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Quelques différences entre debat public (DP) et conventions de citoyens (CDC)

vendredi 1er janvier 2010, par Jacques Testart

Comparaison terme à terme entre deux dispositifs : débat public et convention de citoyens.

 Le DP est la seule procédure « participative » régie par la loi (2002) et donc assez bien codifiée. Sa gestion dépend de la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) qui crée des commissions particulières (CPDP) pour chaque thème mis en débat. Nous avons réalisé un travail d’élaboration pour qu’il en soit de même des CdC (projet de loi ) et dépasser la confusion actuelle dans les pratiques internationales, confusion propice autant à l’incompréhension de la procédure par le public qu’à sa négligence par les élus.

 Les thèmes soumis au DP sont très nombreux ( des dizaines chaque année ) car ils portent sur des projets essentiellement locaux (surtout urbanisation). Au contraire la CdC est surtout destinée à traiter des problèmes globaux concernant l’humanité (PGM, nanos, nucléaire, bioéthique,…). Mais récemment le DP prétend aussi traiter de thèmes qui concernent –l’ensemble de l’espèce (par exemple le diffusion des nanoproduits)

 Le DP est alimenté par des cahiers d’acteurs (produits par des « institutionnels représentatifs »), des cahiers d’experts (produits à l’invitation de la CNDP ou des CPDP), des contributions écrites + des « questions/réponses »+ des « avis » de personnes ou associations, le tout consultable en ligne, et finalement des réunions publiques . La CDC comprend aussi des cahiers d’acteurs et l’intervention d’experts mais ces éléments d’information sont dosés par le comité de pilotage de telle façon qu’une option particulière ne soit pas favorisée et que les diverses positions connues trouvent place auprès du panel de citoyens . Ce résultat est recherché par le consensus sur le programme d’information proposé aux citoyens, consensus obtenu malgré la pluralité délibérée du comité de pilotage.

 Le DP cherche à mobiliser toute la population concernée alors que la CdC s’adresse à un petit groupe de citoyens tirés au sort et non spécifiquement concernés par l’objet du débat. En réalité la proportion de personnes intervenant aux divers niveaux du DP reste infime par rapport à la population concernée (voir les bilans des DP sur le site CNDP qui annoncent le plus souvent environ 1000 « participants » dont beaucoup ne font que demander l’heure de la réunion ou s’étonnent de n’avoir pas reçu la doc…).

 Un bilan du DP est dressé par un rédacteur nommé par la CNDP. Dans la CdC ce sont les citoyens eux-mêmes qui rédigent ce bilan. La nuance est importante car bien des positions exprimées lors du DP n’apparaissent pas dans le rapport.

Le bilan du DP se veut neutre et n’est donc pas un avis. Au contraire les citoyens des CdC expriment des avis, y compris leurs dissensus.

 Le déroulement du DP est l’occasion d’actions multiples de lobbying , ce qui n’est pas possible dans la CdC où l’anonymat des « jurés » est préservé.

 Le DP est un lieu de confrontation entre des partisans de solutions différentes et souvent opposées alors que la CdC permet des échanges et la concertation entre des personnes de bonne volonté qui n’ont pas d’intérêt propre pour le choix d’une solution particulière parmi celles proposées par les experts et porteurs d’intérêts.

 Les résultats de toute procédure « participative » (DP ou CdC) sont disponibles pour une aide à la décision des élus. Il est évidemment facile pour les décideurs d’ « oublier » les points qui ne leur conviennent pas dans un rapport lui même déjà subjectif puisque rédigé par un rédacteur qui s’efforce de « ne pas prendre position » ; dans la CdC, tous les avis, lesquels sont clairement émis par les citoyens, devraient être débattues par les élus selon notre proposition.

 Les avis issus d’une CdC constituent une référence unique pour permettre / orienter les choix de l’ensemble de la population (tous ceux qui n’ont pas participé à la procédure) car ils émanent de citoyens dûment éclairés et sans conflits d’intérêts . Le bilan peu explicite (pas de propositions claires) et non rationnel (quel poids pour chaque option exprimée ?) du DP résulte d’un rapport de force surtout entre des parties prenantes et n’a que peu de valeur pédagogique parce que sa crédibilité n’est pas évidente pour les personnes extérieures.

