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Pour un sénat de l’écologie

quelles institutions politiques à l’époque des périls écologiques ?

mardi 28 juin 2011, par Joël Martine

Comment intégrer les impératifs écologiques dans le fonctionnement de la démocratie, quelles raisons y poussent (notamment une réflexion sur « l’articulation » des connaissances scientifiques et des institutions de défense des intérêts du futur proposées par Dominique Bourg). Débat sur la question de la présence et du poids des experts dans une chambre comportant des citoyens tirés au sort.

N.B. : à la fin, les critiques, la plupart justifiées, qui ont été faites à ce texte par des militants d’ATTAC-France, et une réponse rapide. Si j’avais le temps je réécrirais ce texte en tenant compte des critiques, et en le situant dans le débat sur la démocratie au sein d’Attac. En l’état, il vaut mieux que le lecteur commence par lire les textes importants de ce débat (voir pages internet citées au début du texte).

« Le futur est la circonscription négligée de la politique représentative moderne. »
Dominique Bourg et Kerry Whiteside

Problème : COMMENT INTEGRER LES IMPERATIFS ECOLOGIQUES DANS LE FONCTIONNEMENT DE LA DEMOCRATIE ?

Dans ce texte je présente de larges extraits des propositions institutionnelles faites par Dominique Bourg et Kerry Whiteside dans Vers une démocratie écologique, Seuil, 2010 (dans la suite, pour faire plus court, je dirai simplement « Bourg » pour désigner cet ouvrage), notamment l’idée d’un Sénat de l’écologie, qui dans le cas français remplacerait l’actuel Sénat aux côtés de l’Assemblée Nationale.

Il y a un débat dans Attac-France sur la question des formes institutionnelles de la démocratie :
http://local.attac.org/attac92/IMG/doc/QuelquesPistesReformes5.doc : Quelques pistes de réformes institutionnelles pour régénérer une démocratie chancelante, par Jean-Claude Bauduret et autres, 40 pages, résumé du débat et des propositions innovantes, par coupés-collés des textes principaux, avec liens internet. Thèmes : la non-démocratie des institutions actuelles ; le tirage au sort : utilité, mode d’emploi ; le bicamérisme ; les conférences de citoyens ; le référendum.
http://www.france.attac.org/archives/spip.php?article10968 ,
http://www.france.attac.org/archives/spip.php?article11951 ,
http://www.france.attac.org/archives/spip.php?article11952 .
Or les périls écologiques d’aujourd’hui renouvellent la façon dont cette question se pose.

Dans ce débat il faut éviter les caricatures. Quand quelqu’un propose qu’une assemblée soit tirée au sort parmi les citoyens, cela ne veut pas dire qu’il propose qu’on tire les lois à pile ou face. Des militants d’Attac proposent un système bicamériste avec une chambre tirée au sort et une autre élue par les citoyens : voir entre autres Jean-Claude Bauduret, Robert Joumard, Marc Brunet, La Chambre des citoyens : faire du tirage au sort un élément d’une démocratie active : http://www.france.attac.org/spip.php?article11951 . Dans les propositions de Bourg le tirage au sort joue un rôle en partie comparable. Cela ne veut pas dire qu’on annule la responsabilité des citoyens dans leur vote ni celle des élus devant leurs électeurs. Au contraire, dans cette formule bicamériste, l’élection et le tirage au sort combinent leurs qualités et contrent mutuellement leurs défauts. C’est un progrès remarquable dans la réflexion sur les institutions de la démocratie. Quand Bourg propose que les deux tiers du sénat soient tirés au sort dans une liste d’experts proposée par des ONG et un tiers parmi les citoyens lambda, cela ne revient pas à instaurer une dictature des experts, ni à refuser la possibilité pour le peuple de développer sa propre capacité d’expertise, au contraire. Enfin quand une proposition de réforme pourrait convenir à un projet de « capitalisme vert », cela ne signifie pas qu’elle serait inintéressante dans un projet anticapitaliste, ni qu’on puisse ignorer les problèmes auxquels elle essaie de répondre.

Au point de départ de ce débat, on sait que la démocratie représentative conduit le plus souvent à une dépossession du pouvoir du peuple. Toutefois, la cause principale de l’autonomisation de la « classe politique » vis-à-vis du peuple n’est peut-être pas la délégation de pouvoir lors des élections, mais plutôt le fait que le pouvoir du peuple n’est pas concrètement organisé à tous les niveaux du fonctionnement de la société (subsidiarité, démocratie locale, démocratie dans la direction des entreprises et dans la gouvernance du tissu économique, démocratie participative donc des moyens pour l’expérimentation sociale, droit d’initiative populaire pour les propositions de loi, vitalité des associations, et enfin, ou plutôt d’abord, pression démocratique par les luttes sociales). Il faut donc démocratiser radicalement la société à tous les niveaux, et dans ces conditions les institutions représentatives (car il en faut pour certaines fonctions) pourraient devenir l’un des éléments d’un dispositif complexe de pouvoir du peuple. Il faut donc penser des combinaisons de démocratie directe et de démocratie représentative, et de représentation par élection et par tirage au sort. Dans la vie concrète, la démocratie passe par une « guerre de position » : la conquête de lieux de pouvoir collectif dans la société civile et dans les appareils d’Etat, lieux de pouvoir qui sont à la fois des points de résistance et des lieux d’alternative à travers lesquels le peuple se construit comme collectivité agissante . Et les institutions représentatives peuvent devenir l’un de ces lieux, à condition que le peuple s’organise aussi de façon autonome.

LES EXIGENCES ECOLOGIQUES ET LA PENSEE POLITIQUE

Cela dit, les exigences écologiques, qui sont devenues une question de survie pour l’humanité, jettent un éclairage nouveau sur le fonctionnement de la démocratie.
La démocratie, qu’elle soit directe ou représentative, est censée (même si cet idéal est le plus souvent entravé ou dévoyé) permettre l’expression de la diversité des intérêts et leur dépassement dans la formulation de l’intérêt général. Cela passe à la fois par une négociation entre les intérêts particuliers et par une prise de conscience éthique à visée universelle. Or pour répondre aux enjeux écologiques la conscience universaliste est décisive ( « penser global » ), et la négociation entre les intérêts particuliers est plus souvent un obstacle qu’un chemin !!!

La pensée politique doit alors répondre ensemble à quatre exigences, qui ne sont pas nouvelles mais qui deviennent prioritaires à l’époque des périls écologiques :
1. intégrer la science, 2. viser le bien commun universel, 3. protéger l’avenir, 4. faire vivre la démocratie.

