses, vérité sur les possibilités de réorganiser le travail, de dégager du temps libre et des productions utiles sur le plan écologique. Mais le message institutionnel le plus courant, sans phrases et de fait, c’est qu’ils ne valent pas la peine qu’on leur parle ni qu’on facilite leurs prises de parole. Il ne faut pas s’étonner alors si des groupes de dirigeants politiques ont, eux, depuis des semaines l’impression d’être dans une extériorité.
Ce qui se produit est le contraire de la démarche de tout ranger derrière un leader ou d’un groupe dirigeant qui voudrait « fédérer le peuple » avec des mots d’ordres simples, porteurs « d’affects », prétendant fixer une identité et une prédiction de vote. Baptisé « populiste » récemment pour se donner un lustre théorique, ce courant ne s’inscrit que dans les rapports de force pour s’imposer en tant que groupe politique de « représentants », dirigeants dans des places électives ; rapports de domination et en fait mépris pour le peuple réel, celui des « gens de la moyenne », sans lesquels on ne peut rien faire pour la justice et la démocratie : faire suivre, obtenir une adhésion qui repousse les autres composantes, le contraire d’assemblées pour faire évoluer les discussions et les choix.
Cette extériorité nous la portons et la subissons, toutes et tous plus ou moins, parce que nous dépendons, même si nous le combattons, de courants politiques qui ne veulent pas transformer la société mais occuper des places, qu’ils soient de droite ou de gauche ou de ‘gauche de gauche’. L’autre chemin est de tracer des lignes de rassemblement des diverses réalités de la classe dominée par le capitalisme, dans sa richesse sociale et sa diversité. Pour faire progresser cette possibilité, il faut bien qu’elle soit inscrite dans les mobilisations antérieures et dans les actions et discussions présentes. Les lieux de mobilisation sont un apprentissage impossible sans le voir et le vivre en train de se produire : quand l’action collective amène de nombreuses personnes à se transformer par la force et la confiance en soi, et aux autres, qu’elle insuffle aux participants ; ce qui se réalise parfois dans une grève locale atteint la société dans des situations comme 1968, 1995… et 2018.
Ainsi, même au milieu des hésitations, des contradictions politiques et de la sous information parfois, cette mobilisation est décisive et appelle « des propositions pour renforcer le mouvement », comme l’écrit Alain Bihr (18). Son classement parle d’assez près du mouvement : du respect, du pouvoir, de la richesse sociale. Ses formulations et celles de ce texte ne sont pas identiques, mais visent le même but.
Des ‘cahiers de doléances’ sont élaborés. À sa manière, et évidemment avec des ambiguïtés, ce mouvement qui se dit « apolitique » redonne à la politique un contenu et une exigence que l’on avait quelque peu oubliés.
Partage des richesses, augmentation d’au moins 300 euros du Smic, revalorisation des minimas sociaux à 1000 euros minimum, droit au travail, transformation des institutions, démocratie directe, contrôle des élus, gestion des moyens et finances publiques, services publics, logements sont soumis à la discussion.
En se liant, comme il est possible, avec les revendications sur les services publics, localement, en plus des questions brûlantes sur la mobilité et les transports, pour ne citer que deux exemples… des initiatives peuvent lier la révolte contre la pauvreté et celle pour utiliser autrement les richesses.
Pour un service public du médicament : pour exiger qu’existe une structure nouvelle démocratique, pluraliste et non inféodée aux lobbies, des débats publics avec des syndicats, médecins, chercheurs avec des animateurs permettrait de remettre en cause la gestion de la santé. Qu’en est-il des risques de l’aluminium dans les vaccins ? Pourquoi le prix de médicaments contre le cancer ou l’hépatite sont-ils si chers ? Pourquoi y a-t-il encore de l’amiante dans des constructions ? Comment comprendre et traiter les maladies qui relèvent de la psychiatrie ? Organisés par des assemblées locales, ce mouvement aurait assez d’interlocuteurs pour contribuer à soulever encore plus les mouvements pour la défense de l’hospitalisation publique.