Quel choix entre DP ou CdC ?

La vocation de la FSC est de mettre la technoscience en démocratie, ce qui nous amène à privilégier les procédures qui réduisent le poids décisionnel des experts autant que les pressions de lobbies, et se concluent par des propositions claires, rédigées et portées par les citoyens eux-mêmes.

La participation ne se réduit pas à l’information sauf à continuer de considérer le citoyen comme un spectateur : il ne suffit pas que le public participe à la procédure pour prétendre qu’il choisit son avenir alors qu’il n’a pas réellement participé à la décision. L’argument d’une mobilisation du public grâce au DP ne tient pas davantage puisque seulement quelques % (en comptant très large…) contribuent aux DP. Même pour les DP exceptionnels concernant des thématiques globales comme celui sur les déchets nucléaires, la CPDP n’aurait mobilisé que 3000 participants (pour un coût de 2,5 millions soit plus de 10 fois celui d’une CdC..). De plus ces participants sont d’abord des porteurs d’intérêts car contrairement aux citoyens « ordinaires » qui garantissent l’impartialité de la CdC, les acteurs du DP sont surtout des groupes identifiables (industriels, associations, gestionnaires), et des « personnes concernées » tels les riverains . Ces personnes concernées sont exclues du panel de la CdC par souci d’approcher l’intérêt commun (mais les groupes identifiables peuvent y intervenir comme experts, ce qui est légitime et nécessaire). En effet l’intérêt commun n’est pas la moyenne des intérêts particuliers capables de se faire entendre.

Alors que choisir ? Bien sûr ces procédures ne s’opposent pas mais elles ont des vocations différentes (il existe d’ailleurs bien d’autres procédures possibles : jury citoyen, sondage délibératif, atelier scénario,…voir Y Sintomer : Le pouvoir au peuple, La Découverte, 2007) L’intérêt principal du DP est la possibilité d’expression offerte à tous (mais c’est déjà ce que permet le processus électoral, lequel est justement surtout efficace pour les enjeux locaux que traite le DP...). L’intérêt de la CdC est dans sa capacité à proposer les solutions qui conviennent le mieux au bien commun (sur des enjeux plus anthropologiques que locaux) et elle constitue la procédure la plus propice pour cela. Cette dernière affirmation n’est pas gratuite : il n’y a pas équivalence de toute les propositions qui prétendent assurer la « participation » et le DP, pour lequel il faut saluer les efforts de définition procédurale par la CNDP, ne peut pas être amélioré dans sa qualité démocratique(seul le respect de son bilan par les élus pourrait l’être comme cela devrait arriver pour d’autres procédures dont la CdC). Par exemple l’auteur de l’initiative ne devrait pas être aussi son organisateur et en plus son pilote, toutes fonctions cumulés par la CNDP mais séparées dans la CdC qui recherche l’objectivité par une cascade de responsabilités (organisateur/ comité d’organisation/ comité de pilotage/ panel de citoyens).

Il n’est pas question d’organiser des CdC pour savoir où faire passer l’autoroute ou si on construit un pont sur la rivière ...Là le DP a certainement sa place pourvu qu’il ne soit pas l’occasion de manipulations, ce qui paraît difficile à éviter quand les enjeux sont importants. Mais les CdC sont incomparables quand il s’agit de décider de choix de société car le tirage au sort est un retour aux sources de la démocratie, laquelle est renforcée par l’exigence de pluralité des « expertises » délivrées et discutées.

La FSC défend le tiers secteur de la recherche parce que nous croyons aux capacités de jugement , de proposition, et d’équité des citoyens de base organisés en associations d’intérêt public. La CdC propose un 4° partenaire pour l’élaboration de la norme : outre les experts, les politiques et la société civile organisée (associations) elle donne toute sa place aux citoyens « ordinaires » (mais acceptant cette tâche d’intérêt collectif).

C’est pourquoi la convention de citoyens, telle que définie dans son protocole et ses prérogatives par la FSC, est un outil privilégié pour défendre l’utopie qui nous anime et vise à ce que la population intervienne dans les priorités de recherche et se saisisse du meilleur seulement des productions de la technoscience.