1 Il faut intégrer l’expertise scientifique (comme débat visant à établir des connaissances vraies ou du moins plausibles) dans le débat politique (visant à la gouvernance collective pour le bien commun).

Jusqu’au milieu du XXème siècle, tant que l’ampleur des périls écologiques n’étaient pas perçue, on pouvait penser que la définition des objectifs politiques ne dépendait pas des connaissances scientifiques, mais devait seulement en tenir compte en tant que moyens d’action disponibles. On pouvait penser la science simplement comme une pourvoyeuse de connaissances extérieure par principe au processus politique, connaissances qui dans un deuxième temps seraient utilisables en bien ou en mal dans les décisions politiques et économiques. Cette séparation entre science et politique n’est plus acceptable. L’expertise scientifique doit accompagner le processus politique dans toutes ses étapes. Toutefois que cela ne veut pas dire que la décision politique (et éthique) n’ait pas son autonomie. Si la science nous montre que certains choix collectifs ne sont pas soutenables, elle nous montre aussi que l’éventail des choix soutenables est large, ouvert à la créativité. De plus, comme les connaissances scientifiques ne sont jamais totalement certaines, la politique reste un art de la décision dans l’incertitude. Pour le dire avec les mots de la philosophie classique, la politique, comme la technique, ne requiert pas seulement le savoir, mais la prudence. Diversité et créativité d’une part, prudence d’autre part : tout cela laisse un large champ au débat politique … et donne aux citoyens une responsabilité immense et inédite, puisqu’il s’agit de préserver la survie de l’humanité, responsabilité paradoxale et difficile puisqu’il y a toujours des marges d’incertitude. En conclusion de ce point, l’importance vitale des connaissances scientifiques ne signifie pas qu’il faut soumettre la politique au diktat des savants (quand bien même les savants seraient indépendants des puissances politiques, économiques et académiques, ce qui n’est pas le cas), mais qu’il faut intégrer l’expertise scientifique dans le processus politique. Il faut d’abord que les institutions politiques et les citoyens soient à l’écoute des savoirs et de leurs débats, dans un esprit scientifique. Cela ne veut pas dire tenir compte uniquement des connaissances scientifiques constituées comme telles, mais aussi écouter les connaissances populaires d’expérience . Allons plus loin, il faut que les institutions politiques et les « simples » citoyens développent leurs propres capacités d’expertise. Or cela est possible comme le montrent les réseaux de connaissance coopératifs, Wikipedia par exemple, et les expériences de conférences de citoyens. La communauté politique doit donc se constituer en communauté d’experts, en adoptant des procédures inspirées des règles idéales du débat scientifique (ce que proposent des philosophes comme Habermas) … même si la vie politique ne saurait se réduire à cela !

2 Il faut institutionnaliser davantage la visée universaliste inhérente à la politique.

Dans la démocratie il y a le pari que le débat et le vote permettront de formuler une volonté collective poursuivant le bien commun. Mais en fait la composition ou le compromis entre les intérêts particuliers tels qu’ils existent dans la société ne conduit pas forcément au bien commun. Toute gouvernance, a fortiori démocratique, nécessite une certaine dose d’éthique collective, le vouloir-vivre-ensemble en une communauté politique qui permet de transcender la diversité des intérêts particuliers. Cette communauté politique a pu être le clan, la tribu ou la nation. A chaque époque et dans chaque région du monde, la communauté politique se construit comme unité de survie dans ses rapports avec ses voisines : son échelle géographique et son modèle idéologique sont déterminés par les techniques et par les idéologies de solidarité qu’elle peut mobiliser compte tenu des forces productives (matérielles et intellectuelles) et des rapports sociaux existants. L’Etat-nation, le principal horizon de la pensée politique héritée, occidentale mais pas seulement, a été et est encore la forme de communauté politique correspondant aux relations de concurrence perpétuelle au sein de l’économie-monde capitaliste. Mais ce système lui-même n’est pas écologiquement soutenable. A l’heure des périls écologiques, c’est l’ensemble de l’humanité à l’échelle de planète qui est devenue l’unité de survie la plus importante (nonobstant les autres dimensions géographiques : « penser global, agir local »). Il faut donc introduire une éthique à visée mondiale dans le processus politique, et c’est difficile car l’activité politique se déroule encore en grande partie sur des arènes nationales.

Par quelles institutions peut-on incarner cette éthique universaliste et l’intégrer de plein droit dans le processus politique ? Deux pistes :

D’une part, une réforme des institutions de gouvernance mondiale telles que l’ONU et les organismes qui en émanent. Un exemple instructif d’expertise partagée à l’échelle mondiale est le GIEC. Un exemple d’institution décisionnelle instructive par ses échecs est la Conférence des Nations Unies sur le Changement Climatique. Pour de nombreuses idées innovantes et excellentes, voir le petit livre Pour une gouvernance mondiale, de l’Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire, coordonné par Pierre Calame, aux éditions de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme, 2003 :
http://www.world-governance.org/IMG/pdf_Calame_Pierre_Coord._-_Pour_une_gouvernance_mondiale_efficace_legitime_et_democratique.pdf .

D’autre part il y a l’expérience des CONFERENCES DE CITOYENS : à n’importe quelle échelle du local au global on peut constituer par tirage au sort un échantillon représentatif de la population, leur donner une formation de base sur une question, puis leur donner les moyens de se documenter, d’auditer les experts, enfin de réaliser un rapport sur cette question avec des préconisations, moyennant une indemnisation par un quasi salaire pour la durée de l’opération. Cette forme d’organisation permet l’émergence de la conscience universaliste des individus. D’abord parce que, étant tirés au sort, ils n’ont pas eu à se battre pour leur propre intérêt, contrairement aux élus qui sont de fait sélectionnés sur leur capacité à gagner et garder les faveurs de l’opinion publique, des médias, des lobbies, et à gagner des postes de pouvoir dans un parti, le tout en écartant leurs rivaux. Ensuite ils sont réunis pour une tâche de pure expertise, dans laquelle ils sont détachés de leurs adhérences sociales. Certes chacun a toujours ses intérêts particuliers et ses allégeances mais les membres d’une conférence de citoyens n’ont pas de pouvoir pour favoriser tel ou tel intérêt particulier et d’autre part ils sont suffisamment nombreux pour qu’aucun intérêt incompatible avec l’intérêt général n’ait le dessus. Dans les faits, quand on fait travailler sur un même thème des conférences de citoyens recrutées dans des pays aussi différents que, disons, le Mali et la Pologne, elles donnent des avis souvent convergents et font des suggestions auxquelles les experts spécialisés n’avaient pas toujours pensé.

