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L’hégémonie culturelle du libéralisme (Jacques Woda)

Membre du Conseil scientifique

dimanche 10 septembre 2017, par Martine Boudet

NB : il est ici question du libéralisme économique, et non du libéralisme philosophique.

I- Comment maintenir une domination ?
Tout mode d’organisation sociale procure avantages et profits, matériels et symboliques, à certains groupes dominants, qui donc œuvrent pour que leur situation perdure, quitte à accepter voire initier les changements qui font que rien ne change.
A cet effet, ces groupes dominants mettent en œuvre, spontanément, sans complot (ou à peine) des outils de toutes sortes :
 des outils économiques, juridiques, policiers, militaires, etc…., qui ont pour but de contenir, brider, réprimer…. les contestations des dominés, quand elles apparaissent ;
 des outils culturels qui ont pour but de prévenir, avant qu’elles n’apparaissent, les contestations, en modelant les idées, les postulats, les valeurs qui règlent les comportements de tout individu. En pratique, cela consiste à promouvoir et inculquer, dans l’esprit des groupes dominés, un système de valeurs morales, de pseudo évidences non discutées, qui ont un objectif démobilisateur, anesthésiant, ou qui font dériver leurs luttes vers de faux ennemis.

En ce sens, l’hégémonie, ou à défaut la suprématie culturelle, est un outil nécessaire aux groupes dominants pour perpétuer leur domination, de la même façon que les paradis fiscaux sont nécessaires au capitalisme pour perpétuer l’accumulation.

En substance, l’hégémonie culturelle est caractérisée par :
- son objectif : influencer les comportements et actions des dominés dans le sens de l’acceptation, de plein gré ou fataliste, du système actuel, voulue par les dominants.
- ses moyens : diffuser, répéter, seriner, grâce aux médias que les dominants possèdent, un ensemble d’assertions jusqu’à ce qu’elles produisent chez les dominés des représentations mentales, des évidences indiscutables et non discutées, des lieux communs, qui eux-mêmes vont produire des comportements de soumission ou d’acceptation.
- son contenu, précisément le contenu des assertions.

II – Exemples de suprématie culturelle
Films :

Le discours : un individu seul, ou avec une toute petite équipe, sur qui repose le sort de sa famille, de son pays, de la terre entière, et qui parvient à sauver l’Univers
La représentation mentale : Un homme seul peut tout sauver grâce à son mérite. Primat de l’individu sur le collectif. Chacun est responsable de son propre sort (les chômeurs sont responsables de ce qui leur arrive) et les hauts revenus sont mérités.
Comportements induits : ce qui compte c’est l’Homme, pas le collectif. L’action collective ne sert à rien.

Publicité :
Le discours : « Vous le valez bien ».
La représentation mentale : mon opinion personnelle est aussi valable que celle de n’importe qui, fût-il expert ou scientifique. Mon référentiel, à qui je me fie, c’est moi.
Comportements induits : dévalorisation de la rationalité scientifique et de ceux qui la portent.

Documentaires animaliers :
Le discours : compétition, concurrence, compétitivité, adaptation.
La représentation mentale : la vie est un combat, une lutte à mort pour la survie. Tant pis pour les vaincus, c’est moi ou eux.
Comportements induits : chacun pour soi, pas de solidarité, pas d’action collective.

Autres exemples

La nature humaine est immuable.
Il y a toujours eu et il y aura toujours des riches, des pauvres, des guerres
On ne peut rien faire contre la Nature humaine

Discours racistes, sexistes
Ce sont des inégalités naturelles.
On ne peut rien faire contre la Nature.

Classements, Top 10 (50, 100…)
Les plus forts gagnent.
C’est la vie, on ne peut rien faire

Les profits servent à investir
Les profits ne servent pas à spéculer
Le secret des affaires est nécessaire et doit être protégé

Les entreprises créent les emplois, et embauchent
Les politiques publiques, les dépenses publiques, ne créent pas d’emploi
Les entreprises d’abord, l’austérité est nécessaire

L’offre crée la demande
Les entreprises d’abord, l’austérité est nécessaire...etc


III- Pourquoi combattre l’hégémonie culturelle ?

L’hégémonie culturelle est mortifère car elle nous vole le sens de notre vie en nous entrainant :
 vers le non-sens, promu en modèle, de la fausse vie : accumulation, individualisme, cupidité, arrogance, boulimies, et ainsi de suite ad nauseam.
 vers l’autoréférence individuelle prévalant sur l’exo référence collective

IV- Comment combattre l’hégémonie culturelle ?

Expliquer, expliquer, expliquer. Démonter et démontrer la fausseté du discours culturel libéral.

Mais cela ne suffit pas. Étant donné que la rationalité n’est chez les individus qu’un vernis fragile, susceptible d’éclater à la moindre griffure, il faut « pour détacher, attacher à autre chose ». Il faut, en même temps que l’explication, mettre en avant les propositions d’Attac en ses domaines socio-économiques.