De même des débats et des mobilisations avec le collectif pour le logement social (19), animé par le DAL : les lois donnant le droit de réquisition ne sont pas appliquées, les possibilités de construire assez de logements et réhabiliter ceux qui existent pour les rendre confortables sont connues… les gouvernements laissent faire les rapports spéculatifs : des logements vides pour augmenter les loyers, avantager les assurances et leurs placements sur le livret A, réduit à rien par un taux d’intérêts trop bas … Discutons partout, exigeons les réquisitions, et aussi l’augmentation du livret A pour protéger les petits épargnants tout en ayant les finances pour le logement, y compris avec les normes écologiques.
Cette dynamique va même jusqu’à exiger la fin des négociations secrètes puisque désormais les exigences démocratiques peuvent s’appuyer sur les merveilles de la technologie. Un programme s’élabore ainsi en pointillés, jour après jour : chacun et chacune peut et doit y retrouver ses aspirations et la solution aux problèmes de la vie quotidienne et de l’organisation de la Cité. Imagine-t-on que les défenses des services publics, les possibilités de réalisations auto-organisées (circuits courts, coopératives de diverses activités, régies locales des porteurs de repas individuels, d’aides à domicile, vigilances écologistes …) seront ainsi présentes et changeront aussi sans doute l’ambiance et les enjeux de prochaines municipales ?
Quand les sociaux-libéraux se soucient des « mesures d’accompagnement », les populistes veulent un peuple fédéré par le soutien à ses chefs. Deux formes de justification de la délégation de pouvoir sans démocratie active au quotidien. Les schémas des philosophes du « populisme » sont sans doute la symétrie du courant « moderniste » qui veut gérer les « inemployables » afin qu’ils restent ainsi stigmatisés et « à leur place ». On peut y voir un mépris assez voisin et une volonté de pouvoir différente mais équivalente.

L’action collective peut beaucoup

Pourtant l’heure est à reprendre une question : ce que peut être une révolution démocratique .Il y faut des buts, que cette contribution a esquissés, et aussi des moyens pour résister et lutter au jour le jour. D’où la question syndicale et celle de lieux et d’accord pour discuter des objectifs politiques. Le mouvement des Gilets jaunes refuse souvent l’aide des syndicats – et a fortiori des partis – qu’il considère, à tort ou à raison, comme susceptibles de se substituer à leur auto-organisation. Il refuse la structure pyramidale commune aux organisations existantes et la délégation de pouvoir : il est vrai qu’à condition de multiplier les membres actifs de syndicats les rapports entre « base » et coordinations-directions syndicales se poserait autrement ; il est vrai aussi que, contre tout le maquis de statuts et de précarisation de la bourgeoisie, il y a un grand besoin de la mutualisation des moyens pour des Unions locales (peut-être communes à tous les syndicats de lutte et non en concurrence). Pour autant, depuis quelques semaines, certaines organisations syndicales et associatives ne sont pas restées indifférentes (20). Nombre de leurs membres sont présents sur les ronds-points, les structures territoriales et de site semblant les plus promptes à dialoguer avec ce mouvement inédit. Cette irruption ne peut effacer en un instant les profondes et multiples divisions qui ont frappé le salariat de ce pays (21). Il faut donc éviter de se perdre dans des discussions piégées. Par exemple, il y a une saine méfiance devant les génies de la « communication » de Macron, y compris quand il orchestre le « Grand débat ». Mais la position politicienne, qui consiste à dénoncer celles et ceux qui veulent participer à ces discussions, en se contentant de dire « leurs 42 revendications sont connues » et le reste est de « l’enfumage », ne vise en rien le développement des capacités collectives de la population. Il y a des professionnels de la récupération rapide dans un but électoraliste de multiples façons…
Pour ne pas se trouver dans des réponses « politiques » qui mettent dans des impasses, comme par exemple lors des mobilisations du printemps 2016, tournées seulement vers « l’élection de 2017 », il faut combiner trois éléments. Pour simplifier, à débattre, ce début de raisonnement. Il concerne évidemment les gilets jaunes comme le syndicalisme de lutte ; mais aussi toutes les forces politiques qui se réclament de la gauche et ont signé contre l’état d’urgence (Alternative Libertaire, Ecolo, EELV, Ensemble !, Gauche Démocratique et Sociale, Coopérative Ecologie Sociale, Décroissance IDF, NPA, Parti de Gauche, PCF, PCOF, POID).