Gouvernance internationale d’une part, conférences de citoyens d’autre part : on a là des outils pour l’affirmation d’orientations universalistes, contrebalançant les intérêts particuliers. Evidemment cela répond aussi aux exigences 1 et 3 : intégrer l’expertise scientifique dans le processus politique, et intégrer les enjeux de l’avenir.

3 Il faut prendre en compte les droits des générations à venir et le rôle des espèces non humaines dans les éco-systèmes .

Un exemple : en Grande-Bretagne de nombreux projets d’éoliennes ont été bloqués par l’opposition des citoyens locaux au nom d’arguments tels que le bruit et l’atteinte au paysage, et les élus étaient les otages de leurs électeurs. Certes ces arguments sont recevables et on aurait pu chercher des compromis. Mais en attendant, ces mêmes électeurs continuaient à utiliser de l’électricité d’origine thermique et des voitures individuelles à essence, donc ils utilisaient leur privilège de polluer l’atmosphère au CO2, aggravant tranquillement la catastrophe climatique dont les effets les plus graves ne se font pas encore sentir dans le présent mais frapperont les générations à venir, humaines, végétales et animales. Or les humains de l’avenir n’ont pas le droit de vote dans les décisions du présent. A plus forte raison les végétaux et les animaux. Qui représente leurs intérêts ?

L’un des présupposés de la démocratie est qu’il vaut mieux que les décisions soient prises par ceux-là même qui auront à en supporter les conséquences. Mais comment réaliser cette exigence ? En effet les conséquences écologiques (et d’autres) des décisions prises actuellement impactent parfois assez peu les générations actuellement vivantes, et massivement, pour le meilleur et pour le pire, les générations humaines futures, qui par définition ne sont pas présentes dans le débat démocratique d’aujourd’hui. C’est un défi à l’un des fondements de la démocratie que nous avons évoqué plus haut : le pari qu’on puisse arriver au bien commun à partir des intérêts particuliers tels qu’ils existent dans la société, par leur libre expression, la réflexion sur ces intérêts, la discussion ouverte, enfin le vote … avec dans ce processus une part importante de composition entre les intérêt particuliers. Or l’expérience montre que la visée de l’intérêt général est souvent dévoyée en compromis et en marchandages entre les intérêts particuliers et à court terme. Ceux qui se sont battus pour le suffrage universel afin d’empêcher la confiscation de la politique par les privilégiés ont-ils pensé à l’intégration des générations futures dans la prise de décision ?

Cela pose deux questions : comment connaître et exprimer les intérêts des générations futures, c’est-à-dire leur donner une voix consultative ? et comment leur donner un poids dans la prise de décision, c’est-à-dire une voix délibérative ?

Idem pour les populations végétales et animales (quel que soit le statut éthique et métaphysique qu’on leur donne : simples moyens à préserver pour l’usage qu’en font les humains, ou objets de sollicitude et de compassion, ou encore sujets de droits à part entière – je n’entre pas ici dans ce débat).

Il faut donc donner un pouvoir institutionnel à des instances que l’on pourrait appeler LES AVOCATS DE L’AVENIR HUMAIN ET DE LA NATURE, pouvoir d’enquête et d’information, mais aussi pouvoir de contrôle sur les lois et les décisions politiques. On verra que dans l’ingénieux système bicamériste proposé par Bourg, le Sénat de l’écologie répond à ces deux fonctions, tandis que l’Assemblée législative reste l’organe du pouvoir et de la responsabilité politiques des citoyens humains vivants.

En amont du sénat, Bourg préconise une institution scientifique en charge de la prévision écologique : une « Académie du futur ». Mais il ne propose pas donner à cette académie le pouvoir de dicter des directives, d’une part parce que si la recherche scientifique était soumise à l’obligation de fournir des directives politiques elle perdrait son caractère d’espace de découverte et de débat ouvert, et d’autre part, surtout, parce que la démocratie n’est pas moins nécessaire que la science.

4 La démocratie est nécessaire face aux périls écologiques.

Il faut que le peuple exerce sa souveraineté et assume en toute responsabilité son pouvoir de faire les lois. Ce y compris pour des raisons écologiques : sans intervention démocratique du peuple, tant par des institutions que par des luttes, on laisse les mains libres aux pouvoirs économiques et administratifs dominants à l’instant t, qui utilisent tous les moyens accessibles dans leur compétition pour renforcer leurs positions à court terme, même au détriment du long terme et de l’intérêt général. Certes il vaut mieux un despotisme éclairé qu’une tyrannie barbare. Mais sous un despotisme la nature n’est jamais à l’abri des dégâts des pouvoirs. L’idée d’un despotisme écologiquement bienveillant serait une utopie dangereuse. Des citoyens responsables et mobilisés, mandatant précisément les élus, et capables de les sanctionner, sont une garantie contre les effets catastrophiques des luttes de pouvoir des puissants, et sont même une garantie du libre exercice de la pensée rationnelle dans la société.

Pour que tout cela soit possible il faut que le fonctionnement des institutions stimule dans la société une culture du débat rationnel, tant sur le versant scientifique de l’établissement des preuves et de l’ouverture aux questionnements, que sur le versant politique de la responsabilité dans les décisions législatives et dans le pilotage de la vie sociale.

LES PROPOSITIONS INSTITUTIONNELLES DE BOURG ET WHITESIDE

De toutes ces exigences il résulte, selon Bourg et Whiteside, que les impératifs écologiques devraient être inscrits dans la constitution, avec autant de précision que le sont les droits sociaux et politiques. Doit être inscrite également dans la constitution l’autorité des connaissances plausiblement vraies issues de débats scientifiquement méthodiques et libres.

Bourg insiste donc sur la nécessité de définir des « biens publics mondiaux environnementaux », sur l’adoption de « nouveaux objectifs constitutionnels », et sur l’institution d’une « Académie du futur » publique et indépendante. A partir de là, les exigences écologiques étant ainsi définies, il faut imaginer les institutions les mieux à même de les traduire en décisions politiques.

Donc il propose (p.92 et suivantes) un parlement à deux chambres :
 - d’une part une assemblée législative élue,
 - d’autre part un Sénat de l’écologie.

L’assemblée fait les lois et exerce les autres prérogatives qui lui sont généralement reconnues, comme de contrôler le gouvernement. Les députés sont responsables devant leurs électeurs. (Cette assemblée elle-même doit être réformée dans un sens démocratique, mais c’est un autre débat).

