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Alterdémocratie et antiracisme

Christian DELARUE

lundi 12 septembre 2016, par Martine Boudet

L’idée semble partagée que le capitalisme dominant et son « nouvel esprit » néolibéral produisent toujours plus de dégâts sociaux et écologiques. Remonter la chaîne des effets aux causes semble moins généralisé mais l’altermondialisme y procède. Reste à montrer la place que doit prendre la lutte antiraciste dans ce mouvement.

Réduire significativement les différentes formes de racisme observables dans les sociétés contemporaines à commencer par la France est une tâche importante du mouvement altermondialiste. Un tel mouvement ne peut en effet espérer construire un autre monde et notamment un alterdéveloppement (producteur de valeurs d’usage plus que de valeurs d’échange) et une alterdémocratie sur fond d’un racisme multiforme destructeur.

POUR UNE DEMOCRATISATION SANS RACISME NI SEXISME...

La raison démocratique et citoyenne promeut l’idée potentiellement révolutionnaire, constamment combattue, détournée et rabattue quant à ses objectifs, que chaque femme et chaque homme doit, partout dans le monde, pouvoir intervenir de façon décisive non seulement dans le choix des dirigeants politique mais aussi dans le choix des dirigeants économique mais aussi, encore plus directement, dans la maîtrise de l’avenir collectif et dans les choix de production de l’existence sociale. Ce qui suppose un franchissement significatif dans la nature des sociétés aujourd’hui sous hégémonie du capital mais aussi un franchissement tout aussi radicale dans la conception de la démocratie.

La démocratie bourgeoise permet déjà pour partie et sur fond d’inégalités structurelle une telle intervention citoyenne. Les critiques nécessaires de la démocratie libérale (1) ne doivent pas faire oublier qu’elle constitue une conquête sociale et historique base d’appui de changements plus profonds notamment en lien avec la défense et promotion des services publics, de la sécurité sociale et de la planification démocratique. De telles transformations changeraient qualitativement sa nature car elle se rapprocherait de la formule quasiment autogestionnaire du « gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple ».

La démocratie bourgeoise était « peau de chagrin » du temps de sa version censitaire, blanche et mâle. Elle s’est élargit sous l’effet des luttes du mouvement ouvrier socialiste et du mouvement des femmes mais demeure encore fort restreinte. Elle conserve sa structure inégalitaire, ses classes sociales en conflit et sa structure patriarcale. La démocratie des « propriétaires » et des rentiers est toujours forte mais le peuple - les dirigés - qu’il soit salariés, paysans et artisans y ont gagné des accès limités, variables selon les pays.

LA CRISE DE LA REPRESENTATION ACCENTUEE PAR LE RACISME.

Mais si la démocratie représentative (2) est en crise et déçoit déjà les couches sociales intermédiaires dominées, exploitées mais non exclues que dire alors des « sans », des sans papiers, des sans logement, des sans travail. Que dire aussi des personnes victimes des stigmatisations et discriminations racistes quotidiennes. Si les femmes revendiquent plus de présence dans les institutions diverses ou les hommes sont surreprésentés pourquoi devrait-on s’étonner de la revendication des noirs ou des arabes - que l’on sait victime de racisme - bénéficier réellement de l’égalité des droits écrite sur les frontons de la République ? Sans doute toutes les solutions proposées ne se valent pas. L’universalisme républicain s’oppose à la discrimination positive. Mais la dynamique républicaine qui a intégré le meilleur du mouvement communiste devrait pouvoir offrir des solutions efficaces. Les altermondialiste se doivent d’intégrer cette dimension dans leur combat.

Les conquêtes démocratiques sont constamment remises en cause par de multiples logiques anti-démocratiques qui profitent à une classe dominante et/ou dirigeante. Les effets produits en terme d’inégalités sociales, de dureté des rapports sociaux, de développement inégal des territoires, etc. sont liés à la montée en puissance transnationale du capital sous ses trois formes, marchande, d’appropriation privée, financière.