Une sorte de préalable que toutes les composantes du mouvement des gilets jaunes devraient défendre. Sa définition passe par des réunions comme celle de Commercy, dans des régions et nationalement : il vise à définir les exigences dans les Assemblées du mouvement. Il y a alors celles qui sont des exigences qui conditionnent la possibilité de toute autre discussion : abandon des poursuites contre les manifestants (loi d’amnistie ?), interdiction des armes mutilantes de la police, abandon de toute augmentation de la CSG et retour de l’ISF. Il y a aussi la confirmation de toutes les concessions annoncées et celles à préciser en faveur des transports locaux. Mais il devrait y avoir aussi, certainement, le SMIC net à 1500€ (ou, si on veut le présenter comme la CGT à 1800€), le plancher des retraites à plus de 1000€ et le RSA au même niveau, une mise à égalité des salaires entre femmes et hommes. Cette première liste est indispensable pour ne pas s’affaiblir alors que d’autres sont en cours de débat.
Second élément : Comment traiter les revendications plus essentielles mais moins discutées largement ? Sans aucun doute, il faudrait transformer ce point faible en nouveau pas en avant possible : il faut exiger que des débats soient prévus, publiquement, avec des moyens dans les médias, sur toutes les autres revendications. Ainsi, des discussions publiques sur :
• Le RIC pour bien définir toutes les garanties de démocratie et les autres réformes de la constitution pour qu’il soit un véritable droit.
• Le salaire garanti à vie, avec le droit au travail et à la formation.
• Le réexamen, contre les lois de 2016 et 2017, des droits du travail par des Assemblées locales pour les rétablir et les étendre à tous les salariés, permanents, uberrisés ou intermittents.
• Le retour dans le domaine public des sociétés d’autoroute et la reprise de la discussion sur l’avenir de la SNCF.
• Des mesures de financement de logements nombreux et de normes écologiques.
• Une discussion à partir des localités et des quartiers sur les besoins de services publics.
Nous ne devons pas nous cacher que la mise à l’ordre du jour d’une société gérée pour la solidarité, qui de fait suppose une discussion sur le système capitaliste est à l’ordre du jour mais crée une certaine confusion.
Troisième aspect, dans la durée, une révolution démocratique… A tort, sans doute, une grande partie des forces d’une gauche alternative possible hésite à stimuler des débats d’orientation et d’options sur les exigences fondamentales que pourraient se fixer le mouvement en cours. Nous devons changer d’attitude : sans doute faut-il bien comprendre que, comme le débat sera présent durant plusieurs semaines, celui sur l’objectif de transformation radicale de la société ne progressera que dans la durée.