Bourg décrit ainsi les attributions du Sénat de l’écologie :

« [il] serait chargé de traduire et d’interpréter politiquement les connaissances internationalement acquises quant aux limites et ressources de la planète, savoir capitalisé par l’Académie du futur. Il exercerait une double fonction, en amont et en aval de l’Assemblée [législative] nationale : primo, élaborer les grands projets de loi permettant de réaliser les nouveaux objectifs constitutionnels, par exemple en matière d’énergie ou concernant le basculement de la fiscalité du travail vers la consommation de ressources ; secundo, opposer son veto à toute proposition législative allant à l’encontre des objectifs constitutionnels, suivant les données fournies par l’Académie. »

Le sénat de l’écologie est donc le représentant politique de l’avenir humain et de la nature. Il n’est bien sûr pas élu par les générations à venir ni par les espèces animales et végétales, mais il est désigné par la société comme le gardien et le représentant de leurs intérêts, un peu comme un tuteur désigné pour s’occuper des biens d’une personne mineure ou incapable, ou comme un avocat commis d’office.

Ce sénat ne vote pas de lois, cela reste la responsabilité des députés de l’assemblée législative. Il donne une expertise, un avis consultatif sur le fonctionnement des institutions (comme font la Cour des Comptes et le Conseil Economique et Social, mais avec un domaine plus large et à dominante écologique). Il élabore des préconisations. Et pour cela, [Bourg, p.94]

« le Sénat devra organiser régulièrement des consultations du public, selon une procédure analogue à celle des conférences de citoyens, inspirée de la méthode danoise . Les décisions du Sénat seront conditionnées par le résultat de ces multiples conférences de citoyens organisées préalablement à toute décision publique et formelle. »

Donc le sénat met en oeuvre la formation et l’intervention de « l’expertise citoyenne » dans le débat écologique. Et il joue lui-même le rôle d’une grande « conférence de citoyens » permanente et généraliste. D’ailleurs, comme on va le voir, un tiers de ses membres sont un échantillon représentatif de l’ensemble de la population, tiré au sort.

Enfin il exerce un contrôle de la conformité des lois aux objectifs inscrits dans la constitution (comme fait actuellement le Conseil Constitutionnel). A ce titre il a un droit de veto sur les lois. Ce droit de veto incarne l’autorité des connaissances scientifiques et des exigences écologiques. Un veto oblige l’assemblée législative à revoir sa copie. Au final, il vaudrait mieux [à mon avis – J.M.] que le peuple ait le dernier mot, soit par ses représentants législatifs, soit par referendum, car il faut bien que quelqu’un tranche en dernier recours, et que le peuple soit mis devant ses responsabilités.
Bourg précise (p.93) :

« Le Sénat ne pourrait adopter aucune loi : soit il proposerait de grandes dispositions législatives, générales et transversales, soit il ne se déterminerait que négativement. Autrement dit, le Sénat serait tenu à l’écart des fonctions qui reconduisent immanquablement l’esprit partisan et, au premier chef, le vote de lois heurtant certains intérêts présents au sein de la société. Il se bornerait en effet à proposer les grands principes de règles et de lois nouvelles, sans entrer dans les détails qui favorisent ou défavorisent telle ou telle catégorie sociale. Ou alors il se contenterait d’opposer son refus à une loi particulière […]. C ’est pourquoi le Sénat ne souffrirait ni esprit ni organisation partisane. Les sénateurs seraient certes rémunérés et employés à temps plein, mais ils ne seraient affiliés à aucune formation politique et ne pourraient appartenir à des groupes parlementaires, au sens partisan du terme. Le Sénat devrait être le plus représentatif possible du corps social, sans privilégier une catégorie professionnelle, un parti, etc. Il devrait exprimer la volonté de la nation même s’il ne la représente pas. Il devrait être le plus légitime possible, sans pour autant constituer une institution représentative au sens traditionnel, celles dont nous n’avons cessé de fustiger les limites. Enfin le Sénat devrait être capable d’entrer dans des considérations passablement complexes. […] C’est pourquoi nous proposons un mode de désignation multiple.

[suite, p.94] La désignation des sénateurs
Pour éviter de reproduire au sein de cette assemblée la logique temporelle et territoriale [c’est-à-dire l’obligation pour chaque élu s’il veut être réélu de satisfaire les intérêts à court terme des électeurs d’une circonscription géographique particulière], qui plus est partisane, ces nouveaux sénateurs ne pourraient être élus contre d’autres. Nous proposons deux modes de désignation différents, qui ont recours tous deux au hasard [c’est-à-dire au tirage au sort], mais de façon différente . La première solution consisterait à confier aux ONGE (ONG environnementales) la constitution d’une liste regroupant des personnalités qualifiées, appartenant à des ONG ou ayant leur confiance, aptes à maîtriser la complexité des dossiers et connues pour leur engagement en faveur de la nature et des générations futures. Les sénateurs seraient alors désignés au hasard au sein de cette liste . [...] La seconde solution consiste à réserver cette procédure de nomination aux deux tiers du Sénat. Le dernier tiers [mais on pourrait discuter sur cette proportion – J.M.] serait issu de la population « ordinaire ». Ces sénateurs seraient désignés au hasard, mais à l’instar de ce qui se pratique pour les conférences de citoyens, c’est-à-dire en fonction de la structuration de la population nationale, selon le sexe, les classes d’âge, les catégories professionnelles et de niveau d’études, la provenance géographique, etc. La nomination définitive comme sénateur serait toutefois suspendue à l’acceptation formelle des individus désignés. [...] Ce mode de désignation clérocratique (du grec kleros, attribué par tirage au sort) permet d’obtenir la meilleure représentation possible, au sens statistique, sans induire les biais partisans inhérents au système représentatif . Au sein du système représentatif en vigueur, une majorité ne représente le plus souvent qu’un quart de la population. Avec la méthode clérocratique, toutes les couches de la population seraient par contre présentes au sein du Sénat. Avec 180 membres au moins, la diversité des points de vue et des compétences initiaux devrait être suffisante. Des attachés parlementaires dotés d’une bonne culture scientifique devraient également permettre de faciliter le travail d’acculturation de ces nouveaux sénateurs issus de la population. […]

[P.95] Le Sénat donnerait lieu à un renouvellement d’un tiers de sa composition tous les trois ans, avec des sénateurs désignés pour neuf ans, de telle sorte que l’assemblée maintienne toujours le plus haut niveau de compétence et de continuité possible. […] Un seul mandat serait permis. »

On pourrait encore se demander s’il vaudrait mieux que ce Sénat vote ses résolutions à la majorité simple (50% des voix + 1) ou à une majorité qualifiée assurant une plus grande représentativité (60 % par exemple).

