Accueil > Commission enseignement-recherche > Enjeux culturels, programmatiques et interdisciplinaires dans le contexte de (…)

Enjeux culturels, programmatiques et interdisciplinaires dans le contexte de la mondialisation (Martine Boudet)

mardi 1er mai 2012, par Commission Enseignement-Recherche

Enjeux culturels, programmatiques et interdisciplinaires
dans le contexte de la mondialisation

Communication de Martine Boudet- Séminaire EHESS- 2012

I- L’économie de la connaissance et ses avatars

A- Une gestion managériale

B- Les clivages interdisciplinaires et inter-institutionnels

C- les clivages interculturels : de genre, d’origine…

II-Limites et perspectives du modèle républicain

A-L’interculturel un paramètre fédérateur dans le contexte de la mondialisation

B-Pour l’éducation à une citoyenneté de l’altérité

C-Pour la promotion d’une didactique instance de médiation entre savoirs, compétences et cultures

L’Ecole, dont les médias font régulièrement la chronique, est à l’image de la société : perte croissante des repères, expérience dangereuse des limites, climat de mal-être généralisé.... Tel est le constat des Assises sur le harcèlement à l’école, tenues en 2011 : un élève sur dix serait victime de cette forme de violence aggravée. Selon une enquête de l’OCDE, les élèves français sont, avec les Japonais, les plus stressés des publics testés.
Dans ce passif, quelle est la part des responsabilités propre au système macro-économique et au modèle républicain ? Et quelles remédiations préconiser au plan national ?

I- L’économie de la connaissance et ses avatars

De nombreuses analyses ont porté sur le degré de légitimité des réformes en cours, ces dispositifs mettant en application le processus de Bologne et la « stratégie de Lisbonne », instaurés à l’échelle de l’Union européenne depuis une décennie. Le débat a surtout mis l’accent sur la gestion des structures et statuts institutionnels ; les orientations programmatiques et la gestion des relations entre les différents acteurs sont à discuter également. En effet, au nom du principe de rentabilité et de la mise en concurrence marchande, « l’économie de la connaissance » renforce, dans le paysage de la recherche, de la formation et de l’enseignement, les clivages voire les conflits d’intérêt entre corporations, entre champs disciplinaires comme entre cultures.

A- Une gestion managériale

Au plan administratif, le fait nouveau réside dans l’émergence d’une gestion technocratique dont les objectifs s’imposent souvent en lieu et place des instances et débats pédagogiques. La rationalisation de la vie scolaire est bienvenue ; cela dit, le risque est grand, en l’absence de contrepoids suffisants, d’aboutir au formatage des personnels et usagers. Par exemple, aux dires de responsables de CRDP, la lecture des revues professionnelles accuse un net recul, au moment où est mis en place le socle des compétences, où est informatisée la pédagogie par objectifs. La perte de réactivité pédagogique de la corporation est aussi à la mesure de la régression des prérogatives des IUFM, de la formation initiale et continue des professeurs, de la diminution des budgets alloués aux associations spécialisées...
Depuis une décennie, le projet de transformation de l’Ecole et de l’Université en entreprises a changé les règles du jeu : l’instrumentalisation du concept de compétences , trop souvent au détriment des savoirs à enseigner, est à mettre au compte d’un pragmatisme et d’un minimalisme douteux. Autre objectif ambigu, la recherche des innovations au service de la compétitivité, la finalité de la création n’apparaissant plus dans les discours institutionnels voire des contre-pouvoirs, comme horizon d’attente des enseignements.
Cette dérive gestionnaire participe bien entendu d’un système, le contexte qui prévaut étant caractérisé par l’accès à la société de l’information et l’entrée simultanée dans la mondialisation.

B- Les clivages interdisciplinaires et inter-institutionnels

L’expansion des médias tout comme, avec cet outil, la spéculation marchande sur les biens immatériels que sont les savoirs conditionnent en profondeur le rapport des sociétés à l’éducation et à la formation. Si ces évolutions techno- économiques présentent des avantages incontestables en matière de rationalisation des patrimoines cognitifs, leurs effets secondaires peuvent être tout aussi destructeurs, en l’absence de pondération. En l’occurrence, la valorisation, décrite précédemment, de compétences professionnalisantes directement utilisables par l’administration et le patronat, s’inscrit dans le cadre de production d’une culture de surface caractérisée par une auto-instruction médiatisée, par un apport plus ou moins anarchique d’informations, en lieu et place de savoirs dûment hiérarchisés et organisés en tant que tels. Par ailleurs, comment promouvoir dans ces conditions l’éducation à la citoyenneté, celle-ci s’avérant une condition déterminante de la refondation d’un civisme adulte assaini ? Ce dont il s’agit en effet, c’est de résister aux multiples formes, consuméristes et narcissiques, du libéralisme moral, telles que médiatisées par la politique spectacle et par la culture people dont la cible est la jeunesse et qui s’ajoutent aux méfaits scientifiques de l’économie de la connaissance.