Parmi les 60% ou plus qui pensent, dans ce pays, que le capitalisme est nocif, - depuis plusieurs années -, une grande partie affirme aussi ne pas savoir par quoi le remplacer et ne prennent pas « le siècle soviétique » comme un modèle à reproduire. Ce n’est pas très étonnant ! Les « modéré.e.s » du mouvement des gilets jaunes, ne sont en rien condamnables : ils reflètent le rejet du système et l’espoir que cela se règle par les moyens démocratiques sans trop de heurts politiques. Soyons réalistes : à nous de cristalliser les débats si nous avons une visée à proposer… Pour remplacer un système où 26 milliardaires (qui ont le pouvoir économique suffisamment entre les mains pour contrôler aussi leurs familiers qui sont dans les gouvernements…) il ne faut pas chercher un simple groupe aspirant à les remplacer. Il faut, indissociables, une prise de contrôle des richesses de la société, pour les utiliser autrement, et des formes de pouvoir démocratiques qui permettent l’information pluraliste, la délibération démocratique, un pouvoir de décision et des institutions pour la démocratie au quotidien. Cela ressemble à une autogestion généralisée…
Pourquoi s’inquiéter de voir trois ou quatre projets de construction de « partis » ou de liste pour les européennes, dans l’état où en est rendue la gauche sous ses diverses formes ? Mieux vaut cela que l’enfoncement dans l’abstention entrecoupés de glissement au souverainisme et aux illusions du « c’était mieux avant ». Mais cet éclatement lui-même, pour que ce mouvement en cours puisse aller aussi loin que possible, il faudra réapprendre les débats pluralistes en même temps que l’unité dans les actions.

Voyons en dynamique

Juste pour terminer, donc, une blague (sérieuse en partie, comme souvent…).On n’ose plus dire « le mouvement se prouve en marchant », parce que le marketing de Macron est passé par là pour piquer l’idée. Mais l’idée est plus juste que son utilisateur actuel, en grande partie en échec : un Président affaibli et des mobilisations en développement seraient un bon panorama pour reconstruire une force de lutte de classe.
Un des objectifs pourrait être (devrait être ?) : le maximum d’Assemblées locales, imposant quelques exigences fortes au pouvoir, le contraignant aussi à abandonner des projets ; une présentation classée n’est pas le plus difficile à établir, mais ne peut l’être que par les assemblées autour du mouvement en cours ! De telles Assemblées, en se maintenant, pourraient servir de creuset aux prochaines mobilisations politiques, être des lieux et des moments où les diverses réalités sociales et culturelles de la classe dominée se retrouvent et disent, comme le réseau des associations de banlieue, « pas sans nous ».
Comme disait l’autre, « on s’engage et puis on voit ».

Etienne Adam, Pierre Cours-Salies (27 janv. 2018)


Notes bibliographiques.

• Un collectif de chercheurs présente « Gilets jaunes » : une enquête pionnière sur la « révolte des revenus modestes », dans une tribune au Monde (13 déc.2018), les premiers résultats d’une étude détaillée qui s’appuie sur 166 questionnaires distribués sur des ronds-points et lors de manifestations. Une équipe de 70 universitaires mobilisée : Collectif d’universitaires, nous avons lancé, dès la fin du mois de novembre, une enquête de terrain pour comprendre le mouvement des « gilets jaunes ». Nous sommes allés les rencontrer dans différentes régions de France, dans les manifestations et sur les ronds-points. Nous livrons ici les premiers résultats sur les profils et les motivations qui apparaissent derrière les « gilets jaunes ».
• Le bas de l’échelle. La construction sociale des situations subalternes, éd. éres, Toulouse, février 2006, 300 p. Pierre Cours-Salies et Stéphane Le Lay (dir.). Ce n’est pas pur hasard … Au moins huit de ces recherches ont eu lieu auprès de groupes de personnes vivant en banlieue ou fortement marquées pas ses réalités. Nous devons signaler ici un effet de territoire, du moins une interrogation livrée aux sociologues et anthropologues de la ville. Approche résolument empirique, l’ouvrage se compose de l’analyse de trajectoires individuelles : Hamed, né il y a quarante ans dans une ville de la première ceinture de Paris ; les personnes socialement assignées par Christian Léomant et Nicole Sotteau-Léomant ; les plus de 50 ans étudiés en Seine-Saint-Denis par Isabelle Tarty ; les emplois jeunes, filles et garçons si bien observés par Emmanuelle Lada ; ceux qui deviennent des « délinquants de profession » auxquels Karima Guenfoud a consacré des années et la plus grande partie des femmes marquées par diverses immigrations, plus ou moins récentes, dont Sabah Chaib montre la double stigmatisation ; mais aussi dans des métiers particulièrement dévalorisés où s’accumulent des jeunes victimes des ségrégations, avec l’étude de Jean-Claude Benvenuti parmi les jeunes salariés de Mc Donald’s et celle de Mustafa Poyraz avec les animateurs de quartiers.