Résumons. Le sénat de l’écologie proposé par Bourg répondrait aux insuffisances de la démocratie représentative face aux enjeux écologiques. Il servirait, notamment grâce aux conférences de citoyens, à construire une opinion publique instruite, intellectuellement autonome, et prenant en charge la défense de l’avenir ; il servirait aussi à représenter la population dans toute sa diversité réelle. Ce grâce à ses attributions (traduction des connaissances scientifiques en préconisations politiques, enquête, débat public, et contrôle de constitutionnalité des lois) et à sa composition (pour une part des sénateurs tirés au sort au sein d’un vivier d’experts non-gouvernementaux, pour une autre part un échantillon représentatif de l’ensemble de la population constitué également par tirage au sort).

Dans les démocraties bourgeoises le sénat, de par son élection indirecte et notabiliaire et la lenteur de son renouvellement, joue plutôt un rôle conservateur, faisant contrepoids à l’Assemblée Nationale qui par son mode d’élection est éventuellement plus sensible aux revirements de l’opinion. D’un point de vue bourgeois, le sénat incarne la prudence, il est le gardien des traditions et de l’ordre établi. A l’inverse, dans le bicamérisme de Bourg, le sénat incarne aussi la prudence, mais en tant que gardien de l’avenir, non de la tradition, et conservateur de la biosphère, non de l’ordre établi.

On peut reprocher à la composition de ce sénat de faire la part trop belle aux experts. J’y vois au contraire la promotion d’experts de type nouveau : le tirage au sort de sénateurs dans un vivier constitué par les ONGE affirme une légitimité d’expertise provenant de la société civile mobilisée, ce qui contrebalance le pouvoir des experts issus du système académique, des appareils d’Etat et des grandes entreprises. Et le mélange, dans une même assemblée, de ces experts des ONGE avec des « apprentis-experts » tirés au sort parmi les citoyens lambda obligerait les experts savants à ne pas s’enfermer dans leur tour d’ivoire, à rendre des comptes aux citoyens et à les aider à se former. Et les citoyens lambda du sénat et des conférences citoyennes, transformés par ce concubinage avec les experts savants, auraient une forte légitimité d’experts du peuple. Il y a là un effet de synergie entre le savoir scientifique et l’opinion publique politique, synergie décisive pour la démocratie à l’époque de la surpuissance techno-scientifique et des périls écologiques, synergie qui serait moins facile si le sénat était formé uniquement de citoyens lambda, comme dans la proposition de Chambre des citoyens faite par Bauduret, Joumard et Brunet. Bien sûr, tout cela se discute, notamment la proportion entre les citoyens lambda et les experts. Par ailleurs la représentativité des ONG, même habilitées, est sujette à caution (certaines sont le cheval de Troie d’intérêts privés), mais existe-t-il un meilleur filtre pour générer des experts savants réellement dévoués au bien commun ? Enfin il n’y a pas de modèle tout terrain et c’est l’histoire des crises et des mobilisations qui décidera du type de relation entre le peuple et les scientifiques.

Le sénat proposé par Bourg a un champ de compétence expressément écologique. Mais cette compétence n’est pas limitative vu l’interdépendance entre l’écologique et le social. On pourrait imaginer sur le même modèle un sénat à compétence généraliste (avec des critères plus complexes pour le choix des experts : par exemple, une part du vivier des experts pourrait être désignée par les Conseils Economiques et Sociaux…). Il semble toutefois que la formule préférable serait un sénat généraliste à priorité écologique, pour des raisons qui relèvent de l’urgence vitale collective et de la légitimité.

P.S. : LES EXPERTS ET LA DEMOCRATIE, en réponse à Jean Gadrey.

Les propositions de Bourg, notamment son sénat de l’écologie, reviennent à compléter la démocratie en institutionnalisant la vigilance des citoyens conseillés par les experts. Selon Jean Gadrey, Bourg accorde trop de confiance aux experts. Voir http://www.alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2011/01/18/la-%C2%AB-democratie-ecologique-%C2%BB-de-dominique-bourg-n%E2%HYPERLINK "http://www.alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2011/01/18/la-«-democratie-ecologique-»-de-dominique-bourg-n’est-pas-la-solution/" 80%99est-pas-la-solution/ . (mais je n’ai pas encore lu les contributions qui font suite à cet article, notamment celles de Jacques Testard, D. Bourg, etc.)

Par exemple dans le sénat selon Bourg, les 2/3 sont des experts tirés au sort dans un vivier de personnalités proposées par des ONG, et 1/3 est constitué par un panel de citoyens tirés au sort reflétant la composition sociologique de la population. Bourg a tendance, c’est ce que lui reproche Gadrey, à considérer que les citoyens ordinaires ne tiennent pas suffisamment compte du futur.

Or Bourg n’a pas tord sur ce point, mais de bons arguments peuvent justifier la critique que lui fait Gadrey. Si les citoyens ont tendance à mal voir les enjeux du futur c’est parce que leur opinion est manipulée par la ploutocratie via les conditions de concurrence incessante dans lesquelles les gens sont emprisonnés par le capitalisme, a fortiori avec l’offensive néolibérale de destruction des services publics, via les modèles de « réussite dans la vie » véhiculés par les riches, via la pub qui renforce tout cela non seulement par le contenu de ses messages mais aussi par son flot de pseudo-informations futiles qui empêche de penser aux choses importantes. Quant aux experts, Gadrey montre que leurs avis sont fortement conditionnés par l’ordre dominant. En effet les problèmes sur lesquels ils travaillent, et donc la façon dont ils sont formés et sélectionnés reflètent les priorités économiques de l’investissement capitaliste, à quoi s’ajoute les effets du cloisonnement et de la concurrence entre ces disciplines, chacune ayant par conséquent tendance à se constituer en chasse gardée contre les critiques externes. Et Gadrey souligne que quand on donne à des citoyens ordinaires les moyens de s’informer et de débattre, par exemple dans les expériences de conférences citoyennes, ils sont très sensibles aux enjeux du long terme et aux informations d’origine scientifique, et ils donnent des avis souvent plus sensés que les experts. La conclusion politique logique de tout cela est qu’il faut avant tout libérer les citoyens de l’emprise des oligarchies (ploutocratie, aristocratie des Etats et expertocratie) et qu’alors la démocratie sera beaucoup moins faussée et sera à même de prendre en compte le long terme et les données scientifiques. (Il ne s’agit pas de supprimer les experts mais de défaire leur pouvoir institutionnel autoproclamé).