Cette sous-éducation, telle qu’elle se profile, serait surtout réservée aux élèves du service public et d’origine populaire, tandis que la partie libérale du système éducatif (secteur privé non confessionnel/non associatif), qui prolifère profitant des difficultés de l’Ecole, renforce de son côté les programmes disciplinaires les plus rentables. Force est de constater en effet l’accroissement de la mise en concurrence des savoirs normalisés en fonction de leur degré de rentabilité, ce phénomène renforçant les déséquilibres interdisciplinaires enregistrés au cours des dernières décennies. Ainsi, la question programmatique s’avère une donnée incontournable du débat sur la légitimité des orientations idéologiques et des modes de développement induits par le système éducatif et de recherche. Quels objets d’apprentissage, quels contenus d’enseignement valoriser pour un rééquilibrage démocratique, socio-culturel, écologique, géo-politique du pays ? Comment échapper au déterminisme techno-scientiste, économiste, impérialiste, à un néo-colonialisme francophone destructeur ainsi qu’à la propension actuelle à l’hégémonie anglophone ? Pour ne pas devenir des partenaires inféodés à l’oligarchie politico-financière qui tend à régir les affaires publiques, Ecole et Université ont la responsabilité de construire les alternatives émancipatrices à l’égard des dérives néo-libérales, sur le plan programmatique comme sur le plan structurel.

Outre la tendance managériale précitée dont les présupposés sont économistes, le système de domination actuel s’appuie sur l’instrumentalisation des sciences et des techniques. Ce fait résulte d’un processus ancien, datant de l’après 68, qui vit en France l’essor de l’enseignement technologique et des mathématiques comme discipline fondamentale. Ce dernier fait ayant été alimenté par la création des IREM (Instituts de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques) qui permit l’harmonisation de la discipline aux différents degrés et la promotion de la filière S comme filière d’excellence. Le point d’équilibre est rompu à l’heure néo-libérale, le logos mathématique étant désormais utilisé de manière quasiment hégémonique pour légitimer la course au rendement et au profit . Quoique trop peu étudié, le déséquilibre entre les champs disciplinaires devient problématique ; pour exemple, sur la ville de Toulouse, les pôles de compétitivité à caractère international sont spécialisés dans la recherche en sciences physiques et du vivant : l’Aerospace campus (2000 chercheurs, un budget annuel de 600 millions d’euros, 17 immeubles) et le Cancéropôle qui est de même envergure. Le plan campus concerne surtout les universités de Rangueil (sciences) et des sciences économiques et sociales, en particulier sur un programme de promotion des nanotechnologies. L’Université du Mirail (UTM), spécialisée en Lettres, arts et sciences humaines, n’a droit qu’à la réhabilitation de son patrimoine immobilier. Dans le cadre de la LRU, l’investissement privé risque d’y être négligeable également.

D’une manière générale, au nom de la rentabilité économique, ce secteur subit une marginalisation croissante. Dans le cadre des lycées, le recrutement de la filière littéraire connaît une érosion régulière, plafonnant à moins de 10% : son public est majoritairement féminin, d’origine populaire et immigrée. Un rapport de l’IGEN (Inspection générale de l’Education nationale) publié en 2006 recommandait un certain nombre de dispositions intradisciplinaires aptes à réhabiliter la filière, à l’adapter aux évolutions scientifiques et culturelles ; il ne fut pas ou peu mis en application.

