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Migrants morts en Méditerranée : guerre européenne et crime contre l’humanité (C Calame)

26 avril 2015

dimanche 10 avril 2016, par Martine Boudet

Aux 3419 migrantes et migrants morts dans le passage de la Méditerranée en 2014 se sont donc ajoutés 300 morts dans la seconde semaine de février 2015 au large de Lampedusa ; puis 400 « disparus » le dimanche 12 avril, 40 nouveaux morts le mercredi suivant et près de 700 le week-end dernier (la plupart des cadavres ne peuvent être identifiés, retenus qu’ils sont, femmes et enfants inclus, dans la cale où les migrants avaient été enfermés). Cette sinistre statistique correspond au bilan de la politique mortifère de contrôle et de bouclage des frontières menée par l’Union Européenne, de Ceuta et Mellila en face de Gibraltar au fleuve Evros en Grèce du Nord.

La France n’échappe pas à cette politique d’érection de barrières physiques et de contrôles policiers opposés à migrantes et migrants. Non content d’appuyer la politique de guerre menée par l’Europe contre les migrants en Méditerranée, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve conduit à Calais, à l’égard de celles et ceux qui ont survécu et qui tentent de rejoindre l’Angleterre, la même politique de blocage, de répression et de renvoi : les campements de fortune des migrants viennent d’être évacués pour être réunis loin de tout, dans un « bidonville d’Etat », sur une ancienne décharge.

Le renforcement de la guerre de l’Europe contre les migrants
Jeudi 23 avril, on le sait le Conseil européen s’est réuni en une séance extraordinaire pour affronter cette « tragédie ». Objectif prioritaire : « éviter que d’autres gens meurent ». Quatre mesures ont été identifiées : 1) tripler les moyens financiers mis à la disposition de l’agence Frontex qui coordonne les opérations « Triton » en Méditerranée centrale et « Poséidon » en Grèce ; 2) s’attaquer au filières de passeurs et détruire leurs embarcations en particulier en Libye ; 3) « prévenir les flux migratoires » en demandant aux pays de transit tels l’Egypte, la Tunisie, le Soudan ou le Niger de contrôler « les routes migratoires terrestres et maritimes » et en y organisant des « camps de réception » ; 4) en signe de « solidarité », accueillir quelques milliers de réfugiés, notamment des Syriens (pour le détail, voir l’article de Carine Fouteau dans « Mediapart » du 24 avril 2015 :
http://www.mediapart.fr/journal/international/240415/morts-en-mediterranee-un-sommet-cache-miseres).

En clair, cela signifie : 1) renforcer l’opération « Triton » qui a remplacé en novembre dernier l’opération « Mare Nostrum » assumée par le gouvernement italien, et donc substituer à une organisation d’accueil des migrantes et des migrants une vaste opération de contrôle et de répression ; cette substitution est directement responsable des centaines de morts de ces derniers mois ; 2) réitérer l’objectif de l’opération européenne « Mos Majorum » qui, l’automne dernier aussi, s’est soldée par l’arrestation de 19234 personnes (parmi lesquelles un quart de Syriens) et de 287 passeurs présumés… ; 3) reporter sur des pays plus défavorisés la prise en charge des migrants qui en Europe est considéré comme un poids insupportable et, de cette manière, externaliser les frontières de l’UE tout en favorisant la construction de camps de rétentions, véritables camps de concentration ; 4) se dédouaner en recevant, à 28 pays, quelques milliers de réfugiés syriens supplémentaire alors que le Liban, un pays de quatre millions d’habitants, accueille un million de ressortissants d’un pays en proie à la double guerre civile que nous connaissons.

Un crime contre l’humanité
« L’Europe n’a pas causé cette tragédie, mais cela ne veut pas dire que nous y sommes indifférents », a déclaré à l’issue du sommet du 23 avril Donald Tusk, le président du Conseil européen. De fait, parmi les migrants naufragés en Méditerranée se trouvent beaucoup de Syriens, suivis par des Érythréens, des Somaliens, des Afghans, des Nigérians ainsi que des ressortissants en particulier de la Gambie, du Sénégal et du Mali. À leur égard l’Europe est triplement coupable : politiquement en ayant refusé, par exemple, de donner aux insurgés syriens les moyens de renverser le régime de Bashar el Assad ; militairement en s’étant associée à la guerre meurtrière conduite par Etats-Unis en Afghanistan ; économiquement en appuyant les mesures d’ajustement structurel que le FMI a imposées aux pays de l’Afrique subsaharienne pour laisser le champ libre aux multinationales de l’extraction et du trading des matières premières, avec les conséquences sociales et écologiques catastrophiques que l’on relève en particulier au Nigéria.

Autant par les mesures répressives qu’elle implique que par les discours qui les couvrent, la politique conduite par l’Union européenne à l’égard des migrantes et des migrants tentant de franchir la Méditerranée est aussi révoltante que meurtrière. Dans sa réunion extraordinaire du 23 avril, la Commission européenne vient de relancer le crime contre l’humanité dont elle s’est rendue coupable depuis le début des années 2000 à l’égard des migrantes et des migrants qui s’adressent à elle, victimes des situations de guerre et de misère qu’elle a entretenues. Les représentantes et représentants de la Commission européenne doivent désormais être traduits devant la Cour Pénale Internationale.
En effet selon la proposition postée sur ce blog en date du 17 nov. 2014 (mise à jour et publication dans Le Monde du 9 avril 2015)
(http://blogs.mediapart.fr/blog/claude-calame/181114/controle-des-frontieres-meridionales-de-leurope-et-morts-de-migrants-lettre-bernard-cazeneuve) :

“par la stratégie concertée d’érection de murs physiques et de contrôles policiers autant à Calais qu’aux frontières méridionales de l’Europe, avec les conséquences destructrices de vies humaines qu’impliquent ces barrières, on s’approche de la définition officielle d’un crime contre l’humanité : soit « la violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d’un individu ou d’un groupe d’individus inspirée par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux » ; et ceci par une action politique délibérée. Rappelons qu’au-delà de l’extermination, de la réduction en esclavage, de la prostitution forcée ou de la persécution d’un groupe, l’article 7 du « Statut de Rome » de la Cour pénale internationale (17.7.1998) désigne aussi comme crime contre l’humanité «  les autres actes inhumains (…) causant de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale »“.
Et du point de vue politique et économique, non pas la « maîtrise », mais la suppression des « flux migratoires » implique une double rupture : rupture avec le néo-colonialisme impérialiste des États-Unis et de leurs alliés européens au Moyen-Orient, notamment par le soutien inconditionnel apporté à Israël contre les Palestiniens ; rupture avec la libéralisation économiste et financière dominée par les mêmes puissances et assurant le pouvoir économique et financier des pays riches sur les pauvres, au bénéfice des multinationales et des grandes banques, dans une alliance dont le traité TAFTA est l’expression même.

Claude Calame
Directeur d’études à l’EHESS, Paris 26.4.15

Migrantes et migrants morts en Méditerranée –22000 jusqu’en 2014, plus de 1400 au début 2015 : guerre et crime contre l’humanité

Signer la pétition :
http://www.cyberacteurs.org/cyberactions/migrantes-migrants-nbsp-repression-944.html


Source : https://blogs.mediapart.fr/claude-calame/blog/260415/migrants-morts-en-mediterranee-guerre-europeenne-et-crime-contre-lhumanite