Sur tout cela, Gadrey a raison, et Bourg ne le contredirait pas (même s’ils ne mettent pas l’accent sur les même choses). Pour Bourg, il faut corriger la démocratie, et il montre comment on peut le faire. Pour Gadrey il faut émanciper la démocratie de sa mise en tutelle par l’oligarchie, et logiquement cela passe par la constitution d’un réel pouvoir du peuple. Mais cela n’enlève rien à l’intérêt des propositions de Bourg, au contraire. En effet, comment construire une opinion publique rationnelle capable de délégitimer les sophistes des oligarchies ? Il faut pour cela des institutions qui organisent le dialogue entre la vie de la société, son auto-organisation, les savoirs populaires, et d’autre part les savoirs scientifiques avec leurs procédures ; ce dans les associations (certaines se sont dotées d’un Conseil Scientifique), dans les mouvements sociaux (qui n’ont pas seulement leurs assemblées décisionnelles, mais aussi leurs forums de débat en salle et sur internet) … et dans les institutions politiques, et là une construction institutionnelle comme celle proposée par Bourg est indispensable.

Et même quand on aura réussi à émanciper la démocratie des tutelles oligarchiques il faudra que la démocratie fonctionne avec la société telle qu’elle est. Or les sociétés sont et seront confrontées à des situations d’urgence générées par la crise multiforme de l’ordre actuel. De plus les sociétés sont marquées par l’héritage culturel du capitalisme (concurrence, recherche du profit, culte de l’efficacité technique à court terme). Et de toute façon dans n’importe quelle société peuvent apparaître des tendances au court-termisme. Des décisions anti-écologiques peuvent être prises déjà par insouciance ou par insuffisance d’information, mais surtout parce que le cadre même de la démocratie représentative pousse à défendre vos intérêts particuliers contre les menaces venant d’autres intérêts particuliers (en gros, le court-termisme corporatiste), donc à élire des représentants selon ce critère, lesquels représentants ont à leur tour un intérêt, sous peine d’être évincés par leurs concurrents, à fidéliser leurs électeurs en les entretenant dans ce cadre de pensée. Il faut être conscient que la démocratie en tant que telle, et pas seulement parce qu’elle est manipulée par les oligarchies, génère des effets pervers anti-écologiques, et il faut s’en prémunir, fondamentalement par la prise de conscience collective, mais aussi par des moyens institutionnels, par exemple ceux préconisés par Bourg et Whiteside.

Post-Scriptum du 8 juillet 2011

Bonjour !
Je voudrais dans ce message prendre acte des critiques qui ont été faites par plusieurs militants d’Attac à mon texte Pour un Sénat de l’Ecologie, où j’ai présenté favorablement les propositions institutionnelles de Dominique Bourg et Kerry Whiteside. Mais il se peut que certains messages m’aient échappé car je ne suis pas sur la liste « Démocratie ».

Je n’ai pas vu de critiques concernant le système bicamériste combinant une chambre constituée par tirage au sort et une autre par élection, ni non plus concernant le rôle du Sénat : d’une part rôle d’enquête et de préconisation, d’autre part rôle gardien des objectifs constitutionnels, avec droit de veto sur les lois votées par l’assemblée législative. Il me semble donc bien établi que les exigences écologiques confirment le système bicamériste défendu par Jean-Claude Bauduret, Robert Joumard et Marc Brunet. Les critiques se concentrent sur la présence d’experts dans la composition du Sénat (a fortiori à hauteur des deux tiers). Je défendais l’idée que le mélange des experts et des citoyens lambda dans une même assemblée délibérative aiderait les citoyens, donc la société, à construire leur capacité d’expertise collective. Or les arguments contre cette idée sont convaincants. D’une part les experts, même en position minoritaire, peuvent facilement circonvenir le jugement des citoyens, entraver leur élaboration intellectuelle autonome, et finalement dévoyer les décisions dans le sens des intérêts dominants, technocratiques notamment. D’autre part l’idée de tirer au sort les sénateurs dans une liste établie par des ONG agrées tendrait à accentuer chez les ONG la course à la reconnaissance officielle avec tous ses effets pervers. Conclusion : il vaut mieux en rester à l’idée d’un sénat composé uniquement de citoyens lambda. Ce qui conforte les critiques de Jean Gadrey contre les penchants à « l’expertocratie » dans l’approche de Dominique Bourg. (C’est aussi à la lumière de cette question qu’on peut se demander s’il vaut mieux un mandat court ou un mandat long pour les sénateurs : avec un mandat court ils restent peut-être plus représentatifs de l’opinion du peuple … avec un mandat plus long ils ont peut-être plus le temps de construire leur capacité d’expertise ...)

Cela dit, même s’il n’est pas souhaitable que les citoyens soient chaperonnés par les experts, les problèmes auxquels Bourg entend répondre restent entiers : comment intégrer pleinement l’expertise scientifique dans le débat démocratique ? comment faire en sorte que les exigences du futur soient suffisamment prises en compte au point de contrebalancer les intérêts existant dans le présent ? Certes, dans une société intégralement démocratique, les citoyens arriveraient, par le débat, à des positions universalistes, rationnelles et respectueuses du futur. Mais cela ne nous dit pas par quelles méthodes et quelles institutions on peut faire faire avancer dans ce sens la société telle qu’elle est, avec ses groupes de pression, son opinion manipulée, etc. Et ce avec suffisamment de force vu l’urgence de la situation écologique. Je n’ai pas la solution, mais par exemple on pourrait demander que toute institution politique se dote d’un « conseil scientifique ». Il faut aussi que les Etats et l’ONU maintiennent et développent des institutions de recherche scientifique publique avec des garanties d’indépendance pour les chercheurs. Il faut donc faire le point attentivement sur ce qu’il y a à prendre et à laisser dans les propositions de Bourg. Je pense notamment à son idée d’Académie du futur. En outre, la réponse à la question de l’intégration de la science dans le débat démocratique ne peut pas se situer principalement au niveau des institutions étatiques, mais aussi dans une transformation des pratiques de la société civile. Par exemple, il faut souhaiter que des conférences de citoyens soient mises en place fréquemment à tous les niveaux de la société et sur toutes sortes de problèmes.