Dans la proximité sociale de toutes ces situations précarisées, les situations professionnelles étudiées par Lise Causse (les aides-soignantes en maisons de retraites), par Yannick Le Quentrec (les employées de bureau), par Christine César (les ouvriers de l’Education nationale) s’expliquent mieux : somme toute, quelles que soient leurs espérances personnelles antérieures, celles et ceux qui y trouvent des emplois relativement stables « ont plus de chance que d’autres », pour reprendre cette expression courante. Et cela donne un éclairage pour les situations de jeunes informaticien (ne)s, qui acceptent sans doute trop des conditions salariales pénibles dans l’espoir de ne pas perdre la reconnaissance de leur « professionnalité ».

D’autres lectures ont alimenté cette réflexion, que nous tenons à souligner, notamment :
  Gérard Noiriel : « Les “gilets jaunes” replacent la question sociale au centre du jeu politique »
Un entretien au « Monde », 27 novembre 2018, propos recueillis par Nicolas Truon.
  Jacques Bidet, « Quel débouché politique ? », L’Huma, 10 décembre 2018.
  Syllepse, Gilets Jaunes, Des clés pour comprendre, éd. à télécharger, 10 déc. www.syllepse.net
  Michèle Riot-Sarcey, Les Gilets ou l’enjeu démocratique, 12 déc. 2018, AOC media
  Samuel Churin, Comédien et membre de la Coordination des intermittents et précaires répond à la lettre aux Français d’Emmanuel Macron. Tribune Politis, 16 janvier 2019
  Stathis Kouvélakis Gilets Jaunes, l’urgence de l’acte, Contretemps, 21janv 2019
  Alain Bihr, France. Les « gilets jaunes » : ce n’est qu’un début…, A l’encontre, 25 janvier 2019. http://www.labreche.ch/
  Jean-Marie Harribey, Éléments sur le mouvement social des Gilets jaunes, tableau préparé à la suite d’une discussion au sein du Conseil scientifique d’Attac France, Revue Les possibles, févr. 2019
  Les dossiers de Mediapart…


(1) « Gilets jaunes » : une enquête pionnière sur la « révolte des revenus modestes ». Un collectif de chercheurs présente, dans une tribune au Monde (13 déc. 2018), les premiers résultats d’une étude détaillée qui s’appuie sur 166 questionnaires distribués sur des ronds-points et lors de manifestations. « Le mouvement des “gilets jaunes” est avant tout une demande de revalorisation du travail » Le sociologue Yann Le Lann a coordonné une enquête sur profil des manifestants : « Ce sont les classes populaires, employés et ouvriers, qui sont sur les barrages ». Entretien par Sylvia Zappi, le 24 décembre 2018 à - Florence Aubenas, « La révolte des ronds-points, Journal de bord », Le Monde, 16 et 17 décembre 2018, https://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2018/12/15/sur-les-ronds-points-les-gilets-jaunes-a-la-croisee-des-chemins_5397928_3224.html. Gérard Noiriel considère que ce mouvement populaire tient plus des sans-culottes et des communards que du poujadisme ou des jacqueries : « Les “gilets jaunes” replacent la question sociale au centre du jeu politique » Le Monde, 27 nov. 2018 ». - Étienne Balibar, « Gilets jaunes : le sens du face à face », 13 décembre 2018, https://blogs.mediapart.fr/ebalibar/blog/131218/gilets-jaunes-le-sens-du-face-face.