Les logiques anti-démocratiques sont aussi, plus directement, issues de l’établissement de théocraties, s’appuyant sur la montée du religieux, laquelle montée a pris consistance avec la défaite des idéologies se réclamant d’un certain ouvriérisme communiste ou de l’échec de la voie « non-alignée » de libération du tiers-monde (issue de Bandoeng 1955). Mais ces élites autoritaires à fondement religieux s’accommodent largement du marché et émargent volontiers à la mondialisation capitaliste. Il faut noter cependant que c’est bien les courants autoritaires, réactionnaires des religions qui sont en cause car des courants de théologie de libération ont su promouvoir un temps et dans l’adversité une démocratisation et une laïcisation de leur pays (cf. par exemple les trois prêtres ouvriers du premier gouvernement sandiniste au Nicaragua).

LA DEMOCRATISATION FECONDEE PAR LA RAISON SOLIDAIRE.

Une vision aussi contrastée de la démocratie implique de réhabiliter la question de la dignité humaine et des solidarités à géométrie variable en réhabilitant la distinction entre raison solidaire et raison d’Etat (3 ) qui permet de valoriser la notion de peuple (5) - et non de nation ou de société civile ou de multitudes...- ou celle de communauté d’intérêt des travailleurs salariés. Cette dernière mériterait d’être mieux intégré dans les luttes syndicales ou associatives lorsque le capital transnational et les bourgeoisies compradores ou élites subordonnées jouent des divisions nationales et étatiques pour accroître la disparité des conditions de vie et de travail. Combattre pour l’égalité des droits entre résidents communautaires et résidents étrangers extracommunautaires n’est pas une utopie (4 ).

Ajoutons que la pleine raison solidaire ne s’accomode pas du détournement de perspective nommé néosolidarisme . L’alterdémocratie implique une autre visée. Le néosolidarisme est infra-altermondialiste (6), Autrement dit "le néosolidarisme n’est pas soluble dans l’altermondialisme" (7) il se combine mieux avec le socialibéralisme ou la social-démocratie. De plus l’altermondialisme dans la mesure ou il constitue une dynamique pour un autre monde ( 8) s’oppose en toute logique au socialibéralisme et à la"fin de l’histoire". (9)

Le sexisme et le racisme sont deux formes d’oppression méritant un combat constant d’éradication, qu’il faut intégrer dans les autres luttes pour un autre monde, une autre Europe, une autre France. Ce ne sont pas des combats annexes.

Christian DELARUE -2006

Secrétaire national du MRAP

Ex-membre du CA d’ ATTAC France

Notes :

1 - "La democratie libérale et l’hypocrisie : une combinaison nécessaire" sur Bellaciao par Christian Delarue

http://bellaciao.org/fr/article.php3 ?id_article=34057

2 - "De la critique de la représentation à la gouvernance et retour... " par Christian Delarue sur rennes-info.org et sous le texte en 1 sur Bellaciao

3 - "Vive le pouvoir ! ou les délices de la raison d’Etat" par Jean ZIEGLER Seuil

4 - cf les travaux du groupe "Migrations" du conseil scientifique d’ATTAC qui vont être mis sur le site.

5 Peuple est absent du dictionnaire Alter

6 - Le néosolidarisme est infra-altermondialiste par Christian Delarue :

http://bellaciao.org/fr/article.php3 ?id_article=29051

7 - Le néosolidarisme n’est pas soluble dans l’altermondialisme par Christian Delarue :

vers : http://bellaciao.org/fr/article.php3 ?id_article=27288

8 - Contribution du comité rennais d’ ATTAC : l’altermondialisme, une dynamique pour un autre monde

site attac 35 - rennes - rubrique manifeste ou site attac france rubrique manifeste - sur bellaciao également

9 - L’altermondialisme contre le socialibéralisme et la "fin de l’histoire"

http://bellaciao.org/fr/article.php3 ?id_article=30202

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