C- les clivages interculturels : de genre, d’origine…

A ces clivages corporatifs et disciplinaires s’ajoutent ceux qui perdurent entre cultures de genre. Mai 68 a correspondu au déclin du patriarcat, symbolisé à l’époque par la démission du général Président. Dans le trio anthropologique, forme de famille symbolique à l’échelle de la nation, c’est le jeune qui a remplacé le père en position de leader, du fait des retards mis à l’émancipation féminine et à la parité. Entre autres facteurs, la démagogie jeuniste, qui conduit dans certains cas à des formes de clientélisme parental, résulte du caractère unilatéral de la démocratisation du système scolaire, au niveau du terrain. A ce phénomène, s’ajoute le déclin des missions éducatives de l’armée : l’échec anormal du projet de service civil mixte, censé remplacer le service militaire et effectivement facteur de socialisation et d’apprentissage des solidarités concrètes, renforce l’aliénation de nombreux jeunes, spécialement des garçons, à l’univers facile et factice de la consommation et du jeu, en premier lieu sous sa forme médiatisée (jeux vidéos…). D’où le recours régressif aux services de la police et de la justice, les cas de délinquance voire de criminalité juvénile s’avérant en forte progression. De même qu’une prospective inter-institutionnelle (pour harmoniser les missions de l’Education nationale, des médias et de l’armée), la promotion d’une recherche appliquée en sciences de l’éducation à partir des expériences du terrain permettrait de libérer et de rehausser la créativité enseignante. Il s’agit aussi dans ce cas de rompre, en matière de formation, avec les habitudes mandarinales qui freinent le débat inter-catégoriel, à l’Université et dans la haute administration.

Autre phénomène bloquant, comme l’écrivent entre autres les sociologues Establet et Baudelot , les clivages propres aux cultures de genre recoupent en grande partie celles qui prévalent au plan des disciplines : le champ des sciences dures, valorisé par le système néo-libéral, incombe encore majoritairement aux hommes, les femmes s’orientant plutôt vers les professions de services, dont celles de l’enseignement, offertes par le champ des sciences dites molles . Dans ce partage socialisé des tâches, il manque des enquêtes pour évaluer la part spécifique de souffrance au travail des femmes professeures : le rétablissement de l’autorité enseignante passe par la mise en place de démarches de co-éducation et de mise en responsabilité des femmes, dans cette corporation, majoritairement féminine.

A ces obstacles s’ajoutent les passifs contextuels liés au « choc des civilisations », tel qu’enregistrés dans les établissements des banlieues. Le débat tronqué sur l’identité nationale et récemment sur l’un de ses corollaires, la laïcité, a pu renforcer les fractures existant avec les publics d’origine immigrée. Alors qu’il y a nécessité à prendre en compte les acquisitions citoyennes qui sont à l’actif d’une culture juvénile objectivement métissée et en quête de modes de fraternisation, dans le domaine du sport et de la musique, entre autres. Ainsi, pour remédier à la crise idéologique et morale, résultante de la crise systémique, ce débat, engagé sur une base nationaliste et discriminante à l’égard de l’immigration non -européenne s’est avéré un échec. Le problème reste entier, comme le montre l’exploitation dangereuse qu’en fait l’extrémisme populiste de même que la déculturation d’une partie de la jeunesse, sous l’influx de la culture people, sous-culture atlantiste et extravertie. Comme les médias d’information, des films primés, Entre les murs et La journée de la jupe, ont fait connaître les dysfonctionnements de la vie scolaire dans ce cadre et l’aspiration du mouvement associatif à consacrer des laboratoires éducatifs du métissage culturel.

Conclusion
Autant dire que les déséquilibres grandissants du système éducatif, tant dans les relations avec son administration qu’entre les champs disciplinaires et entre les cultures institutionnelles et catégorielles, contribuent à la déperdition du sentiment d’appartenance à une culture commune. Empêchant de ce fait la mise en oeuvre de projets d’établissement fédérateurs et créatifs.

II-Limites et perspectives du modèle républicain

En fait, aux dérives mondialisées de l’économie de la connaissance, il faut ajouter les limites du modèle républicain. Certaines ont été évoquées dans la première partie de cet exposé, dans la mesure où elles ont favorisé l’implantation du système néo-libéral : l’hégémonie du logos mathématique par exemple ou l’emprise d’un inconscient impérial qui se manifeste dans la gestion des programmes éducatifs des quartiers multiculturels.
Autre passif, propre cette fois-ci à la corporation enseignante, la controverse alimentée entre courants des disciplinaires (appelés autrefois instructeurs) et des psycho-pédagogues (ou éducateurs). Ce clivage a conduit fréquemment à adopter une posture unilatérale, valorisant respectivement les objets d’enseignement ou les méthodes d’apprentissage à adopter. Ce débat, qui a ressurgi à l’occasion des mobilisations enseignantes à l’encontre des réformes néo-libérales, se fonde sur une opposition assez anachronique et exclusive entre savoirs républicains et compétences individualisantes. L’actualisation des données paradigmatiques reste à établir : l’accès concomitant à la société de l’information et à la mondialisation multiculturelle conduit à des transformations profondes en matière de fonctionnements intersubjectifs -et en particulier de dialogue interculturel/intercommunautaire- et de construction de savoirs. Cette mise en réseau généralisée, source d’évolutions rapides et démultipliées, constitue la base expérientielle de nouveaux enseignements-apprentissages à élaborer.