(2) P. Cours-Salies, Jean Lojkine, Michel Vakaloulis, (dir.) Nouvelles luttes de classe, PUF, avec divers auteurs, dont Gérard Mauger, Stéphane Bonnery, Jean-Pierre Terrail, Helena Hirata, Stephen Bouquin, Stéphane Rozès, Marianne Debouzy…. P. Cours-Salies (dir.), Le bas de l’échelle. La construction sociale des situations subalternes, érès, avec une quinzaine de chercheurEs. Voir en fin de texte une note bibliographique.
(3) 10 millions de personnes de la population active sont au chômage à plein temps ou à temps partiel : 4.250.000 hors emploi (toutes catégories comptées) et 6.200.000 précaires. Dans la diversité des précaires on se perd dans les statuts : ils sont 13% des emplois du privé et 20% dans le public. 80 % des embauches sont des contrats de moins d’un mois. Sur dix ans, 29 % d’allocataires n’ont jamais eu de contrats de plus de 10 mois. Il est décisif pour une perspective de classe de faire apparaître cette réalité des « surnuméraires » ou des sous-statutaires (temps partiel imposé, faux indépendants, contrats atypiques divers...)
(4) Quand le « taux de chômage » au sens du BIT est de 9% en France, il est sans doute de 8,2 pour les Français et de 19% pour les « étrangers ». Cette relégation atteint d’autant plus les jeunes de 16 à 24 ans.
(5) Alain Supiot, « Les nouveaux visages de la subordination », Droit social n°2, févr. 2000. Stéphane Beaud, Joseph Confavreux, Jade Lindgaard (dir.), La France invisible, La découverte, 2006
(6) Tenu pendant que l’écriture de ce texte, l’Assemblée des assemblées, tenue à Commercy (26 et 27 janvier) en donne un très fort reportage.
https://www.facebook.com/assembleedesassemblees/videos/339094336698591/UzpfSTI3MjE1Mjc4NjgxOTIwOToyOTc1Mzc5MzQyODA2OTQ/
(7) Dans les arguments de Waldeck Rochet, secrétaire national du PCF il y avait le choix de ne pas arriver à la victoire à la tête d’une telle mobilisation, sauf avec une alliance électorale avec « les socialistes »… Mais 68 est un « arbre de la liberté », comme 1792-93, et un objet de réflexion, avec pour ma part un livre en préparation.
(8) Siéyès, en 1791-92, s’opposait à une Constitution qui permettait un contrôle des assemblées primaires locales (mixtes) sur les votes de projet de lois : selon lui, il n’y avait pas les moyens pour communiquer les informations de façon suffisante. Il n’aurait pas cet argument actuellement ! Mais ses options étaient d’une démocratie qui distingue « citoyens actifs » et « citoyens passifs ». Ce n’est pas pour rien qu’il a tout fait pour amener Napoléon Bonaparte au pouvoir.
(9) Tout cet aspect demande d’encourager à des discussions publiques avec la participation et des apports d’Acrimed, de Mediapart, du SNJ-CGT, de Basta !, de l’Observatoire des inégalités, de Regards, de Politis …
(10) Une contribution préparée pour la revue d’ATTAC , Les Possibles, « Une fabrique pour deux questions nationales… ». Voir, avec une large participation, publié le 23.03.2015 par Mediapart.fr, Manifeste – Unissons-nous contre l’islamophobie et les dérives sécuritaires. États Généraux des Migrations : déclaration historique pour une politique migratoire alternative, https://eg-migrations.org/Manifeste-des-Assemblees-Locales-reunies-pour-la-1ere-session-pleniere.
(11) Voir, par exemple, François Héran, titulaire de la chaire Migrations et sociétés au Collège de France, explique à CNRS Le Journal , le 10 déc. « Les migrations à rebours des idées reçues ».
