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Quel besoin de République ?

Christian Delarue membre de la commission Démocratie

dimanche 14 février 2021

Dans la Constitution de la 5e République française, il est écrit dès l’Article 1 que : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. » Les principes sont là, bien affichés mais c’est la liberté d’entreprendre pour le profit qui domine constamment le souci d’une République sociale secondarisée au moment où son besoin se fait sentir.

C’est là le propre du système capitaliste dominant que de faire prévaloir la logique de profit mais cette domination peut être contenue, limitée grâce à l’établissement d’une République sociale, en lieu et place d’une pseudo République néolibérale, ce qui est un contre-sens puisqu’une République fonctionnant surtout pour le 1% et au-delà pour les ultra-riches n’est plus une République mais une ploutocratie élective. Avec plus de pauvres et des riches plus riches, nous nous éloignons de Saint-Just qui clamait que « l’opulence est une infamie » et qu’« il ne faut ni riches, ni pauvres » en République (Guillaume Lancereau in "La République en guerre" - Blog Mediapart).

La République est, au-delà des valeurs et des principes, la construction matérielle de la « chose publique » (Res publica) . En ce sens dynamique, elle est construction inachevée, car toujours en butte à diverses forces de désagrégation, de déconstruction. La République n’est pas stable et éternelle mais soumise à des enjeux, à des dynamiques contradictoires.

C’est en ce sens, que l’on peut affirmer, après des décennies de « thatchérisation du monde » (1 ) qu’il y a besoin de République pour tous et toutes mais surtout pour une large fraction de la population fragilisée par le recul des dispositifs de solidarité et la montée des libéralisations.

I - République : Que contruire ?

Dans le contexte de 2020, il s’agit de répéter que la République connait plusieurs menaces et pas qu’une. Du coup, sa défense et son plein développement constituent une oeuvre récurrente !

A - La République connait plusieurs menaces, pas qu’une !

Des Républicains - auto-proclamés - évoquent l’islamisme de façon redondante en ce moment car il a été oublié auparavant (Hollande en parlait peu et laissait faire) mais il n’y a pas que çà : pas de République avec la destruction des droits et libertés, libertés civiles et démocratiques dont le droit de contester et de manifester ! Or on traque autant le syndicaliste ou le jeune écologiste ou le Gilet jaune ou le musulman non islamiste que l’islamiste. Cela fait du monde !

En vérité, il n’y a pas de République authentique avec des régimes autoritaires et sécuritaires fondés sur la seule présence policière partout, y compris avec des drones intrusifs, et de lourdes sanctions judiciaires . C’est cet ensemble qui fait l’affaire du RN et de l’extrême-droite toujours pro-sécuritaire, mais pas le combat contre les intégrismes religieux qui est très largement soutenu dans la population. Cela fâche mes amis de gauche ! Pour autant, pas de République non plus avec une xénophobie populaire ou d’Etat à l’égard des réfugiés.

Il n’y a pas de République non plus avec une telle soumission à la finance, avec les processus récurrents de privatisation et de marchandisation depuis plusieurs décennies. Quand tout est privé et privatisé dans quelques mains minoritaires, que reste-t-il aux autres ? Quand l’Etat se déleste de ses services publics au profit des entreprises privées et des logiques concurrentielles et marchandes, ce sont les inégalités sociales et territoriales qui montent ! Et elles montent fortement (« courbe en K » avec une branche d’enrichissement et une branche d’appauvrissement).

La République, en opposition à l’Union européenne, doit mettre des services publics partout sur le territoire pour la satisfaction première des besoins sociaux des populations qui est ordinairement oubliée par le privé et le marché. Les grandes entreprises capitalistes sont intrinsèquement perverses sous le néolibéralisme après presque 40 ans de « thatchérisation du monde » : elles sont obsédées par le profit d’abord ! Il n’y a que çà qui compte, le reste est mensonge publicitaire ! Ce n’est pas nouveau, certes, mais la chose débouche sur des pratiques extrêmement offensives visant à vous vendre très cher des objets toujours fragiles, avec dol récurrent, tromperies permanentes. Pas de République non plus avec des dispositifs qui servent des rémunérations élevées, supérieures à 10 000 ou 15 000 euros, alors que de plus en plus de Français ou de simples résidents sur le territoire national sont pauvres ou contraints de vivre dans une sobriété forcée, source de maux cumulés (insolvabilité récurrente).