La tradition scolaire tout comme le mouvement social éprouvent des difficultés à intégrer ces données : du fait d’un certain immobilisme structurel dans le premier cas, d’un culte légitime de l’égalité républicaine dans l’autre, mais qui échappe mal à l’écueil de l’uniformisation. Dans les deux cas, la matrice idéologique reste centralisée et unitariste, laissant peu de place à l’expression des différences et aux dynamiques de groupe. Ainsi, sont éludées des spécificités importantes du système national, qui ont légitimité à devenir des recours, dans une optique transformatrice. C’est à ce travail de fédération des forces vives -dans le cadre de travaux par projets, en équipes- que se consacre par exemple l’OCCE (Office central de coopération à l’Ecole) .

A- L’interculturel un paramètre fédérateur dans le contexte de la mondialisation

Prenons le cas des établissements de banlieue ou de quartiers multi-ethniques : l’approche assimilationniste des enseignements contredit l’objectif de « diversité culturelle », pourtant préconisé par l’UNESCO, institutionnalisé en France suite aux mobilisations juvéniles de 2005 (qui furent de véritables émeutes pour venir à bout des immobilismes) et mis en application par de nombreux entrepreneurs et médias. Entre autres sous la forme des « chartes de la diversité et des programmes » subventionnés par l’ACSE, Agence nationale pour la cohésion nationale et l’égalité des chances .
Pourquoi ce principe n’a-t-il pas été encore vraiment pris en compte dans l’Education nationale ? Pour exemple, l’objectif d’initiation aux littératures francophone et européenne, mis en place avec la réforme du français en lycée (2001), est resté quasiment lettre morte. Quant à l’enseignement du FLE (français langue étrangère) à destination des publics étrangers ou d’origine immigrée, sa marginalisation est paradoxalement proportionnelle à son intérêt pour l’intégration des publics à la communauté nationale. L’obstacle réside dans les préjugés vivaces à l’égard des différentes formes de culture communautaire, qu’elles soient d’ordre religieux, linguistico-culturel, ethnique. A la différence de pays européens limitrophes, tels l’Espagne, notre pays cultive une méfiance excessive à l’égard des expressions religieuses (démarche dite de « laïcité fermée »), de celle des langues-cultures des régions historiques, des DOM-TOM, des banlieues. Le culte de l’unité nationale, de l’universalisme et d’une citoyenneté individuelle ne doit pas conduire à des formes extrêmes de déculturation qui seraient autant de pertes de substance ontologique, de « substantificque moelle ». Le déni des problématiques culturelles (au sens anthropologique du terme) conduit à des aberrations : du fait de l’hégémonie grandissante de l’anglo-américain comme langue scientifique, commerciale, diplomatique... les menaces qui pèsent sur l’avenir du français, pourtant langue de l’unité républicaine, comme le décrète l’article 2 de la Constitution, donnent lieu à peu de résistance organisée.

Pour sa pérennisation, la transmission du patrimoine national doit être conjuguée à une démarche d’ouverture aux autres cultures, condition d’une dynamique salutaire. Ainsi, l’adaptation de l’Education nationale à la mondialisation nécessite d’apporter des réponses aux questionnements d’ordre anthropologique des publics : concernant les relations à entretenir entre pays de l’Union européenne, du nord et du sud, avec l’Islam, la chrétienté et la laïcité, avec la francophonie, l’anglophonie et la culture people, entre les cultures de genre, entre les générations... Jusqu’à présent, les réponses institutionnelles sont surtout d’ordre structurel ou de l’ordre de la sanction, scolaire, policière, militaire même : création des établissements ambition-réussite, des dispositifs CLAIR, des internats d’excellence, du policier-référent, relégation des publics violents dans l’espace incontrôlé des casernes…. A contrario, une démarche interculturelle pacifiée présente l’intérêt de réguler des violences internes à certaines communautés, notamment concernant le statut des femmes :

"L’idée de communication interculturelle ne peut se développer que dans l’aire d’influence des sociétés qui reconnaissent l’universalisme de la raison et celui des droits humains.(…) La modernité n’existe pas sans le sujet, et celui-ci n’existe pas sans la modernité, c’est-à-dire hors de l’association de la raison et des droits individuels. Avec cette triade, la communication interculturelle est possible."

