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De la démocratie
Pierre Bonneau (CL de Toulouse)
samedi 28 juillet 2018
Voici ce que disait la plateforme d’Attac, lors de sa création en 1998 : « Il s’agit pour les citoyens, dépossédés de leurs prérogatives par la mondialisation financière, de se réapproprier ensemble l’avenir de notre monde ». Donc, une remise en cause du néolibéralisme.
Le néolibéralisme est un projet ambitieux d’évidement de la démocratie, cohérent, s’appuyant sur des institutions non élues, sur la globalisation des marchés, sur le primat de l’économie, sur l’appropriation de la nature, sur la généralisation du modèle de l’entreprise jusque dans la vie et dans l’imaginaire des individus, sur l’expertise qui est alors une confiscation de la démocratie, au profit d’une élite restreinte et cooptée complètement coupée des façons de vivre des citoyens.
On ne peut, aujourd’hui, en rester à la dénonciation de ce système- en rester à la défensive, c’est déjà se soumettre- il faut donc mettre en chantier l’élaboration d’alternatives. Cette élaboration ne peut être confiée à des experts (ce serait renforcer le néolibéralisme). Elle ne peut être menée que par une participation beaucoup plus large qu’aujourd’hui de chacun aux affaires publiques. C’est à dire par un grand progrès sur la voie de la démocratie.
La qualité démocratique du travail d’une assemblée ne relève pas du niveau d’expertise de ses membres, mais de la mise en commun de l’expérience de chacun, expert ou non expert. En effet, s’il est judicieux dans beaucoup de milieux, scientifiques, techniques, professionnels, que soient reconnues et mises en valeur les compétences de chacun, il en est tout différemment en matière politique : aucun individu, quels que soient son milieu et son histoire, ne peut se prévaloir d’une expérience de la vie supérieure à celle d’un autre. Toute expérience vaut par la singularité du point de vue qu’elle apporte. Donc, même si les experts ont un rôle à jouer dans l’explicitation des enjeux, des choix possibles, des conséquences (conférences de citoyens, par exemple), la décision politique ne peut leur revenir, mais doit être le fait de l’ensemble des citoyens, mis au courant des enjeux, des choix, des conséquences, et ayant (ce qui est essentiel) longuement débattu et délibéré (la qualité de ce débat qui fait que chacun évolue est décisive).
Dans la lutte contre le néolibéralisme, trois questions politiques se posent dès que l’on veut dépasser la simple dénonciation, mais avancer vers de nouvelles perspectives. Comment construire cette alternative ? Comment rassembler des forces disparates ? Comment sortir de l’échelon national, désormais obsolète ?
Alternative. Elle doit être, nous l’avons dit, discutée démocratiquement et implique donc un net progrès en matière de démocratie. Pour chaque citoyen, participer à l’élection de représentants ne peut suffire, il est nécessaire de participer aux réflexions et affaires publiques, de participer à la prise de décision politique. De plus, il existe des expériences intéressantes de nouveaux modes de vie, de nouvelles organisations des sociétés dans le travail et dans la vie qui, sans doute, sont des
embryons d’un nouveau monde et sont à prendre en considération : elles contribuent à préfigurer les nouvelles règles et institutions de la démocratie. Par ailleurs, on ne peut s’attendre à un progrès brutal en matière de démocratie, et des expériences, des formes nouvelles, des développements sont à tenter, dans des milieux d’abord restreints, dans des associations, des syndicats, des coopératives…, et en particulier, dans Attac.
Convergences. Elles ne peuvent se concrétiser que comme le résultat du processus d’élaboration d’alternatives. En effet, au fur et à mesure de l’avancée de ce processus, des pistes se dessinent qui indiquent des voies vers un monde nouveau, et, du coup, les luttes sectorielles apparaissent de plus en plus comme des avancées dans ce processus global, leur convergence devient de plus en plus
crédible, et l’appui réciproque des ces diverses luttes a priori distinctes devient évident. Des forces au départ, semblait il, désordonnées se trouvent rassemblées dans un combat qui prend un nouveau sens bien plus large, s’épaulent et se renforcent dans l’avancée vers de nouveaux horizons. Et l’on comprend, dès lors, ce qui faisait, et qui fait aujourd’hui, la relative impuissance de forces sociales dispersées et dont les combats sectoriels peinent à se rencontrer : le manque d’espoir, de perspectives.
L’internationalisme. Déjà évoqué, dans le passé, alors que le capitalisme était bien moins organisé, c’est une nécessité. L’adversaire est organisé au niveau mondial. Il faut répondre à ce niveau. Ici encore, la réponse ne peut procéder que démocratiquement, par la construction d’organisations internationales regroupant des citoyens, des associations, des syndicats, des organisations politiques rassemblés autour de projets globaux qui se déclineront, aux divers échelons, jusque dans les luttes locales. Largement ouvertes et accueillantes pour tous, respectueuses des traditions diverses de toutes les nations, ces organisations internationales devraient permettre de rassembler bien au-delà des clivages partisans hérités des histoires nationales.
Pour en venir à Attac, cette association devrait donc comprendre que le rôle des experts est important, mais forcément limité, que l’enjeu démocratique est la condition incontournable de progrès dans la lutte antilibérale (dans le domaine de la démocratie, Attac n’a pu apporter de rupture réelle), que l’individualisme libéral imprègne tous les milieux dans nos sociétés, qu’il convient d’y remédier en interrogeant à nouveau toutes les évidences qui nous semblent devenues naturelles, qu’il nous faut bâtir une nouvelle vision du monde, un nouveau projet d’émancipation sociale et que les vieilles façons de nous organiser sont désormais inopérantes, que de nouvelles doivent être inventées. Après vingt ans d’existence, il convient de faire un bilan, avec ses aspects positifs comme l’importance des institutions financières internationales qu’Attac a, dès le départ, dénoncées, vision qui a depuis imprégné de larges couches de la population, avec ses faiblesses aussi comme l’incapacité d’Attac (considérée dès sa naissance comme une organisation d’un nouveau type) à construire une nouvelle façon de s’organiser politiquement, de débattre et de remettre en cause de vieux clivages désuets. Au niveau international, le grand espoir d’une organisation intervenant dès ses débuts au niveau mondial a largement déçu. Finalement, la plateforme du lancement d’Attac reste, vingt ans plus tard, de toute actualité.