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Contre la meurtrière chasse aux migrants (MRAP)

samedi 29 mars 2014, par Martine Boudet

Le MRAP a voulu appeler le 12 octobre dernier à un rassemblement unitaire au Parvis des droits de l’homme du Trocadéro (à Paris) pour protester avec force contre les politiques migratoires européennes qui engendrent tant de tragédies aux frontières de l’Union. De nombreuses organisations amies ont répondu à cette initiative et ont exprimé leur indignation face à ces politiques meurtrières.

A l’issue du rassemblement et des diverses prises de parole du MRAP et des organisations présentes, de nombreux manifestant(e)s ont décidé de se coucher symboliquement sur le sol dans un sac en plastique, à l’image des victimes érythréennes du naufrage meurtrier de Lampedusa du 3 octobre 2013 qui avait causé la mort d’au moins 339 victimes, ne laissant que 155 survivants.

Dans son intervention, le MRAP avait insisté sur l’ampleur de la tragédie humaine de cette migration qui est souvent une quête d’asile.

Divers recensements (1), forcément lacunaires et imprécis, font état du nombre des victimes de la « Guerre aux migrants » que livre l’Europe à ses frontières Sud et Est.

Selon l’organisation néerlandaise UNITED, les politiques menées par l’Union Européenne, qualifiée de « Forteresse Europe », auraient causé depuis 1993 plus de 17.300 morts de migrants en Méditerranée (2). Selon le site italien « Fortress Europe » (3), depuis 1988, au moins 19 372 personnes ont perdu la vie aux frontières de l’Europe. Un rapport sénatorial de 2012 estime à quelque 7 000 à 10 000 le nombre des victimes mortes dans la traversée des Comores à Mayotte depuis 1995, du fait de l’établissement d’une obligation de visa (dit visa « Balladur »), pour restreindre la circulation des personnes entre l’île de Mayotte (territoire français devenu « département » le 31 mars 2011) et les autres îles de l’Etat indépendant des Comores.

Le total comptabilisé des victimes de traversées maritimes dans l’Atlantique (vers les iles Canaries), en Méditerranée (vers Malte ou Lampedusa) et dans l’océan Indien devrait atteindre pour le moins quelque trente mille depuis vingt ans.
Mais il ne tient pas compte des milliers de victimes inconnues et jamais retrouvées, mortes de soif, de faim ou de violences dans la traversée du Sahara en provenance du Sud de l’Afrique, le long des côtes de Somalie et d’ Erythrée et à travers le golfe d’Aden. Combien de victimes non comptabilisées sur les routes périlleuses d’Afghanistan, du Pakistan ou d’Iran, à travers les massifs montagneux d’Asie centrale. Combien d’hommes, de femmes auront perdu leurs vies sur ces routes dangereuses, exposés à tous les trafics et à toutes les violences, se heurtant à la guerre de Syrie et parvenant aux portes d’une Europe cadenassée, via la Turquie,pour venir s’échouer en Grèce et y demander asile.

Le MRAP, comme l’ensemble des organisations membres de la Coordination Française pour le Droit d’Asile, aussi bien que du réseau MIGREUROP, n’a eu de cesse de protester contre les conventions successives de Dublin (Dublin I en 1990 et Dublin II en 2003) qui imposent au sein de l’UE que ce soit le pays de première arrivée qui soit intégralement responsable de l’accueil ainsi que du traitement de la demande d’asile.

Cette règle injuste confère dans la réalité à la Grèce, à Malte ainsi qu’à l’Italie la responsabilité quasi exclusive de l’accueil des migrants et demandeurs d’asile, les arrivées à destination des îles espagnoles des Canaries, ou des enclaves de Ceuta et Melilla au Maroc, ayant fortement diminué depuis quelques années (selon les autorités espagnoles, en raison d’une meilleure coopération entre Espagne et Maroc).

