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Migrations et interculturel

Commission Migrations (2013)

samedi 29 mars 2014, par Martine Boudet

" Les migrations internationales sont l’un des grands défis du XXI ° siècle. Depuis la fin des années 1980, le monde est entré en migrations et celles-ci se sont mondialisées, avec pour conséquence les transformations de la citoyenneté et les bricolages identitaires individuels et collectifs. Toutes les régions du monde, ou presque, sont aujourd’hui concernées, soit par le départ, soit par l’accueil, soit encore par le transit de populations, soit par les trois à la fois. Ce mouvement qui bouleverse les sociétés traditionnelles et transforme en profondeur les sociétés d’accueil a connu une accélération sans précédent depuis la fin du XX ° siècle, du fait de la conjonction de plusieurs facteurs...."
Extrait de " La globalisation humaine " ( page 3 ) de Catherine Wihtol de Wenden [1]

Les pouvoirs politiques sur la défensive multiplient les mesures dissuasives et répressives, cependant que les associations humanitaires s’échinent à faire appliquer le droit existant.
De même que la marchandisation généralisée a poussé à dénoncer l’emprise des pouvoirs financiers ; de même que la crise écologique a mené à la critique du consumérisme et à l’inflexion des politiques énergétiques et environnementales ; l’inéluctabilité des mouvements migratoires et leur amplification dans une société mondialisée devrait logiquement conduire la mouvance altermondialiste à avancer avec la même force et la même énergie des réponses démocratiques et pérennes, alternatives à la guerre aux migrants, quitte à revoir nos conceptions de la citoyenneté et des frontières.

A cet égard, plusieurs études théoriques récentes viennent opportunément alimenter la réflexion :

 la philosophe féministe américaine Nancy Fraser essaye de répondre aux questions qui forment en même temps le titre de son article : " Qui compte comme sujet de justice ? La communauté des citoyens, l’humanité toute entière ou la communauté transnationale du risque ? " [ 2 ]

 c’est sous l’angle de l’anthropologie que Michel Agier examine dans " La condition cosmopolite " [ 3 ] la notion de frontière. Le principe de la frontière comme relation et le mur comme limite à l’échange social sont largement abordés dans une étude qui se propose de redéfinir le décentrement de l’anthropologie dans le monde d’aujourd’hui.
Les murs comme symboles de la guerre aux migrants, sous toutes les formes (concrètes, électroniques, maritimes ) se substituent progressivement aux frontières et " reproduisent le rapport entre l’identité absolue et l’altérité ". Alors que " la mondialisation en général rend plus incertaines les frontières existantes, et plus fragiles celles à venir."
Pour Michel Agier, un nouveau défi s’ouvre à tous : " Le défi posé à tous maintenant /.../ est surtout de réussir à repenser l’universalisme dans un monde commun où doit se réinventer le programme de l’égalité, sur la première page à écrire d’un récit cosmopolite. "

 dans " Captures " [ 4 ] le sociologue Marc Bernardot décrit comment s’est institutionnalisée la guerre aux migrants, et la manière dont le système capitaliste a initié et développé ce processus guerrier depuis une cinquantaine d’années. La dimension culturelle y participe en générant les représentations invasives et les figures de l’altérité qui justifient l’usage de la violence et le recours à l’exception.

L’auteur voit dans les mobilisations protéiformes pour la défense des migrants un potentiel d’innovation politique considérable pour les démocraties et cite à ce propos l’universitaire américain William V.Flores au sujet des Latinos aux États Unis : " la citoyenneté est un processus actif de revendication plutôt que la détention passive d’un ensemble limité et arbitraire de droits."

En conclusion, Marc Bernardot propose plusieurs moyens, parmi lesquels :
- " la réouverture des frontières des forteresses continentales " ;
- " l’institution d’un tribunal permanent pour instruire et juger les crimes contre les altérités, capables de poursuivre en procès de civilisation les agents publics et privés, les leaders d’opinion véhiculant des thèses ouvertement hostiles contre des minorités sociales et raciales" ;

- une refondation de " la déclaration universelle des droits fondamentaux des êtres humains " ;
- " rompre avec les conceptions qui font de la citoyenneté un privilège fondé sur un lien obsolète avec la nationalité est un préalable indispensable à la mise à bas du système militaro-carcéral."

et rappelle que dans le viseur de ceux qui mènent la guerre aux étrangers, " nous sommes tous des étrangers ".

[ 1 ] Catherine Wihtol de Wenden " La globalisation humaine " Presses Universitaires de France 09/2009
[ 2 ] Nancy Fraser dans Rue Descartes, revue du Collège international de philosophie n° 67 - 2010/1 pages 50 - 59
[ 3 ] Michel Agier " La condition cosmopolite " La Découverte 02/2013
[ 4 ] Marc Bernardot " Captures " éditions du Croquant 11/2012