B - Exigence de République : laquelle ?

Ecartons le slogan de la « France unie » qui n’est pas la République, n’en déplaise à Macron. André Bellon explique (2) : « La « France unie » est toujours un concept ambigu, curieusement calqué sur les slogans électoralistes de François Mitterrand. Qu’elle soit unie dans la recherche démocratique de l’intérêt général, qu’elle soit unie dans le refus du communautarisme, est une conception républicaine. Qu’elle soit unie autour d’une personne ne l’est pas. Ce n’est pas alors la République, mais le bonapartisme. »
Un trajet est à tracer qui va de la Res publica à la Res communis en passant par un régime socialiste qui réduise la place des logiques capitalistes, ce qui suppose de renforcer et de développer une République sociale plutôt que de la réduire.

La République d’aujourd’hui doit être :
1 - Démocratique, avec un Etat de droit et des droits reconnus, défendus, assurés, facilitant l’expression des citoyens, notamment des contestataires. Avec aussi, contre les gouvernances pseudo-démocratiques d’en-haut, une « démocratisation par en-bas » (cf 5- C Delarue et JM Toulouse ).
2 - Laïque pour repousser l’obscurantisme et les intégrismes religieux.
3 - Sociale : Un Etat social doit aller plus loin qu’un solidarisme façon Léon Bourgeois. Il doit développer les services publics, la Sécurité sociale, un Code du travail protecteur du Travail (salarié)
4 - Environnementale et écologique. Il y a là beaucoup à faire tant contre les pollutions (gaz, plastique, etc), que contre le carnisme et les zoonoses, que sur les productions nuisibles.
5 - La lutte contre le sexisme et le racisme est aussi importante à mener.
6 - Non impérialiste contrairement à son histoire colonialiste du XXème siècle.
7 - Ouverte aux droits des réfugié-es ou des migrant-es (migrations climatiques ou politiques ou économiques)
8 - Offensive face à l’oligarchie de l’Union européenne.

Pourquoi ne pas combattre tout à la fois au plan social avec un Etat social fort (avec des services publics implantés et des fonctionnaires soucieux de l’intérêt général, avec un Code du travail émancipateur des diktats patronaux notamment avec une nouvelle RTT à 32 heures hebdo ou même 30h, sans perte de salaire pour les moins de 15 000 euros, avec Sécurité sociale, avec système fiscal juste) et une laïcité forte qui fasse pièce à tous les intégrismes religieux, car c’est une peste réactionnaire montante. A propos des intégrismes religieux, il importe certes de s’y opposer, de ne pas céder au clientélisme pro-islamiste, mais sans pour autant stigmatiser tous les croyant-es. Ce n’est pas si simple en pratique.

Encore une fois, il convient, à droite comme à gauche, de parler des musulmans de façon non communautaire, comprenez de façon non globale et générale, car ils sont non seulement divers (c’est banal de le dire) mais aussi très clivés, opposés du fait des intégristes musulmans. La mise en communauté identitaire a pour effet d’effacer les intégristes religieux au profit d’une identité homogène fantasmée. C’est la faille récurrente ! On le dit et répète - à gauche notamment - mais rien n’y fait ! On fait donc comme si ces derniers n’existaient pas. Du coup, aucune alternative - sauf quelques exceptions - n’est mise en place à gauche pour en réduire les méfaits. Les gauches laissent alors les autres agir ! Mieux elles vont défendre (par exemple) le burkini tout en faisant silence sur l’interdiction du sein nu en piscine. Et quand on parle d’interdire les signes religieux ostensibles, elles hurlent comme si une très grave liberté était attaquée et dans leur dos, les pires intégristes jubilent ! Enfin, elles s’ étonnent ensuite qu’il y ait des accusations de complicité passive ou active avec les secteurs conservateurs ou réactionnaires de cette religion.

Passons de la compréhension de ce qu’est la République à son processus de construction.

II - République : comment la construire ?

Nous avons jadis proposé la construction d’une stratégie contre-hégémonique sans cependant aborder la question du souverainisme.