In fine, les historiens Pascal Blanchard et François Durpaire appellent à la création d’une République multiculturelle et postraciale . Le projet d’une francophonie des peuples et de progrès, défendu par Dominique Wolton du CNRS, contribuerait de même à réduire l’impact souterrain des mentalités et des imaginaires néo-coloniaux .

B-Pour l’éducation à une citoyenneté de l’altérité

Autre facteur constitutif du modèle national : l’objectif qui a consisté à mettre « l’enfant au centre des apprentissages » et qui correspond cette fois à la base individualiste de la République française. Son indéniable légitimité réside dans l’optimisation de la dignité et de l’autonomie de toute personne, fondements de son processus d’individuation . Il devient urgent pour autant de pondérer les inévitables dérives egocentrées, phallocentrées et ethnocentrées de ce standard.

Eduquer les publics à un décentrement volontaire à l’égard des instances de pouvoir ou de consommation nécessite de théoriser et de mettre en pratique une citoyenneté de l’altérité. Cela pour actualiser la compétence sociale et citoyenne (composante du socle commun des savoirs et compétences). Le ressenti est que l’éducation à la citoyenneté reste trop souvent parcellaire voire facultative et peu évaluée et, de ce fait, ne marque pas durablement les publics. Dans le cadre du cours d’histoire -géographie (ECJS/Education civique, juridique et sociale), la composante juridique et sociale est prévalante. La fonction éthique de l’éducation est minorisée en cours de français et de Lettres, orienté traditionnellement vers les apprentissages esthétiques : l’histoire des arts européens à laquelle il contribue, apparaît comme un enseignement pertinent en collège. Une autre innovation serait, en parallèle, de renforcer l’éducation à la citoyenneté, avec d’autres disciplines concernées telles l’EPS et l’histoire-géographie.

Concernant les paramètres de cette éducation, outre la reconnaissance du principe précité de « diversité culturelle », les initiatives créatrices seraient bienvenues à l’Ecole concernant l’égalité de traitement des expressions culturelles et des carrières des femmes et des hommes. Ainsi que sur la promotion des langues-cultures des régions historiques et des DOM-TOM, défendues par les Conseils régionaux depuis la loi de décentralisation de 1982...L’aliénation ou sentiment de dépossession culturelle est une cause aussi importante que les inégalités socio-professionnelles, de progression des risques psycho-sociaux (RPS) dans les établissements scolaires. Les incivilités et autres infractions sont souvent à interpréter comme des actes de résistance à une conception trop étroite, de type psycho-social, de la gestion des enjeux éducationnels. Face à la déferlante des marchés et des médias, seuls les patrimoines civilisationnels et culturels, ancrés dans des langues, des religions et/ou sur des territoires, sont en capacité de sauvegarder et d’adapter les repères et valeurs constitutifs d’une société. La démarche de laïcité ouverte préconisée par le rapport de Régis Debray (2002) consiste à intégrer les faits cultuels comme des faits de culture à vocation universelle. La pédagogie de la décentralisation territoriale permet aux publics de construire des repères de proximité et des liens concrets avec l’environnement et l’entourage socio-culturel immédiat. Les déclinaisons de l’éducation à l’altérité sont évidemment multiples : éducation à la parité et au développement durable, à une francophonie des peuples et de progrès, à une authentique coopération européenne et Nord-Sud ainsi qu’à la solidarité internationale …

En conclusion, le dialogue des cultures -sous différents aspects- s’avère une condition de la dynamisation de la vie scolaire et universitaire, un paramètre indispensable pour éduquer à une citoyenneté ouverte, complexe et évolutive ce faisant. A rebours de l’unitarisme comme des corporatismes, des communautarismes et des nationalismes, il s’agit de pratiquer « l’unité dans la diversité », comme le dit la devise européenne. Ainsi, pourra se reconstituer par le haut une culture commune, fruit d’une identité nationale plurielle, et en écho au concert mondialisé des nations et nationalités. Le sociologue Alain Touraine y voit l’aboutissement d’une troisième étape paradigmatique :