(12) Il comporte aussi, engagement non tenu, le droit à prendre son indépendance pour tout peuple qui a été lié à l’histoire et veut retrouver son indépendance, dans le cadre d’une Union française s’il le souhaite… Cela n’a
pas empêché les gouvernements de la 4e République de faire des guerres coloniales pour refuser ces demandes…
(13) L’actualité des discussions pour éclairer le projet d’autogestion est nette. Mais aussi, dans le débat sur « les communs », un lien clair avec la réaffirmation du Citoyen. Yannick Bosc, « Communs et républicanisme : l’expérience de la Révolution française », in Vers une république des biens communs ?, éd. Les liens qui libèrent, 2018. Florence Gauthier Triomphe et mort de la révolution des droits de l’Homme et du citoyen (1789-1795-1802), éd Syllepse, 2014. Entretien, Florence Gauthier – 1789, 1795, 1802. Triomphe et mort de la Révolution des droits de l’Homme et du citoyen, numéro 38 de la revue Contretemps 21 juillet 2018
(14) Voir la préface à Pierre Naville, Vers l’automatisme social ? (1963), rééd. Syllepse 2016.
(15) Le 10 mai 1944, la Conférence générale de l’Organisation internationale du travail, réunie à Philadelphie, aux États-Unis, a adopté la Déclaration de Philadelphie qui redéfinit les buts et objectifs de l’Organisation internationale du travail. Article 1 : Le travail n’est pas une marchandise (…) Art. 2 : Convaincue que l’expérience a pleinement démontré le bien-fondé de la déclaration contenue dans la Constitution de l’Organisation internationale du travail, et d’après laquelle une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale, la Conférence affirme que (…) ; Art.3 : La Conférence reconnaît l’obligation solennelle pour l’Organisation internationale du travail de seconder la mise en œuvre, parmi les différentes nations du monde, de programmes propres à réaliser (…) l’emploi des travailleurs à des occupations où ils aient la satisfaction de donner toute la mesure de leur habileté et de leurs connaissances et de contribuer le mieux au bien-être commun ; la possibilité pour tous d’une participation équitable aux fruits du progrès en matière de salaires et de gains, de durée du travail et autres conditions de travail, et un salaire minimum vital pour tous ceux qui ont un emploi et ont besoin d’une telle protection ; la reconnaissance effective du droit de négociation collective et la coopération des employeurs et de la main-d’œuvre pour l’amélioration continue de l’organisation de la production, ainsi que la collaboration des travailleurs et des employeurs à l’élaboration et à l’application de la politique sociale et économique ; l’extension des mesures de sécurité sociale en vue d’assurer un revenu de base à tous ceux qui ont besoin d’une telle protection, ainsi que des soins médicaux complets ; une protection adéquate de la vie et de la santé des travailleurs dans toutes les occupations… Il est tout de même terrible et révélateur que chacun de ces principes apparaisse comme une condamnation de la plupart des mesures prises en France depuis au moins 1983.
(16) Gilets jaunes, des clés pour comprendre, gratuit, téléchargeable depuis le 10 décembre 2018 : www.syllepse.net.
(17) Samuel Huntington, un de ses fondateurs, l’avait bien expliqué : il ne fallait plus qu’au nom de « droits » une Rosa Park perturbe la gestion gouvernementale en montant dans un bus interdit aux noirs…
(18) Alain Bihr, France. Les « gilets jaunes » : ce n’est qu’un début…, A l’encontre, 25 janvier 2019. http://www.labreche.ch/
(19) PLATE FORME DES MOUVEMENTS SOCIAUX POUR LE LOGEMENT https://www.droitaulogement.org/association-droit-au-logement/
(20) - Collectif des associations citoyennes, Jean-Claude Boual, Président du CAC, 10 thèses à propos des « Gilets jaunes », 10 thèses pour les associations, 10 contre-thèses à propos du macronisme, www.associations-citoyennes.net/ ; Convergence nationale des collectifs de Défense et de Développement des Services Publics https://www.convergence-sp.fr/
(21) - Nous en avions un peu discuté dans notre séance précédente, « Que manque-t-il à nos luttes pour qu’elles soient victorieuses ? », le 1er décembre 2018