Le MRAP fait pleinement siennes la dénonciation par le Réseau eurafricain MIGREUROPE (4) des « frontières assassines » de l’Union Européenne qui portent la responsabilité de tant de morts :
 morts de faim, de soif et de violences dans la traversée du Sahara et sur toute la frange sahélienne ;
 morts de froid, d’accidents et de violences dans la traversée des zones montagneuses de la frange Est de la Turquie et de l’UE ;
 tombés à toutes les frontières sous les balles de trafiquants sans scrupules, de bandits ou de forces policières aux objectifs dévoyés ;
 noyés en nombre croissant dans l’océan Indien, la Corne de l’Afrique et la Méditerranée. La Méditerranée, carrefour antique et prestigieux de certaines des plus riches civilisations humaines, a vu son image ternie par de multiples guerres et violences depuis l’Antiquité. Mais jamais - avant aujourd’hui - par des guerres dont les forces en présence aient été aussi injustifiablement disproportionnées qu’aujourd’hui.

Face à des rafiots chargés de fragiles vies humaines d’hommes – et en nombres sans cesse croissants, de femmes, de très jeunes enfants et même de bébés - les polices du Nord de la Méditerranée alliées à celles des pays du Sud (soumis à des très fortes pressions et chantages de l’UE), ont été établies en « chiens de garde » de l’Union Européenne. L’agence européenne Frontex, crée en 2004, en est devenu le triste et honteux symbole :
 Frontex qui, des années durant, a fait la chasse aux rafiots de migrants pour empêcher leur arrivée sur les
côtes européennes, sans se préoccuper de l’hécatombe ;
 Frontex qui a fait usage des pires intimidations pour empêcher les bâteaux de pêcheurs du Nord et, plus encore ceux du Sud, de leur porter secours, violant ainsi toutes les conventions et les principes fondamentaux du Droit de la Mer.

Nous n’oublions pas, à cet égard, le courage des 7 pêcheurs tunisiens qui, en 2007, avaient choisi de porter secours à des migrants en perdition au large de l’Italie. Poursuivis et condamnés par la Justice italienne (Loi Bossi-Fini) pour avoir « favorisé l’entrée irrégulière d’étrangers sur le sol italien », ils furent mis en prison, leurs bateaux placés sous séquestre pendant de très longs mois et leurs familles durent en supporter les injustifiables conséquences, se voyant réduites à la plus extrême misère par la confiscation de leur outil de travail.
Ceux-là firent honneur à notre commune humanité mais en payèrent un prix intolérable.

Aujourd’hui, l’UE poursuit plus que jamais ses « politiques assassines », armée de la force Frontex, contre les migrants et demandeurs d’asile qui fuient par la mer les violences, la misère et la faim qui ravagent, notamment la Corne de l’Afrique (Erythée/Somalie) d’où venaient les quelque 550 passagers du tragique naufrage du 3 octobre 2013.

Mais comme ses forces d’intervention rapide aux frontières (sigle anglais RABIT) ne se révèlent pas assez efficaces, l’UE entend déployer EUROSUR, nouvel outil de surveillance des « frontières pan-européennes » dont les objectifs annoncés sont de :
 réduire le nombre de migrants arrivants jusqu’aux rivages européens sans être détectés,
 réduire le nombre des victimes en mer en leur portant secours,
 et, enfin, pour ne pas changer de discours ni d’objectifs avoués, pour renforcer la sécurité intérieure de l’UE dans son ensemble en contribuant à la lutte contre la criminalité transfrontalière.

Alors que François Hollande avait annoncé en octobre qu’il proposerait aux partenaires européens de la France « dans les prochains jours une politique (…) qui s’articulerait autour du triptyque prévention, solidarité, protection », c’est peu dire que nous savons ne rien pouvoir en attendre - si ce n’est plus de rigueur encore - et que nous restons pleinement déterminés à dénoncer, tout en appelant la France et l’UE à établir enfin de nouvelles politiques de coopération juste, ouverte et équilibrée avec les pays d’origine.

Bernadette Hétier, co-Présidente du MRAP

1. Selon les chiffres comptabilisés depuis seulement 1988, ce qui sous-estime considérablement le total des victimes.
2. http://www.unitedagainstracism.org/pages/ underframeFatalRealitiesFortressEurope. htm
3. http://fortresseurope.blogspot.fr/p/ la-strage.html
4. http://www.migreurop.org/article1238.html