« Historiquement, le sujet moderne s’est incarné d’abord dans l’idée de citoyenneté, qui a imposé le respect des droits politiques universels par-delà toutes les appartenances communautaires.(…)Pendant la période dominée par le paradigme social, c’est la lutte pour les droits sociaux (et en particulier pour les droits des travailleurs) qui a été au centre de la vie sociale et politique. Aujourd’hui, l’installation du paradigme culturel met au premier plan la revendication de droits culturels. De tels droits s’expriment toujours par la défense d’attributs particuliers mais ils confèrent à cette défense un sens universel. »

C-Pour la promotion d’une didactique instance de médiation entre savoirs, compétences et cultures

Cette praxis interculturelle nécessite d’être théorisée : c’est l’objet de recherche de sciences sociales émergentes dont l’anthropologie (dont l’un des référents est la question des appartenances culturelles) et la sémiologie (dont l’analyse porte sur les représentations, précieuse dans la société des médias )... A rebours de l’économie de la connaissance technocratique et technoscientiste, qui maintient citoyens et jeunes dans l’empirisme inter-subjectif, la reconstruction d’un pacte de convivialité adapté aux enjeux de la période passe par la didactisation de leurs fondamentaux.

D’une manière générale, il s’agit de promouvoir, en amont et dans le cadre de la formation initiale et continue des enseignants, les didactiques (inter)disciplinaires : ces sciences de l’éducation actuellement marginalisées s’avèrent des éléments de médiation nécessaires entre disciplines académiques et psycho-pédagogie. Si cette dernière a la place qu’on lui connaît dans le système éducatif, parfois excessive (c’est la dérive précitée de l’objectif de « l’élève au centre des apprentissages »), dans des disciplines telles que les mathématiques ou le FLE-FLS (français langue étrangère-français langue seconde), la didactique bénéficie d’ores et déjà d’acquis conséquents. La riche expérience des IREM (Instituts de recherche sur l’enseignement des mathématiques) est à réinvestir dans d’autres champs, de même que des passerelles sont à établir entre les didactiques du FLE-FLS et du FLM (français langue maternelle), pour la réhabilitation de cet autre enseignement fondamental. Une publication intéressante à ce propos : L’Education nationale en danger, au compte de la fondation Copernic. Issu du mouvement de critique des contre-réformes sarkoziennes, cet ouvrage collectif préconise des alternatives tant dans le domaine programmatique qu’institutionnel. L’élément central étant la question de l’accès de tous les publics, quelle que soit leur origine ou leur culture d’appartenance, à la maîtrise de la langue française et par conséquent des savoirs .

Au-delà, serait précieuse la création d’un Institut de recherche pour l’enseignement du français et du champ disciplinaire associé (IREF), tout comme au niveau universitaire celle d’un institut interdisciplinaire de la Francophonie. Autre recours institutionnel : la tenue d’Etats généraux interdisciplinaires qui fassent le bilan des champs disciplinaires depuis mai 68, renouent avec la tradition épistémologique à vocation d’auto-critique et préconisent les solidarités et coopérations nécessaires. Entre autre pour la défense du statut des disciplines minoritaires, dont les disciplines artistiques et linguistiques .

C’est à ces conditions entre autres que pourra être alimentée la culture des humanités et de l’interprétation qu’Yves Citton appelle de ses voeux : « En amont comme en aval de la production de connaissances ou de la transmission d’information qui obnubilent aujourd’hui nos imaginaires, nous devons interpréter des expériences pour en tirer des données, et interpréter des discours pour en tirer du sens. (...)Or, c’est dans la culture des humanités que se forge et se régénère une bonne partie des ressources dont nous disposons collectivement pour interpréter activement et pour transformer intelligemment notre monde.(...)Le travail rétrospectif et réflexif fourni par les humanités est indispensable : lui seul permet de nous orienter dans le présent afin de mieux frayer les voies de l’avenir. »

Pour remédier au décrochage inquiétant de l’Education nationale et de l’Université ainsi qu’à la désocialisation correspondante de nombreux publics juvéniles, le triptyque compétences-savoirs-cultures semble en résumé le trio gagnant d’une politique éducative refondée. Par la mise en système et l’articulation de ces paramètres, il est possible de réduire la gestion utilitariste du capital humain. Et de réhabiliter la citoyenneté dans ses diverses composantes, au service d’un développement plus équilibré et d’une authentique politique de civilisation .