Quoi qu’il en soit, la question de la vie démocratique et de ses formes institutionnelles doit être posée à partir des exigences de la conversion écologique de la société en situation de péril global. Une conséquence de cela dans le débat sur les institutions, c’est que la légitimité du sénat (son autorité morale dans le débat politique en continu, mais aussi sa légitimité à mettre son veto sur des lois allant contre les « objectifs constitutionnels ») a deux fondements distincts : d’une part sa représentativité populaire, d’autre part son rôle de porte-parole des connaissances scientifiques et des intérêts du futur et de la nature. Certes il est souhaitable et possible que ces deux choses convergent … mais elles peuvent parfois être en conflit (par exemple le peuple d’un pays pauvre peut juger légitime de continuer à exporter du pétrole tant qu’il n’a pas d’autres sources de devises dans l’ordre mondial en place, mais ça n’arrange rien au réchauffement climatique !). Il faut donc penser juridiquement l’articulation de ces deux légitimités. Bien sûr avec une insurrection des consciences à l’échelle mondiale cette question sera facile à résoudre... Sur ce, bonnes vacances !

De Jacques Testart, le 3 Juillet 2011 :

Je pense qu’il y a une confusion dans l’exemple de Joel. En 2002, la Commission française du DD (CFDD que je présidais), enthousiaste après le déroulement de sa CdC sur les “changements climatiques et le citoyen”avait projeté une CdC multi-pays sur les aides à l’agriculture impliquant la France, la Pologne et le Mali. Mais le gouvernement s’y opposa (et la CFDD perdit la plupart de ses membres qui démissionnèrent , pas Dominique Bourg...). On ne peut donc rien affirmer de ce qui ne fut qu’un projet dont l’un des buts était de démontrer ce qu’écrit Joel. En revanche quand le même thème est soumis à CdC dans différents pays par des autorités nationales, les avis sont très proches (ex OGM).

De Jean-Claude Bauduret, le 3 juillet 2011 :

Le texte envoyé par Joël et retransmis par Robert est très intéressant. J’avais fait la remarque sur le texte d’orientation de l’AG de 2009 que notre analyse devrait partir d’abord de l’examen des conditions écologiques. L’espèce humaine est condamnée à vivre dans cette fine couche terrestre qu’est la biosphère et ne pourra pas s’en échapper. Consommer moins (dans les pays développés) mais vivre mieux et vivre tous sur terre en bonne harmonie tel est me semble-t-il notre ligne de conduite. J’ai l’impression cependant que nous avançons à tâtons dans ce sens, je ne sais pas s’il est possible de faire autrement.

Le sénat écologique serait peut-être une solution, mais il devrait se situer au niveau mondial, dans une ONU transformée en gouvernement mondiale, ce qui n’interdit pas d’avoir des sénats correspondants nationaux ou continentaux, en fonction des structures politiques en vigueur.
Je pense, comme Robert que le poids des experts est beaucoup trop important dans la proposition qui est faite. Est-ce la bonne solution d’institutionnaliser des experts ou faut-il faire confiance à la communauté scientifique dans son ensemble en développant et facilitant au maximum le système des « lanceurs d’alerte » ?

Au-delà de ces questions qui me paraissent fondamentales j’en ai quelques secondaires sur le texte de Joël :
· « Dans les faits, quand on fait travailler sur un même thème des conférences de citoyens recrutées dans des pays aussi différents que, disons, le Mali et la Pologne, elles donnent des avis souvent convergents et font des suggestions auxquelles les experts spécialisés n’avaient pas toujours pensé. » Cette affirmation est très intéressante , elle ouvre la perspective de conférences mondiales de citoyens, mais je serais aussi très intéressé de savoir sur quelles expériences elle s’appuient.

· « Avec la méthode clérocratique, toutes les couches de la population seraient par contre présentes au sein du Sénat. Avec 180 membres au moins, la diversité des points de vue et des compétences initiaux devrait être suffisante . » J’ai avancé, dans la proposition de « Chambre des Citoyens » qu’un tirage au sort de 600 citoyens, conduit convenablement, donnerait un échantillon représentatif de la population française, mais je n’ai pas les compétences suffisantes pour le démontrer. Sur quoi repose ce nombre de 180 ?

· « [P.95] Le Sénat donnerait lieu à un renouvellement d’un tiers de sa composition tous les trois ans, avec des sénateurs désignés pour neuf ans, de telle sorte que l’assemblée maintienne toujours le plus haut niveau de compétence et de continuité possible. […] Un seul mandat serait permis. » A mon avis 9 ans c’est beaucoup trop long. Les « citoyens lambda » ont toutes les chances de se faire circonvenir par divers lobbys et par les experts.

Merci à Joël d’éclairer ma lanterne.
(je n’ai pas répondu dans le détail, mais on trouve des réponses dans cet échange de mails - J.M.)

De Robert Joumard, le 29 juin 2011 :

Quelques remarques sur les propositions de Bourg et Whiteside, telles que présentées par la synthèse de J. Martine :

 le tiers de tirés au sort dans la population seront dans le sénat écrasés par les deux tiers d’experts issus des ONG. Ce qui fait qu’une conférence de citoyen composée de tirés au sort marche est, entre autres, qu’il n’y a aucun militant ou expert. Tous les tirés au sort sont au même niveau de compétence technique, aucun ne peut imposer sa soit-disante compétence technique. Il en serait tout différemment avec un sénat mélangeant experts et tirés au sort. En tant que chercheur spécialiste, je sais bien combien il est facile pour un "expert" d’en mettre plein la vue à des non experts.

 Tirer au sort les experts parmi une liste d’experts proposés par les ONG environnementales demande de définir ce qu’est une telle ONG environnementale. Si ces ONGE étaient des lieux de pouvoir à travers le sénat, il est sûr que toutes les ONG se diront environnementales. D’ailleurs, Attac est-elle une ONG environnementale ? Le CRID ? L’environnement et plus généralement l’écologie étant de plus en plus globalisants, peu de sujets ne touchent plus à l’écologie.

 De plus ce choix parmi les experts d’ONG transformeront ces ONG en lieux de pouvoir assez semblables aux partis actuels, avec le risque de se faire plus ou moins acheter par les lobbies. La seule différence tiendrait au tirage au sort et au caractère non renouvelable de la fonction (mais on peut appliquer tout autant ces règles aux partis, en tirant au sort les représentants des partis).

 Comment serait définie la représentativité des ONGE, c’est-à-dire le nombre de leurs représentants dans la liste initiales des experts parmi lesquels on tirera au sort ? La méthode choisie amènera chaque ONG à privilégier ce qui fera augmenter sa représentativité, avec des biais semblables à ceux que connaissent les partis aujourd’hui. Par exemple, si la représentativité était basée sur le nombre d’adhérents, les ONGE chercheraient à tout pris à augmenter le nombre de leurs adhérents, par exemple avec des adhésions à 10 euros, par des campagnes de pub...