A - Contre-hégémonie face à « République en miettes » et pour une « République du futur »

La "thatcherisation du monde » est, on l’a dit, un long processus de destruction de la République construite pendant les années d’après guerre entre 1945 et 1975 . L’ouvrage du juriste Paul Cassia « La République en miettes » (3) ne porte que sur les dernières années où la République est quasiment défaite. Il n’en reste que de maigres résidus. Pour le syndicaliste (lutte de classe) et l’altermondialiste (que je suis), ce résultat est bien issu d’un long processus mondialisé de destruction, de libéralisation, de privatisations, de marchandisations, de soumission à la logique de profit, notamment celui de la finance. Le capitalisme, qui avait reculé pendant les années d’après-guerre, a repris du pouvoir sur la société. Il ne recouvre certes pas toute la société mais presque.

La droite, qui défend la liberté d’entreprendre, l’argent et les grands possédants, est bien sûr responsable de cette déplorable évolution mais les gauches de gouvernement (essentiellement le PS) aussi dans la mesure où, si elles ont pu résister ponctuellement avec quelques législations positives (comme les 35 heures), elles ont aussi largement participé aux privatisations.

Aujourd’hui, il existe un fossé immense entre les plus riches bénéficiaires de la finance prédatrice laissée libre de spolier le peuple, et précisément ce peuple-classe. Comme syndicaliste et altermondialiste, que ces ultra-riches possèdent une carte nationale d’identité ne me fait nullement penser que eux et nous possédions la même identité nationale. Le fait national ne fait alors plus société ; il ne crée plus du commun, sauf via quelques artifices qui ne sont que des fétiches ridicules qui stimulent les enfants . Il n’y a quasiment plus aucune communauté d’intérêts entre le peuple-classe et eux, même si nous parlons la même langue, saluons le même drapeau tricolore ! Ils ont pour Dieu l’argent et la finance d’abord - comme toute droite économique (hors droite identitaire), alors que le peuple-classe défend, lui, les services publics, la Fonction publique, la Sécurité sociale, la RTT à 32 heures sans perte de salaire pour les moins de 15000 euros par mois.

Pour nous une contre-hégémonie est à construire à l’aide des force syndicales, associatives et des partis politiques des gauches actifs en ce sens. On ne peut ici que renvoyer à la contribution « La gauche, le peuple et la stratégie contre-hégémonique » (4) Le peuple-classe 99% est trop divisé. Cette division du peuple-classe est multiple. Elle est tout à la fois réelle - quoique construite et non naturelle - et objet d’une activité spécifique des classes dominantes pour la maintenir et la renforcer, afin d’empêcher une contre-hégémonie de conquête des droits et des pouvoirs et outils institutionnels au service de ces droits.

B - La contre-hégémonie, le souverainisme et la Constituante.

Le souverainisme est-il une solution, une perspective ? Le souverainisme de droite (comprenez « par en-haut ») n’apparait pas mieux pour le peuple-classe que ce que propose la droite européiste et mondialiste car la droite souverainiste continue de mettre le peuple-classe à la remorque des élites pro-capitalistes et des ultra-riches, des grands possédants de l’entreprisocène sous couvert de communautarisme national. Le souverainisme de gauche apparaît plus attractif dans la mesure ou il voudrait, lui, reconstruire, en opposition à la mondialisation capitaliste et à l’oligarchie européenne, une nation française « par en-bas » (5), par la reconquête des droits sociaux et politiques par le peuple-classe de France, tant nationaux que simples résidents vivant durablement sur le territoire national. La Nation vue de gauche n’est pas xénophobe de par son ouverture internationaliste et altermondialiste (un autre monde est toujours à construire). Mais la Nation française d’aujourd’hui est aussi défaite que la République car ces deux entités sont clivées, coupées par un dur rapport social entre les grands possédants profiteurs du système prédateur et le peuple-classe de plus en plus dépossédé. Et là, les islamistes n’y sont pour rien.

La solution et la perspective ne seraient-elles pas alors dans la tenue d’Etats généraux pour une Constituante ? Ce serait alors le peuple qui se déterminerait pour fonder la République du futur. Ici le peuple n’est pas seulement le peuple-classe mais il ne se réduit pas plus aux seules élites ou classes sociales dominantes se réclamant du peuple . Lire « Les institutions de la République appartiennent au peuple » (6)