 Comment définir qui est expert et qui ne l’est pas ? L’avantage des "experts" académiques, c’est-à-dire des chercheurs tels que ceux qu’on trouve au sein du GIEC, est qu’ils sont sélectionnés de manière très transparente (même si tout n’est pas parfait) par le biais de l’évaluation par leurs pairs tout au long de leur carrière. Ne devient pas chercheur de haut niveau qui veut. Hors un processus équivalent, c’est la porte ouverte aux experts autoproclamés (pensez aux frères Bogdanov, ou aux soit-disants experts des lobbies industriels) qui seront bien loin de l’expertise scientifique.

 Enfin est-on si sûr de la sûreté du point de vue des experts ? Si le GIEC est autant écologique, c’est notamment parce que l’écologie, et dans ce cas la mise en évidence de l’effet de serre et de ses causes, permet aux membres du GIEC et à la communauté des chercheurs sur le réchauffement climatique de prospérer, d’avoir des crédits et des postes. Cette convergence d’intérêts est factuelle, les scientifiques ne sont pas par nature des écologistes et préoccupés par le long terme, sauf si l’écologie et le long terme est leur fond de commerce bien sûr. On le voit bien aujourd’hui sur le nucléaire, les OGM ou les nanotechnologies où la majorité des chercheurs de ces domaines poussent pour que leur domaine soit reconnu comme important et minimisent les risques.

 L’idée que la démocratie représentative pousse à défendre ses intérêts particuliers et de court terme me paraît erronée. C’est une idée classique, mais elle n’est jamais illustrée, prouvée. En quoi l’élection de son maire, de son député ou de Sarko répond-elle aux intérêts particuliers des citoyens et au court terme ? On peut tout aussi bien fidéliser ses électeurs avec du long terme et de l’intérêt général qu’avec du court terme et de l’intérêt particulier. C’est le poids d’intérêts particuliers - l’oligarchie - qui fait que les élus font du court terme et du non écologique, pas la démocratie représentative.

En conclusion, ces propositions me semblent hâtives et méconnaître des biais importants, contrairement au tirage au sort parmi les seuls citoyens.

D’Alain Delannoy :

Attention à ne pas légitimer un recul de la démocratie par des exigences écologistes !

Je réponds à certaines erreurs : on parle d’éoliennes refusées par leurs voisins envisagés (pas besoin d’aller en Angleterre, ça a été le cas dans mon département, et à plusieurs reprises), ce n’est pas par élection que ces refus se sont passés, mais par assemblées improvisées qui ont légitimement censuré la décision du Prince. En fait ça n’a pas grand chose à voir avec le fonctionnement démocratique, et un Sénat écologique n’y changerait rien ! Par contre, on peut imaginer que les négociations avec les opposants ont été mal conduites, qu’on ne leur a pas proposé, par exemple, de contrepartie raisonnable à l’installation des éoliennes dans leur voisinage. Et puis, si l’on revient 50 ans en arrière, quand l’industrie électrique voulait construire un barrage, on expropriait les villages noyés et la négociation se concentrait sur le montant du rachat des terrains... mais c’était l’État qui intervenait ; aujourd’hui ce sont des investisseurs privés qui cherchent avant tout rentabilité et économie des dépenses. Ce problème serait largement réglée par la re-nationalisation des compagnies d’énergie.

Pour ce qui est de ce Sénat - intéressant par son droit de véto -, les politiques de tous bords consultent déjà des experts et s’en inspirent pour les politiques qu’ils préconisent. Mais quelque chose me gêne vraiment : la place si grande accordée aux scientifiques, en particulier en tant que prévisionnistes ! quasi toutes les prévisions scientifiques (démographiques, économiques, environnementales...) se sont révélées fausses. Et faut-il rappeler que c’est à des scientifiques que l’on doit la bombe atomique, les centrales nucléaires, les OGM, les nanotechnologies, la pollution chimique, etc. Une autre chose me dérange : la place de choix dévolue aux ONGE. Les plus importantes sont loin d’être vertueuses (cf le livre de Fabrice Nicolino : Qui a tué l’écologie ?) ; je n’accorderais aucune confiance à des Greenpeace ou WWF, et ce serait leurs directions qui désigneraient les candidats à notre Sénat ?

On remarque à juste titre que les citoyens consultés semblent plutôt réceptifs aux constats écologiques, pourtant cela ne se traduit pas dans la vie politique. C’est que les électeurs populaires ont très bien compris que ceux qui s’habillent politiquement de programmes écologiques ne sont pas crédibles. Les participations de Verts à des gouvernements en France ne se sont traduits par quasi aucun progrès environnemental, on n’a fermé qu’une seule centrale nucléaire (qui n’avait quasi jamais servi), le ferroutage a continué de prendre du retard et on n’a pas arrêté de fermer des gares ou de supprimer des trains (leur dernière loi ayant eu de grandes répercussions sur la société... est celle qui a conduit à supprimer les concerts dans les bars !). Pour ce qui est des Français, ils ont bien compris que les Verts mettaient en avant le mariage des homosexuels, la défense des immigrés et les minarets suisses, considérations certainement louables mais qui ne motivent pas les électeurs à croire que EELV défend l’écologie ! Au prochain scrutin, Joly (qui n’est pas vraiment une spécialiste de la pollution) devrait faire 3% et peut-être 4% pour Hulot... ; 7% des voix exprimées pour leurs listes... ce sera certainement moins ?

L’écologie doit être politique et sociale, c’est à dire opposée au capitalisme : déprivatisations des grands groupes de l’énergie, des transports, de la santé et de la recherche, taxation des produits en fonction de leur empreinte environnementale, relocalisation de la production, aide aux plus démunis (car quand on en est à se battre pour survivre, les considérations écologiques n’existent plus) donc tendre vers le plein-emploi...

Quant à un gouvernement mondial qui aurait comme premier effort la question écologique, il n’est évidemment pas envisageable dans un futur proche de manière démocratique. L’ONU, ni son instrument, le GIEC ne sont démocratiques ; il faudrait donc déjà réformer tout le fonctionnement de la première, ensuite refonder le second... On doit bien sûr imaginer un fonctionnement idéal, pour autant, le mettre en parallèle avec une urgence écologique ne me semble pas du tout réaliste. Je crains par contre beaucoup que la lutte contre le changement climatique ne serve de prétexte au Prince pour se débarrasser de la démocratie !

(Je rejoins largement les critiques antérieures de Robert !)