En tout état de cause, pour conclure, il reste à « mener jusqu’au bout la bataille de la République » comme l’écrit Christian Picquet avec cet extrait : « Voilà qui nous invite à mener une bataille politique et idéologique de très grande ampleur. C’est une autre conception de la République qu’il nous appartient de faire vivre. Celle qui veut en permanence étendre et consolider les principes de la laïcité. Celle qui veut que soient pleinement réalisées ses promesses émancipatrices, et poussés jusqu’au bout des principes hérités d’une longue succession de luttes populaires depuis la Révolution française, comme y appelait déjà Jean Jaurès. Afin que, grâce à de nouveaux droits et à de nouvelles institutions, il devînt possible de remettre en cause les inégalités générées par le pouvoir sans limite de la nouvelle aristocratie de l’argent. » (in « La République mérite mieux qu’une loi manoeuvrière » - 7)

Christian Delarue

http://amitie-entre-les-peuples.org/Quel-besoin-de-Republique-Christian-Delarue

1) "La thatchérisation du monde et l’extrême-droite économique : un trajet vers la ploutocratisation du monde"
http://amitie-entre-les-peuples.org/La-thatcherisation-du-monde-et-l-extreme-droite-economique

2) in "Des origines de la République" d’André Bellon https://www.pouruneconstituante.fr/spip.php?article1798

3) Sur la « République en miettes » de Paul Cassia
https://blogs.mediapart.fr/paul-cassia/blog/090319/la-republique-en-miettes
lire aussi : "Le quinquennat Macron, à livre ouvert" | Le Club de Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/paul-cassia/blog/250620/le-quinquennat-macron-livre-ouvert

L’auteur a aussi publié en complément La République du futur.
Cet ouvrage est fondé sur la conviction qu’il existe pourtant une alternative à l’austérité économique, à la réduction des droits des salariés comme des libertés collectives, à la privatisation des services publics, à l’autoritarisme institutionnel qui conduit à la confusion des pouvoirs. Il ne propose pas un constat, une construction purement abstraite telle que l’on peut en trouver dans des essais de politistes, de sociologues ou de philosophes. Il élabore un mode d’emploi pour construire un monde plus juste et inclusif, tant qu’il n’est pas encore trop tard. Il présente une nouvelle grammaire politique complète et concrète, une multiplicité de solutions dont l’agrégation fait sens, une vision pratique du monde fondée sur les exigences d’égalité, de promotion des services publics, de probité publique, de respect du vivant, de renforcement de la séparation des pouvoirs et de justice sociale.

https://www.lgdj.fr/la-republique-du-futur-9782372630641.html

4) "La gauche, le peuple et la stratégie contre-hégémonique" Christian Delarue
https://blogs.attac.org/contre-hegemonie/democratisation/article/la-gauche-le-peuple-et-la-strategie-contre-hegemonique-christian-delarue

5 ) Par en-bas : j’ai pu, avec Jean-Michel Toulouse, appeler ailleurs ce processus de conquête du peuple par lui-même « empowerment » (démocratique) ce qui n’est certes pas très heureux : « Reconstruction du pouvoir d’en-bas par en-bas du peuple-classe » semble plus acceptable.
in "Citoyens du peuple-classe, s’approprier la chose politique - Empowerment", Christian Delarue et Jean-Michel Toulouse - Amitié entre les peuples
http://amitie-entre-les-peuples.org/Citoyens-du-peuple-classe-s-approprier-la-chose-politique-C-Delarue

"Contre le capitalisme représentatif, la démocratie salariale"
par Jean Michel Toulouse, docteur en Droit, qui a publié Que faire pour changer la société capitaliste, L’Harmattan, 2016 ; Contre le capitalisme représentatif la démocratie salariale, tome 1, « Histoire et critique du système capitalisme représentatif », tome 2, « Démocratie directe citoyenne, vers un nouveau paradigme ? », L’Harmattan, 2017.
https://www.youtube.com/watch?v=jhS6mLcU23o&feature=emb_logo

6) « Les institutions de la République appartiennent au peuple »
https://www.pouruneconstituante.fr/spip.php?article1839

7) « La République mérite mieux qu’une loi manoeuvrière » de Christian Picquet sur son blog :
http://christian-picquet.fr/2021/01/28/1385/

Autres références :

"La République, la démocratie et les manipulations identitaires " Christian Delarue (avril 2014)
https://blogs.attac.org/groupe-societe-cultures/articles-cultures-anthropologie/article/la-republique-la-democratie-et-les

"Pour une démocratie éthique et transparente : agir contre la corruption et l’oligarchie néolibérale" (décembre 2020) par Raymond Bonomo, Martine Boudet, Robert Joumard.
https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-26-hiver-2020-2021/debats/article/pour-une-democratie-ethique-et-transparente-agir-contre-l-oligarchie